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L’Edito du Dimanche 10 Février 2013: Une certitude, l’Amérique fera, d’une manière ou d’une autre, défaut sur sa dette Par Bruno Bertez

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L’Edito du Dimanche 10 Février 2013: Une certitude, l’Amérique fera, d’une manière ou d’une autre, défaut sur sa dette Par Bruno Bertez

C’est un enseignement de l’histoire, les dettes exceptionnelles ne sont jamais honorées. Elles sont soit répudiées, soit détruites. Il viendra un moment, après la phase aigue de la crise, ou tout le monde prendra conscience du risque qu’il y a,  en nos sociétés de tuer la croissance, l’espoir et la mobilité/fluidité sociale. Sans compter les libertés.

Les sociétés pseudo démocratiques ont acheté la paix sociale par ce que l’on peut appeler « la prime de risque communiste »: des salaires croissants, des transferts sociaux, des sécurités, des créations d’emplois, qui ont rendu légitime l’ordre social existant.

L’accumulation des  dettes, son corollaire le creusement des inégalités, le chômage, rendent  cette solution maintenant périmée.

On ne peut continuer.

Déjà la doctrine type FMI du rééquilibrage par l’austérité bat de l’aile. Elle est refusée par les Etats Unis pour eux même, elle est contestée, de plus en plus en Europe. Concrètement, on s’en écarte jour après jour en repoussant, discrètement les échéances.

Il viendra un moment ou les Etats Unis seront légitimes à proposer des solutions. Solutions dans l’intérêt général, mais bien sur, surtout dans leur intérêt. Ces solutions passent par la réduction drastique du poids des dettes, du poids du passé et des réformes pour un nouveau départ.

Ce qui sera un coup de force passera pour ce qu’il ne sera pas, une sorte cadeau des Etats Unis au monde global, selon la même dialectique qui a conduit à la fin de l’étalon devise-or.

La présente situation monétaire est temporaire, nous dirions même qu’à l’échelle de l’Histoire, ce sont ses derniers moments. Le monde global ne peut pas vivre noyé sous les liquidités éternellement. Un jour ou l’autre, il faudra sortir des politiques monétaires et fiscales non conventionnelles. Elles construisent elles même leurs propres limites. C’est alors que se posera la question d’un système monétaire plus satisfaisant, plus équilibré, meilleur reflet de la situation et des rapports de forces globales. Un système qui traduira l’ordre nouveau et non pas celui, qui joue les prolongations, qui est issu de la seconde guerre mondiale. Un système qui permettra de profiter des progrès de la science et des techniques et de le mettre au service des hommes.

Soit on le fait volontairement, de façon négociée, soit cela se fait dans le chaos, par la multiplication des crises, les affrontements et finalement la violence.

    Le présent papier s’inscrit dans le droit fil de notre article intitulé « Pierre Laval, nous voilà ! ». Dans cet article récent, nous avions tiré prétexte de la hausse de l’euro et de quelques déclarations gouvernementales pour souligner la contradiction qu’il y avait entre mener une politique de déflation interne et, en même temps, maintenir le change. Nous avons rappelé l’exemple historique de Pierre Laval en 1935, lequel a pratiqué une politique de déflation des prix et des salaires, mais s’est totalement opposé à une dévaluation du franc par ce que l’on a appelé le patriotisme monétaire. Son conseiller Jacques Rueff avait pourtant mis toutes ses forces pour le persuader de la nécessité d’une dévaluation. Beaucoup d’observateurs dans la presse avaient fait de même. Pierre Laval s’est entêté. C’est cela qui est la cause directe de la dislocation de 1936. Il a semé les germes de toute l’histoire qui allait suivre.

Nous rappelons que nous sommes pour un change stable et sain, une monnaie non manipulée, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. La monnaie  ne devrait pas être politisée. Hélas, quand on a choisi une mauvaise politique comme celle de l’austérité et de la déflation, si on veut échapper aux dislocations sociales, on est obligé de compléter  ces politiques stupides par une dévaluation elle-même tout aussi stupide. Tout se passe comme si deux stupidités faisaient un moindre mal.

Les voix se sont donc élevées ces derniers jours en Europe afin de réclamer que l’on se préoccupe du niveau de l’euro vis-à-vis des monnaies concurrentes. Elles se sont élevées, mais bien timidement, car, en ce domaine, les politiques savent qu’ils marchent sur des œufs. Ce qui est frappant, c’est le double langage, encore que l’on ne devrait pas en être frappé, car il est coutumier. A usage intérieur, on n’hésite pas à proclamer que l’on veut faire baisser l’euro ; à usage extérieur, on emploie des tournures beaucoup plus alambiquées, des circonlocutions et des détours.

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C’est l’une de ces circonlocutions de François Hollande que nous voulons analyser. Mardi 5 février, François Hollande s’est exprimé sur le sujet monétaire : « une zone monétaire devrait avoir une politique de change. En l’absence d’une telle politique, elle subit un taux de change qui ne correspond pas à l’état réel de son économie. Il ne s’agit pas de faire fixer une parité extérieure par la BCE, elle est indépendante, mais de s’engager dans la voie des réformes essentielles du système monétaire international ».

A première lecture, nous avons été enthousiastes ; pour une fois, nous nous sommes trouvés d’accord avec une déclaration de François Hollande. Hélas, consciencieux, nous avons fait une seconde lecture et nous nous sommes aperçu que ce texte était de la bouillie pour les chats, tellement incohérent, mélangeant tout, qu’il se discréditait lui-même. Le ministre allemand des Finances Philipp Roesler ne s’y est pas trompé qui a déclaré purement et simplement « l’objectif doit être d’améliorer la compétitivité et non pas d’affaiblir le change ».

Deux problèmes sont en effet totalement mélangés. Le premier problème est celui d’une politique monétaire unique, appliquée à un ensemble économique disparate, dont les degrés de compétitivité sont divergents. La question qui se pose sous cet aspect est de savoir comment on pourrait influencer le change alors que ce change recouvre des situations économiques et concurrentielles non seulement différentes, mais,  en plus, en cours d’accélération de divergence. Aucun taux de change ne peut satisfaire à la fois les pays du nord, les pays du sud et en même temps la France. Ceci tient bien sûr aux différences de compétitivité, mais également aux structures très différentes des économies, aux modalités des spécialisations internationales de chaque pays, au poids des secteurs protégés en regard des secteurs exposés. Aucune intelligence, fut-elle constructiviste, socialiste, hollandaise ou moscovicienne, ne peut suggérer un optimum dans ces conditions. Il est vrai que dans la situation présente,  c’est la force de l’Allemagne qui imprime la tendance de l’euro et qui fait qu’il est recherché. L’Allemagne est forte et, en plus, elle tient quand même la BCE en bride. On sait qu’avec elle on va dévaler la pente de l’inflationnisme, mais que ce ne sera pas au point d’y rejoindre les Etats-Unis et le Japon. Le taux de change constaté sur les marchés est un taux synthétique, une résultante, qui tient compte de tous les facteurs que nous avons évoqués ci-dessus. Y compris de la pression de la France pour un change plus bas.

La seconde partie de la déclaration de Hollande n’a aucun rapport avec la première. Seule la dialectique de cour d’école ou de congrès socialiste permet de faire un lien entre les deux propositions de Hollande. Il est évident qu’il faut s’engager dans la voie de réformes  essentielles du système monétaire international. C’est un problème fondamental de notre époque.  Il a été abordé lors de l’éclosion de la crise par la France, par la Russie, par la Chine, par le Brésil, mais toujours les Etats-Unis et leurs alliés anglo-saxons ont réussi à détourner l’attention et à recouvrir cette question du voile impudique de leur impérialisme.

Sous cet aspect, il faut exonérer Hollande des incohérences de la première partie de sa déclaration et le soutenir dans la seconde. Oui, il faut aller dans le sens d’une réforme maitrisée du système monétaire international.

Tout le monde sait que la situation actuelle est intenable à long terme ; pour une raison simple, les Etats-Unis se refusent à mettre de l’ordre dans leur maison. Ils préfèrent continuer comme avant, creuser les déficits, empiler les endettements, imposer le monopole du dollar. Ceci conduira obligatoirement à la catastrophe finale. Et tout le monde au niveau des responsables politiques le sait. Encore maintenant, à l’occasion du « fiscal cliff », la démonstration est faite que les Etats-Unis ne veulent pas changer. Ils veulent que cela continue et ils sont en position d’imposer que cela continue.

Depuis 2008, les Etats-Unis n’ont mené qu’une seule politique : gagner du temps. Cette politique s’est articulée autour des actions suivantes :

–        Empêcher les créanciers d’abandonner le dollar

–        Empêcher l’émergence d’alternatives simples ou complexes au dollar

–        Discréditer les autres monnaies

–        Empêcher la déconnexion entre le pétrole et le dollar.

Tout ceci converge vers un seul but, tirer le plus longtemps possible le maximum d’avantages de la situation dissymétrique globale. Les médias n’en parlent pas, les marchés bien évidemment non plus et, quant aux politiques, ils font le faux calcul qu’ils ont intérêt à faire l’autruche et à tenter de se préparer en douceur à l’inéluctable.

Le système actuel ne repose pas sur la confiance, celle-ci est définitivement détruite, il repose sur le calcul. Calcul du meilleur moment pour en sortir, calcul du meilleur moment pour arrêter de le soutenir, définition et mise en place des moyens de tenir jusque-là. Vous avez remarqué que l’on ne proteste même plus quand les Etats-Unis font des Quantitative Easing.  Tout le monde sait qu’à long terme, leur objectif, c’est le défaut de paiement. Analysez toutes les petites mesures soi-disant insignifiantes que vous voyez passer à la lueur de cet objectif américain et à la lueur des préparatifs des autres grands pays. Vous verrez que tout est cohérent.

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Dans leur ouvrage désormais classique, «Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière», les économistes américains Carmen M. Reinhart et Kenneth Rogoff ont étudié plus de 40 pays émergents touchés par des crises monétaires, bancaires ou de dette souveraine (parfois une combinaison des trois) entre 1980 et 2002. Les causes de ces crises ont été multiples et complexes, mais presque toujours un ratio dette publique/PIB très élevé était – en partie au moins – à l’origine des crises. Selon les calculs de ces économistes, le ratio dette/PIB des pays émergents a culminé à environ 100% en moyenne à la fin des années 1980, avant de significativement redescendre. Actuellement presque tous les marchés émergents importants respectent le critère de Maastricht d’un ratio dette publique/PIB inferieur a 60%. 

En revanche, lorsque l’on se tourne vers les pays du G7, force est de constater que la situation d’endettement des gouvernements y est spectaculaire. Selon les estimations du Fonds Monétaire International, à fin 2012, le ratio dette/PIB atteignait presque 240% au Japon, 120% en Italie, 110% aux Etats-Unis, 90% en France, au Royaume-Uni et au Canada et tout de même 80% dans l’autoproclamée «frugale» Allemagne. Cela signifie, pour l’ensemble des pays du G7, une moyenne pondérée par leur taille économique de 125% du PIB, soit plus du double du critère de Maastricht.

De là à prendre l’expérience des pays émergents d’il y a vingt-trente ans comme modèle de ce par où les pays développés risquent de passer d’ici peu, il n’y a qu’un pas. Il n’existe en fin de compte que cinq manières pour un pays de réduire son ratio dette/PIB: 1) la croissance, 2) l’austérité, 3) le défaut de payement, 4) une inflation couplée avec une répression financière et 5) une inflation incontrôlée…

Le plus grand risque de la quatrième solution est que l’inflation élevée soit de moins en moins sous contrôle et que l’on glisse peu à peu dans la cinquième solution pour réduire le poids de la dette: une spirale inflationniste incontrôlée.

En fin de compte, l’avenir de pays surendettés est incertain, voire effrayant. Les expériences passées et surtout celles de pays émergents entre 1980 et 2002 nous ont appris, qu’il est illusoire de croire qu’un pays avec un ratio dette/PIB de plus de 100% remboursera ses créanciers. Et même si, le cas échéant, il rembourse les créanciers, ces derniers auront perdu du pouvoir d’achat sur les fonds prêtés. Il convient donc d’éviter de se retrouver captif d’obligations d’Etat considérées comme sûres mais qui ne le sont pas du tout.

Andréas Hofert/UBS

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Les partenaires/rivaux des Etats-Unis se sont résignés à une politique de lâcheté, en particulier les Allemands qui, en matière monétaire, voient plus clair que les autres. Ils pratiquent une double politique :

–        D’abord, ils cherchent à s’extraire au maximum de l’influence des Etats-Unis, ils désimbriquent leur système du système américain afin d’être relativement protégés quand se produira le grand choc. Tout cela constitue un ensemble de mesures discrètes mais convergentes

–        Ensuite, les différents pays cherchent à profiter de la mauvaise gestion américaine et à en tirer bénéfice. Ils ne s’opposent plus à cette mauvaise gestion. Ils font en sorte de tirer le maximum, à l’abri du laxisme américain. Cela est particulièrement net pour les Chinois.

Nous pensons que cette situation de complicité et de connivence tire à sa fin. Nous pensons qu’elle tire à sa fin car les tensions financières, géopolitiques et militaires, sont croissantes. Après le mois de mars, échéance du « fiscal cliff » américain, on y verra plus clair. Ce que beaucoup de responsables gouvernementaux savent sans jamais aborder la question, c’est qu’une partie de la base républicaine américaine souhaite un défaut pour se libérer de sa dette. Et c’est la base la plus cynique, la plus pugnace.

Le monde a le choix entre, d’un côté continuer d’être le jouet des événements et tenter d’en tirer le maximum, ce qu’il fait actuellement ou alors essayer de maitriser, de prévoir et d’organiser. Il ne s’agit pas de nier les forces qui sont à l’œuvre ou les réalités en présence, il s’agit simplement d’en prendre conscience et de tenter de peser afin que l’on puisse éviter le chaos.

Ne vous y trompez pas, la lâcheté est générale. Les marchés sont méprisables, rien de bon ne sort de la confrontation de la veulerie et des égoïsmes. Ils donnent le spectacle d’un monde qui ne se préoccupe nullement de l’optimum présent ou de l’optimum futur. Les marchés ne veulent qu’une chose, faire le maximum d’argent.

Du côté des gouvernements, ce n’est guère mieux ; c’est la politique du chien crevé au fil de l’eau ; celle qui consiste à tenter de faire comme le voisin, mais guère pire,  et surtout à ne prendre aucune initiative qui dévoilerait la gravité de la situation.

BRUNO BERTEZ Le Dimanche 10 Février 2013

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EN LIEN: Les Clés pour Comprendre du Vendredi 1er Février 2013: Laval, nous voilà ! Par Bruno Bertez

EDITO PRECEDENT: L’Edito du Jeudi 24 Janvier 2013 : « Comme à Davos, la résilience dynamique des marchés vers les sommets!  » Par Bruno Bertez

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