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Chypre: Touche pas à ma Banque- Je prends ton oseille, et tire toi!!!

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Chypre: Touche pas à ma Banque – Je prends ton oseille, et tire toi!!!

Toucher à l’épargne, la mesure de dernier recours!!!!

 Comme en Argentine en 2001, Chypre se met à dévorer ses propres épargnants. Illustrant combien les Etats en viennent, in fine, à faire payer les ardoises d’une crise financière à la population.

C’est une première dans la crise secouant l’Europe depuis trois ans. Ponctionner les dépôts bancaires. C’est également censé être une dernière. Le chef de fil des argentiers de la zone euro, Jeroen Dijsselbloem, a martelé au cours du week-end «qu’il n’y a pas l’ombre d’une raison permettant d’évoquer» l’imposition d’une solution similaire aux Espagnols ou aux Italiens.

De la Côte d’Ivoire en 1988 à l’Equateur ou l’Ukraine dix ans plus tard, les précédents de crises bancaires se soldant par l’effacement d’une partie des dépôts restent pourtant nombreux.

Souvenirs du «corralito»

L’Argentine de la fin 2001 résonne d’une manière particulière en Europe. Alors que les mesures d’austérité promettent le «déficit zéro» et que le chômage explose, Buenos Aires installe un «corralito» empêchant l’accès au liquide sur les comptes bancaires. Peu après, le nouveau président du pays abolit la règle du «un peso pour un dollar». Puis, revenant sur sa promesse, annonce que seuls des pesos seront récupérés des comptes sur lesquels étaient déposés des dollars. Sur la base du nouveau taux de change. Nombre d’Argentins voient leur épargne divisée par deux.

Le précédent de l’Italie en 1992

La taxe sur les dé­pôts ban­caires à Chypre a eu un pré­cé­dent en 1992 en Ita­lie sous le gou­ver­ne­ment de Giu­liano Amato, lui aussi confronté à une si­tua­tion éco­no­mique très dif­fi­cile, ainsi qu’en Nor­vège en 1936, quoique pour des rai­sons bien dif­fé­rentes.

Le pré­lè­ve­ment, dé­cidé par M. Amato en juillet 1992 et avec un effet ré­tro­ac­tif de deux jours, por­tait sur 6/1000 des dé­pôts ban­caires des Ita­liens, rap­pelle Marco Gior­gino, pro­fes­seur de fi­nance à l’ins­ti­tut MIP Po­li­tec­nico de Milan, in­ter­rogé par l’AFP. Un mon­tant par consé­quent bien in­fé­rieur à celui qui pour­rait à pré­sent être exigé à Chypre (6,75% sur les dé­pôts ban­caires en deçà de 100.000 euros et 9,9% au-delà de ce seuil, ainsi qu’une re­te­nue à la source sur les in­té­rêts de ces dé­pôts).

La ma­noeuvre de M. Amato, très ra­pide et qui avait pris les mar­chés de court, vi­sait à ré­ta­blir les comptes pu­blics très dé­fi­ci­taires du pays. Elle avait per­mis de lever 30.000 mil­liards de lires.

« L’Ita­lie était au bord du gouffre, il n’y avait pas tant de so­lu­tions. Agir sur les im­pôts, sur le pa­tri­moine ou l’im­mo­bi­lier au­rait pris trop de temps: agir sur des comptes cou­rants déjà li­quides a été la so­lu­tion », ex­plique M. Gior­gino.

A l’époque, la po­pu­la­tion avait eu « une ré­ac­tion de sur­prise, pour cer­tains né­ga­tive, mais avec aussi la conscience que c’était né­ces­saire », rap­pelle-t-il. « Cela en a peut-être fait en­ra­ger cer­tains, mais il n’y avait pas tant d’al­ter­na­tives ».

Quoi­qu’il en soit, plus de 20 ans après, cet épi­sode « n’a pas été ou­blié », sou­ligne-t-il, no­tant que le pic de la crise de la dette en Ita­lie fin 2011 s’est tra­duit par un exode de ca­pi­taux vers l’étran­ger par crainte no­tam­ment de voir la ponc­tion se ré­pé­ter.

PLUS DE REPRESSION FINANCIERE EN SUIVANT:

En 1936, la Nor­vège avait pour sa part im­posé sans pré­avis une taxe sur les in­té­rêts des dé­pôts ban­caires.

Il s’agis­sait pour le gou­ver­ne­ment de mettre da­van­tage à contri­bu­tion les re­ve­nus du ca­pi­tal qui, selon lui, échap­paient trop lar­ge­ment à l’im­pôt. Cette taxe éle­vée (25% sur les in­té­rêts) de­vait être ac­quit­tée par les banques qui l’avaient lar­ge­ment ré­per­cu­tée sur les dé­po­sants.

Elle avait pro­vo­qué une contro­verse et conduit à une baisse mo­men­ta­née des dé­pôts, selon Einar Lie, pro­fes­seur d’his­toire de l’éco­no­mie à l’uni­ver­sité d’Oslo. L’ac­tuel pré­sident de la banque cen­trale amé­ri­caine (Fed) Ben Ber­nanke, spé­cia­liste de la crise des an­nées 1930, re­lève que la taxe nor­vé­gienne avait été abro­gée dès l’au­tomne 1936.

En 2008, au mo­ment de de­man­der elle aussi un plan de sau­ve­tage au Fonds mo­né­taire in­ter­na­tio­nal (FMI), l’Is­lande avait pro­vo­qué la co­lère de cer­tains de ses dé­po­sants.

Ce pays qui, comme Chypre, avait un sec­teur fi­nan­cier dé­me­suré par rap­port à son éco­no­mie réelle, avait dé­cidé de lais­ser ses banques faire faillite et de ne pas in­dem­ni­ser les clients étran­gers (prin­ci­pa­le­ment bri­tan­niques et néer­lan­dais) d’une d’entre elles, Ice­save, qui avaient vu leurs éco­no­mies dis­pa­raître.

Quelqu’un doit payer

«Les règles les mieux établies sont toujours abolies sans prévenir, de préférence un week-end», rappelle Simon Mikhailovich, responsable de la firme d’investissement new-yorkaise Eidesis Capital. «Message envoyé par Chypre? Quand la situation est intenable, les gouvernements recourent à la confiscation», poursuit le financier, qui a lancé un fonds investi dans des stocks de métaux précieux.

Selon le pro­fes­seur Eric Dor (IESEG School of Ma­na­ge­ment, Uni­ver­sité ca­tho­lique de Lille), compte tenu des me­sures adop­tées dans le cadre du plan d’aide eu­ro­péen à Chypre, les Chy­priotes « sont punis pour leur sens ci­vique »: au cours du deuxième se­mestre 2012, ils sont les seuls à avoir main­tenu leurs dé­pôts au­près des banques du pays, alors que 4 mil­liards d’eu­ros ont été re­ti­rés du­rant cette pé­riode, sou­ligne-t-il. Selon lui, si une taxe com­pa­rable à celle sur les dé­pôts chy­priotes de­vait s’ap­pli­quer en Bel­gique, elle re­vien­drait à pré­le­ver entre 4.400 et 5.500 euros par Belge.

Selon cet ex­pert, le plan eu­ro­péen est « inique » car « il n’y a au­cune jus­tice à pré­ser­ver to­ta­le­ment les dé­ten­teurs d’obli­ga­tions « se­nior » émises par les banques chy­priotes (les in­ves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels qui ont prêté de l’ar­gent à ces banques, ndlr) tout en ponc­tion­nant les dé­pôts as­su­rés in­fé­rieurs à 100.000 euros des pe­tits épar­gnants ».

Pour Paul Dembinski, directeur de l’Observatoire de la finance à Genève, «on ne sort pas d’une crise financière sans ajuster les passifs du pays à ses actifs; que cela soit par le biais de la taxation, de l’inflation, de la manipulation du change, de taux d’intérêt négatifs ou en faisant fondre la valeur de la monnaie». Et, quand le temps presse, en touchant aux bas de laine. «C’est socialement d’autant plus dommageable que cela touche ceux censés faire ce qui est «juste» à l’aune de notre civilisation: épargner, mettre de côté pour les périodes difficiles», décrit de son côté Simon Mikhailovich.

Aux yeux du patron de Eidesis Capital, les responsables occidentaux essaient de «mettre en place un système de transfert de richesses sophistiqué – un «mix» d’austérité, d’inflation, de réduction de la valeur de la monnaie – et assez étalé dans le temps pour en amoindrir l’impact social». Mais, comme le rappelle ce dernier, le problème ne sera pas résolu tant que «quelqu’un» n’aura pas perdu d’argent. Ou des millions de «quelqu’un».

Par Pierre-Alexandre Sallier/Le Temps+L’ECHO+AFP Mars2013

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