Behaviorisme et Finance Comportementale

Gestion de portefeuille : Les liens nouveaux entre rentabilité et risque

Gestion de portefeuille : Les liens nouveaux entre rentabilité et risque

Après dix ans de marchés difficiles et plusieurs chocs de volatilité, il faut revoir l’un des fondements de la gestion

 Dans les années 90, nous avions l’exemple du Japon qui démontrait la possible absence de relation entre espérance de rentabilité et prise de risque. L’évolution sur 20 ans de ce marché montre les limites de cette promesse basée sur la prise de risques rémunérés à condition de respecter les horizons d’investissement recommandés. Cette approche est aussi une des bases de la gestion dite passive qui exclut par construction toute gestion active sous prétexte que les gérants de portefeuilles sont incapables de faire mieux que leur référence. Cette «école de pensée» de la gestion passive prévoit implicitement que le temps sera bénéfique pour l’investisseur, qui restant investi de façon permanente, sera rémunéré à terme. Quand les indices baissent de 40% depuis 2000 comme le MSCI Europe et de 20% aux Etats-Unis (MSCI USA), ne pas réagir peut tout de même coûter cher, surtout dans la gestion pour le compte des clients privés, dont l’horizon d’investissement est d’ailleurs probablement bien inférieur aux 10 ans évoqués.

Les chiffres pour ces marchés sont définitivement éloquents. La moyenne des performances cumulées sur 3 ans sur les 10 dernières années du MSCI Europe (près de 500 valeurs) est de +3,6%, à comparer à la performance des emprunts d’Etat de 1 à 10 ans qui s’établit sur la zone euro à +14,2%. Pour les Etats-Unis, les proportions sont identiques, avec en moyenne +5,3% pour le MSCI USA en performances glissantes sur 3 ans contre +15,0% sur les obligations d’Etat. Ces chiffres mettent en évidence que la diversification des actifs peut être destructrice de valeur.

Derrière ces liaisons dangereuses entre rentabilité et risque se cache finalement le profilage des clients privés dans la gestion sous mandat au sein des banques privées. Ce dispositif de ségrégation des clients selon un niveau d’aversion au risque présupposé s’avère finalement dangereux dans ces conditions de marchés difficiles. Dans ces phases de crises aiguës, celles pendant lesquelles tous les actifs sont corrélés, l’aversion pour le risque augmente dramatiquement pour l’ensemble des clients privés, quelle que soit leur «préqualification». La seule réaction possible est la mise en œuvre de décisions destinées à protéger le capital investi, et cela pour tous les investisseurs. Le «fameux» graphique Rentabilité/Risque communément présenté aux investisseurs et enseigné à tous les étudiants en finance, anticipant un niveau croissant de rentabilité pour un niveau de risque en augmentation, peut être désormais inversé.

PLUS DE GESTION ACTIVE EN SUIVANT :

La crise boursière des années 2000-2003 pouvait être considérée comme singulière parce que centrée sur quelques secteurs d’activité considérés à l’époque comme exotiques, en particulier les valeurs technologiques. La crise de 2008 marque un tournant définitif dans les équilibres macroéconomiques et financiers des grands pays développés. Les prérequis et les référentiels de gestion doivent changer parce que l’instabilité des économies des pays matures et de leurs marchés financiers pourrait durer longtemps, à l’image du marché japonais depuis 1990. Rappelons-nous que durant les années 80, le Japon était un modèle économique et le Nikkei cotait 38 915 points, à fin 1989, à son plus haut; aujourd’hui cet indice vaut 8315 points!

Au même moment, le régulateur appuie cette démarche de segmentation en imposant ce profilage pour les clients privés, créant finalement une contrainte réglementaire défavorable à ceux qu’il est censé protéger. En effet, arrimer des gestions de portefeuilles diversifiés à des profils d’investissement élaborés à partir d’allocation d’actifs à pourcentages fixes (les «benchmarks»), peut engendrer le maintien de positions dont les conséquences en termes de prises de risque peuvent aller bien au-delà de celles tolérées, implicitement ou explicitement, par les clients privés. La présence de ces benchmarks sous-tend finalement que les volatilités de leurs composants sont relativement stables dans le temps. Ces références supposent également que l’aversion pour le risque des clients le soit aussi quelles que soient les conditions de marché; le client privé délégant sa gestion serait donc une espèce humaine spécifique à sang-froid? En d’autres termes, les émotions de cet investisseur privé seraient-elles symétriquement les mêmes face à des gains ou des pertes sur son capital?

La gestion profilée a donc atteint ses limites il y a déjà plus de 10 ans, probablement au début des années 2000. Cette approche recèle dans ses gênes des anomalies qui se révèlent en temps de crise. Dans un environnement qui va rester probablement incertain quelques années encore, il est préférable que ces profils disparaissent au profit de nouveaux modèles basés sur la capacité des gérants de portefeuille à implémenter une gestion asymétrique. Les gestions alternatives ont su traverser la crise boursière de 2000-2003 mais pas celle de 2008-2011. Durant ce dernier choc de marché, leur manque de liquidité et de transparence les a définitivement disqualifiés auprès des clients privés qui ont souhaité en sortir massivement.

Dans cet environnement hostile, la gestion des risques est prioritaire. Les processus d’investissement doivent s’appuyer sur une appréciation dynamique et concrète des risques pris dans les portefeuilles via des allocations très flexibles. A l’image d’une option «long call» la gestion diversifiée doit proposer, en plus de l’absolue transparence, trois caractéristiques clés: asymétrie, liquidité et dynamisme.

Par Mikaël Lok  Crédit Agricole Suisse Private Banking, Head of Discretionary Portfolio Management dec11

EN COMPLEMENT : Une gestion active avec conviction s’impose Par Sébastien Gyger Responsable de la gestion de portefeuilles pour la clientèle privée chez Lombard Odier

La baisse des taux d’intérêt et le caractère durable de la volatilité, dans un contexte de risque élevé, compliquent la tâche des gérants de portefeuilles. Ces derniers doivent afficher des certitudes dans leurs choix d’investissement et gérer activement le risque de marché

Le constat est amer pour la grande majorité des investisseurs: malgré la reprise des bourses amorcée en mars 2009, les portefeuilles de valeurs mobilières n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant-crise. Par exemple, un portefeuille constitué de 40% d’actions et de 60% d’obligations est en retrait de 8,5% sur la période d’octobre 2007 à octobre 2011, alors qu’un portefeuille construit avec des proportions inverses présente un décalage de 19,5%. Il aurait fallu 75% d’obligations pour que le portefeuille maintienne sa valeur initiale (sans tenir compte de frais de gestion ou de l’imposition de dividendes).

L’exercice de comparaison avec le passé a ses limites car dans l’intervalle les taux d’intérêt se sont contractés à des niveaux planchers. Le taux à 10 ans de la Confédération suisse a perdu 1,98% pour passer de 2,98 à 1,00%, tandis que le taux à 2 ans a reculé de 2,46% pour échouer à 0,03%. Nous observons le même phénomène en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, fruit de politiques monétaires ultra-accommodantes et de perspectives de croissance et d’inflation anémiques.

Au présent, l’effet sur les portefeuilles d’actifs se fait ressentir puisque non seulement les attentes de rendements sont revues à la baisse, mais de plus le coussin protecteur obligataire s’est dégonflé. Associons à cela un régime de volatilité très soutenu, amplifié par des politiques monétaires non conventionnelles et des sorties de crise différées voire aléatoires, et nous saisissons mieux la nature du cocktail qui est servi: il est explosif.

Notre propos est de souligner qu’il ne s’agit pas d’une fatalité. Pour créer de la valeur dans un environnement de taux bas et de marchés volatils, le gérant de fortune doit être au bénéfice de certaines aptitudes qui vont au-delà d’une allocation statique. Les difficultés actuelles trouvent leur origine dans les cycles d’endettements successifs qui nous ont conduits, depuis la fin des années 90, au déficit des entreprises, des ménages puis des gouvernements.

Les mécanismes de correction – voulue ou forcée – de l’excès d’endettement ont une influence considérable sur le prix des actifs. Pour naviguer en ces eaux troubles, le gérant de fortune doit en saisir les enjeux et positionner son portefeuille en conséquence. La cure d’amaigrissement des Etats s’accompagne par exemple d’une réduction des bilans des banques commerciales, donc de leur rendement sur fonds propres, ainsi que de politiques visant à une dépréciation compétitive des devises.

Nous avions identifié très tôt ces implications. Par conséquent, nous sommes restés en dehors des titres bancaires, nous avons choisi de couvrir l’essentiel du risque de change des actifs en dehors de la monnaie de référence et d’investir une part importante des portefeuilles de nos clients dans l’or physique.

La volatilité actuelle a un caractère durable dans un contexte d’incertitude et de risque élevé. Devons-nous pour autant fuir la réactivité des marchés qui oscillent entre espoir et désespoir? Nous sommes de l’avis contraire, à savoir que les clients peuvent en bénéficier, à condition toutefois de mettre à profit une expertise de gestion active et une compétence dans la construction de portefeuilles.

L’hyper-sélectivité dans les titres qui composent les portefeuilles aussi bien que l’utilisation de stratégies de dérivés relient ces deux notions.

A notre avis, le contexte actuel donne toute sa valeur, voire sa saveur, à la construction de portefeuilles de conviction.

En matière obligataire, nous associons une sélection drastique des émetteurs et des pays à une gestion active du risque de taux par le biais de contrats à terme sur des emprunts d’Etat allemands (Euro Bund) et de la Confédération suisse.

Pour les actions, l’exposition des sociétés aux différentes régions du monde est hétérogène, la santé bilantaire des entreprises l’est tout autant, leur dépendance aux dépenses gouvernementales est inégale, et toutes n’ont pas la même maîtrise de leur flux de trésorerie. Les mouvements de marché n’ont pas de discernement, ils nous permettent néanmoins de soigner les points d’entrée sur les meilleures sociétés et de gérer séparément le risque de marché, typiquement via des options sur l’Eurostoxx 50. Voilà plusieurs caractéristiques qui justifient de privilégier une gestion active de conviction à une gestion passive, forcément approximative.

Et la construction de portefeuilles me direz-vous? Elle s’adapte aux circonstances: les positions sont déterminées graduellement, la prise de profit est systématique et les stratégies optionnelles sont construites pour saisir les points d’inflexion. Ce contexte inédit préfigure la gestion de fortune privée de demain. Nous vous y souhaitons la bienvenue.

Infographie. Gestion statique: au-dessous du niveau d’avant-crise

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La dette sans risque n’existe plus

PIP conference. Le marché des titres à revenu fixe se trouve en pleine revalorisation modifiant en profondeur les stratégies de gestion.

Le changement très important dans la perception des risques se traduit peu à peu dans la construction d’un portefeuille en obligations mondiales. Avec un certain retard toutefois, malgré les rendements réels négatifs des dettes souveraines les plus sûres. Le paiement d’une prime de sécurité paraît ainsi préférable à la rémunération pour les risques pris. Ce à quoi peuvent s’ajouter de l’inertie ainsi qu’un biais en faveur du marché et de la monnaie domestiques, comme l’ont récemment remarqué Benno Weber et Peter Bänziger dans un article accompagnant la présentation des résultats de l’étude annuelle sur les caisses de pension suisses de Swisscanto.

La problématique ne se limite pas aux investisseurs institutionnels de notre pays, et une surpondération dans les Bunds comporte en outre les risques d’une dévalorisation de l’euro et d’une dégradation de la situation financière de l’Allemagne due aux opérations de sauvetage des pays surendettés. Risques renforcés par l’absence de souveraineté monétaire, si chère aux anglo-saxons. Ce qui n’empêche pas les rendements des obligations souveraines historiquement réputées les plus sûres de rester à des planchers historiques, attestant d’une demande qui n’a pas fléchi, bien au contraire. Le gestionnaire du plus grand fonds en obligations mondiales Pimco met lui aussi l’accent sur la conservation du capital plutôt que sur l’optimisation du rendement.

Les participants à la discussion lors de la PIP Conférence qui s’est tenue au début de ce mois à Genève n’ont néanmoins laissé aucun doute sur ce point. L’environnement de taux bas actuel doit inciter l’investisseur en titres de dette à chercher d’autant plus activement des titres dont le rendement équivaut, voire dépasse les risques. De nombreuses analyses soulignent depuis des mois que des obligations d’entreprises à notation équivalente présentent un niveau de sécurité au moins aussi élevé que les souveraines, tout en gardant un rendement à maturité plus attrayant! Et il est d’autant plus difficile de faire l’impasse sur les pays émergents face au constat que les risques politiques, si souvent cités par les agences de notation parmi les facteurs justifiant une évaluation moins favorable, ne se limitent pas à ceux-ci, voire semblent désormais plus présents dans bon nombre de pays industrialisés, comme l’illustre la suite de changements de gouvernements liés à la crise de dette européenne. Eux aussi offrent ainsi de meilleures perspectives de rendement, et surtout de rémunération pour les risques pris. «S’inscrivant dans un mouvement de convergence, les frontières entre les deux marchés deviennent toujours plus floues», a remarqué Mourtaza Asad-Syed, Head of Private Banking de Société Générale (Suisse). Un rapprochement également soutenu par le «grand nombre d’améliorations de notation dans les pays émergents», comme le constate Nuria Ribas Lequerica, Investment Director de Legg Mason.

Le temps de l’allocation immuable en obligations de la Confédération complétée par des obligations d’Etat mondiales formant la base de rendement est donc révolu. «Nous sortons d’au moins trois décennies d’un marché de dettes souveraines de pays développés orienté à la hausse. Il ne ressemble plus beaucoup au marché sans risques», constate Mourtaza Asad-Syed. Il propose de changer d’approche: «La volatilité présente dans les titres à revenu fixe nous force à adopter une approche beaucoup plus active». Il faut cependant garder une certaine distance, rappelle Nuria Ribas Lequerica: «Les marchés jouent sur les émotions. Être très actif ne veut pas dire procéder à des changements brusques.»

Les notations d’agences, quant à elles, ont pour le moins perdu leur statut de référence absolue: «Elles sont toujours en retard sur l’évolution», affirme Alia Yousuf, gestionnaire de portefeuille chez ACPI Investments. Par conséquent, Nuria Ribas Lequerica met l’accent sur «ce que pense le marché». Une réalité qui se reflète plutôt dans les CDS (assurances contre le risque de défaut), les taux des coupons et finalement le couple prix-rendement. Si la dette française a gardé la même notation que l’allemande, l’écart entre les deux a atteint  des niveaux record: du côté des CDS à cinq ans 120.5 points de base, 1,83 pour les rendements de la dette à dix ans et un prix pour cette dernière inférieur au nominal pour la France, nettement supérieur pour l’Allemagne. La notation suggérée par les marchés pour les obligations françaises est ainsi déjà plus basse que le fameux triple-A. La gestion d’un portefeuille en titres à revenu fixe implique donc aujourd’hui de procéder à ses propres démarches pour évaluer la qualité des dettes respectives, intégrant les éléments macro, les fondamentaux comme l’analyse technique.

La transformation du marché obligataire se manifeste également par un élargissement de l’univers de titres disponibles pour atteindre «l’équilibre entre les risques et les opportunités basé sur une vision à long terme. Au sein des pays en développement, nous avons le choix entre les dettes souveraines en monnaies locales ou dures, et de plus en plus d’entreprises émettent des titres de dette, se réjouit Alia Yousuf. Quelques sociétés de bonne qualité, par exemple d’Abu Dhabi ou du Brésil, entrent sur le marché. Et même dans un contexte très défavorable à la prise de risques, l’appétit pour des titres à bon prix est toujours là.»

Christian Affolter/Agefi dec11

3 réponses »

  1. Parlant d’obligations ENCORE FAUT-IL QU’ELLES SOIENT BIEN « OBLIGÉES » de payer les coupons ?
    Car il y en a de plus en plus et des grands noms compris (au hasard Royal Scotland Bank)
    QUI ONT SUSPENDUS (sic) LE PAIEMENT DU COUPON pour deux ans ou plus
    ET SANS OBLIGATION DE REPRISE DU PAIEMENT PASSÉ NI …. DES FUTURS.
    Autrement dit, ce sont des obligations qui ne sont plus obligées … DE RIEN !
    Il y a de fait plusieurs types d’obligations et les « toutes petites » lignes qui mentionnent cette « possibilité »
    Ben, PERSONNE (???) NE LES LIT ET ENTÉCA PAS MOI. A bon entendeur salut !

    « La leçon valait bien un fromage … sans doute ? »

    Étonnant non ?

    Aussi, la démonstration est faite qu’on peut se RUINER PARFAITEMENT ET CE, JUSTE avec des « BLUE CHIPS » !
    Moins 75% pour certains (j’ai les noms ! hum) en 5 ans et ‘ »juste avec du bon hein » !

    Alors ben …. MEILLEURS VOEUX MES AMIS et que 2012 NE SOIT PAS LE ARMAGEDDON DES BOURSICOTEURS EN TOUT GENRE !
    BRRRRRRRRRRRR !!! A.C

    • « Autrement dit, ce sont des obligations qui ne sont plus obligées … DE RIEN ! » alors ça je retiens !!!
      Merci Cher Antoine et tous mes voeux d’excellente continuation pour l’année prochaine mème si vous le savez ici vous n’ètes jamais obligé de rien !!!!

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