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A Lire et relire /Ayn Rand – La Grève – Atlas Shrugged

A Lire et relire /Ayn Rand – La Grève – Atlas Shrugged

«J’espère que nul ne viendra me dire que des hommes tels que mes personnages n’existent pas. Le fait que ce livre ait été écrit et publié est la preuve qu’ils existent.» C’est ainsi qu’Ayn Rand conclut la postface d’Atlas Shrugged (La Grève en français), roman philosophique écrit en 1957, traduit en 17 langues, vendu à 10 millions d’exemplaires et considéré, selon un sondage conduit par la Bibliothèque du Congrès américain, comme le livre le plus influent aux Etats-Unis, après la Bible. Ses personnages: des hommes et des femmes sculptés dans de l’acier, au regard haut et vif. Mais ils sont aussi charismatiques, confiants, inventifs, aventureux, puissants, sensuels, athées, entrepreneurs, orgueilleux, fiers et individualistes.

Mais, au fait, qui est Ayn Rand? L’aventure de cette «Jeanne d’Arc du capitalisme» est racontée avec brio par le philosophe français Alain Laurent dans Ayn Rand ou la passion de l’égoïsme rationnel sorti de presse l’an dernier à Paris. L’histoire de son enfance et de sa jeunesse explique l’évolution psychologique de la romancière. Ayn Rand est un nom d’emprunt. Alisa Rosenbaum est née le 2 février 1905 dans les faubourgs de Saint-Pétersbourg, au lendemain de la sanglante répression antirévolutionnaire. En 1910, sa famille déménage au centre-ville dans un appartement plus spacieux donnant sur la célèbre Perspective Nevski, l’avenue principale. La jeune fille grandit dans un environnement aisé et bourgeois.

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La famille Rosenbaum entreprend un grand voyage en 1914 qui la conduira en Europe centrale et occidentale, en passant par la Suisse avant d’arriver à Paris. Après un retour chaotique puisque la guerre est déclarée, la vie reprend à Saint-Pétersbourg. Mais tout sera bouleversé dès février 1917 lorsque commencent les premiers troubles contre le régime tsariste. L’immeuble où habitent les Rosenbaum est envahi et confisqué par les révolutionnaires. «Alisa Rosenbaum dit alors définitivement adieu à l’insouciance de l’enfance. Il lui en restera une haine inexpiable pour le collectivisme et le communisme», écrit Alain Laurent. Par la suite, la famille choisit un exil volontaire en Crimée. Le retour, en 1921, est cauchemardesque. La ville est rebaptisée Leningrad. Une banderole portant l’inscription «Longue vie à la dictature du prolétariat» flotte sur leur ancien immeuble. A la place de leur spacieux appartement, la famille a droit à une pièce sans eau ni électricité. Le décor est planté. La décision est prise. Alisa Rosenbaum partira aux Etats-Unis. Elle emportera avec elle une furieuse haine du collectivisme.

La métamorphose d’Alisa Rosenbaum en Ayn Rand a lieu dès son arrivée sur l’autre rive de l’Atlantique, en février 1926. Avant de monter à bord du paquebot De Grasse, la jeune femme doit parcourir des centaines de kilomètres jusqu’à Moscou et Riga pour obtenir un visa. Elle l’obtient pour une durée de six mois seulement. C’est en épousant Frank O’Connor, en 1931, qu’elle obtiendra la nationalité américaine. Ni Ayn Rand ni ses héritiers républicains ne se référeront trop aux humiliations subies des mains des services d’immigration américains. Les conservateurs montrent peu d’égards envers des étrangers sur sol américain, allant même jusqu’à les traiter de parasites.

Passant de petit boulot en petit boulot, de scénariste à Hollywood à écrivaine, Ayn Rand commence à se faire un nom. En 1932, un journal américain – le Chicago Daily News – lui consacre un premier article titré «A Russian Girl in Hollywood». L’Amérique découvre une nouvelle auteure engagée et qui donne du fil à retordre aux éditeurs qui lui reprochent son anticommunisme primaire et de donner une image excessivement négative de l’Union soviétique. La jeune femme rétorque: «New York est pleine de gens vendus corps et âme aux Soviets.»

Elle règle son compte à son pays d’origine dès son premier livre important et autobiographique, We the Living. Il s’agit d’un réquisitoire de l’individu contre la société. «Personne ne peut dire à un homme pour quoi il doit vivre. Personne ne peut s’arroger ce droit parce qu’il y a en l’homme des choses qui sont au-dessus de tous les Etats, de toutes les collectivités. Quelles choses? Son esprit et ses valeurs. Tout homme digne de ce nom ne vit que pour lui-même. Nous n’y pouvons rien parce que l’homme est né ainsi, seul, entier, une fin en soi. Aucune loi, aucun parti ne pourra jamais tuer cette chose en l’homme qui sait dire: Je.»

We the Living constitue la pierre angulaire de la pensée d’Ayn Rand. Elle s’appuie sur la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis qui érige l’individualisme en principe fondateur et fédérateur pour l’opposer au totalitarisme. Pour elle, la messe est dite: l’individu s’accomplit dans l’action créatrice au sein d’une économie capitaliste et libérale et l’Etat n’existe que pour protéger les droits individuels.

Ayn Rand fait une démonstration plus poussée de sa pensée dans The Fountainhead (1943), puis dans le grand opus Atlas Shrugged (1957). Dans le premier, Howard Roark, le caractère central, un architecte anticonformiste, dit: «Je ne discute pas; je ne coopère pas; je ne collabore pas; je ne veux pas aider; je travaille pour moi.» Le héros d’Ayn Rand ira jusqu’à saboter à coups d’explosifs un immeuble dont les plans sont sortis de son «génie». Il ne supporte pas les modifications apportées par l’un de ses confrères. L’écrivaine met en scène un énorme procès contre l’architecte, qui, par orgueil et fierté personnelle, va jusqu’à détruire le rêve de logement de plusieurs centaines de familles. C’est le procès d’un individu égoïste contre l’intérêt collectif. Howard Roark sera déclaré non-coupable.

Atlas Shrugged est tout aussi captivant. Dans une fresque dramatique, Ayn Rand chante les louanges de l’homme et de sa capacité à lutter pour son bonheur personnel et à d’entrer en rébellion contre la collectivité qui n’a pas de comptes à rendre. Ce roman met en scène une grève qui va paralyser le monde, une action conçue par les rebelles visant à «mettre fin à la tyrannie de l’Etat qui consomme mais ne produit pas».

Au fil de ses essais, discours et romans, Ayn Rand s’est créé un courant de pensée connu désormais comme l’objectivisme. Pour la championne mondiale de la rationalité existentielle, l’individu est un être héroïque, avec le bonheur personnel comme objectif, et qui existe par la réalité objective et non par des perceptions. Un et un font deux; il n’y a pas de place pour les interprétations, la foi ou les sentiments. L’objectivisme reconnaît le droit individuel de défendre son propre intérêt. Ce droit a pour corollaire la propriété. Tout transfert fait l’objet de négociations dans l’attente de bénéfice mutuel. La défense de son droit exclut la violation du droit des autres. Ayn Rand défend le capitalisme et une société du laisser-faire qui permet à chacun de prospérer. Dans une telle société, toutes les relations sont volontaires. Les hommes sont libres de coopérer ou non, d’acheter ou non.

Comment alors cette auteure à succès est-elle restée une grande inconnue en Europe? Dans son livre, Alain Laurent fait d’abord ressortir qu’Atlas Shrugged, traduit en italien, espagnol et allemand, s’est vendu à des milliers d’exemplaires en Italie, en Espagne ou encore aux Pays-Bas. En revanche, il n’a été traduit en français qu’en 2011 pour cause de barrière idéologique. L’intellectuel français, qu’il soit de gauche ou de droite, tient encore à l’Etat social, explique Alain Laurent. Une tentative de traduction en 1958 en Suisse  par Jean-Henri Jeheber, un éditeur allemand établi à Genève, s’est soldée par un échec.

Source Le Temps Aout2012

4 réponses »

  1. Ayn Rand et Alan Greenspan : la question de la justice.
    En ce qui me concerne aujourd’hui, dans le but de répondre à la question posée en titre « Qui est Alan Greenspan ? », je retiendrai d’abord que, selon Bradford (1997), Greenspan est la personne qui a envoyé une lettre en 1957 – il a donc alors 31 ans – au rédacteur en chef du New York Times Book Review pour louer Atlas Shrugged, le dernier best-seller de Ayn Rand. Selon lui, ce livre est la « célébration de la vie et du bonheur » (en anglais « happiness »), il témoigne de « l’implacabilité de la justice », il fait apparaitre que « les individus créateurs qui poursuivent leurs desseins sans déviation (avec intransigeance…), étant donné leur rationalité, atteignent le bonheur (en anglais « joy ») et connaissent leur accomplissement ».
    Et, ce fut le point de départ de ses relations avec Ayn Rand, de 21 ans son ainée – en les développements de la pensée de laquelle, soit dit en passant, certains (comme Prowse, 1993) voient un exemple de « darwinisme social » ! -. Il devint membre du cercle de discussions philosophiques, dénommé « Collective », de Ayn Rand. Selon Bradford (1997) : « The Collective had no formal membership, so the question who was and who was not a member is somewhat nebulous. Some members casually refer to Murray Rothbard as a former member, while others bristle at the notion ».
    (Georges Lane dans un exposé à une réunion de « Raison, Individu et Liberté » – the French Ayn Rand Society -, 17 mars 1998 ; ALEPS, 35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris – Extraits)

  2. J’ai lu « La vertu d’égoïsme  » et suis en train de lire « La grève ». C’est une sorte de révélation. Il y a tant de choses justes, éclairantes sur notre époque actuelle, tant d’idées vraiment fécondes et pourtant souvent simples, comme celle-ci que je formule ainsi : le droit de propriété a été dénaturé. Il signifie le droit d’acquérir, par ses propres moyens, ce dont on a besoin, et le droit de le garder, il ne signifie pas le droit d’avoir, par principe, ou le droit d’obtenir inconditionnellement.
    D’autre part, je pense, vu le discours de D’Anconia sur l’argent par exemple, que Rand n’aurait pas du tout approuvé les prouesses boursières.

  3. Un esprit libre
    Citation
    «L ‘individualisme considère l’homme – chaque homme – comme une entité souveraine et indépendante qui possède un droit inaliénable à sa propre vie, un droit qui découle de sa nature en tant qu’être rationnel. L’individualisme soutient qu’une société civilisée, ou toute forme d’association, de coopération ou de coexistence pacifique entre les hommes ne peut être atteinte que sur la base de la reconnaissance des droits individuels, et qu’un groupe, comme tel, n’a d’autres droits que les droits individuels de ses membres.» L’idée sous-jacente est qu’aussi bien le racisme ordinaire que l’ethno-communautarisme en train d’apparaître pour justifier l’«affirmative action», c’est-à-dire la discrimination positive favorisant les «minorités», sont deux formes apparentées du «tribalisme», d’un collectivisme sociologique tyrannique dont l’essence est de nier l’individu »

    Un autre « esprit libre »vient de nous quitter l’écrivain MgDantec.Qui fut l’argement « exécuté par les médias Français pour avoir énoncé le premier certaines vérités..

  4. Tout ce qui est personnel ou individuel doit disparaître – la manière, le but, le sens etc – pour laisser place à la manière, au but, au sens édictés par la collectivité au nom d’un prétendu bien commun. C’est ce qui a coulé l’union soviétique qui a fini par décourager, démobiliser, dégoûter toutes les initiatives et énergies individuelles. A quoi bon, quand il est inutile de penser, d’inventer parce que ce sera détourné et gâché.
    Reste à savoir si on ne suit pas un peu le même chemin par chez nous avec l’inflation des lois, le développement de la technocratie, la croissance de la bureaucratie, la montée en puissance du politique.

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