Des buts de guerre en Syrie flous et inatteignables!



Les motifs de scepticisme vis-à-vis d’une intervention militaire des puissances occidentales en Syrie sont nombreux, analyse Henri Weissenbach, ancien éditeur de Georg et bon connaisseur de la région
Aux portes de l’Europe, la guerre ravage la Syrie. En Occident on se préoccupe de faire cesser les massacres. Ce qui a commencé comme un mouvement social, à l’unisson de troubles similaires, qui depuis la Tunisie s’est étendu par la Libye à l’entier du Machrek, s’est poursuivi par un soulèvement d’une partie du peuple contre une oligarchie maffieuse et incapable. Il s’agit bien maintenant d’une guerre après avoir été une révolte populaire. Et d’une guerre civile en plus qui menace de s’étendre à ses voisins partageant comme la Syrie les mêmes ethnies et religions diverses.
La France, l’Angleterre et une partie du Congrès américain souhaitent une intervention. Armer les rebelles et décréter une zone d’exclusion aérienne, envoyer des forces spéciales se battre et des techniciens conseiller les rebelles. Il faut aider ces populations à renverser le régime baassiste du président alaouite honni par une partie de son peuple et, avec la Syrie libérée des Assad, parachever l’entreprise d’éradication par leurs peuples des dictateurs de la rive méridionale de la Méditerranée. Après l’usage ces derniers jours de l’arme chimique, les voix demandant une intervention se font de plus en plus nombreuses et mettent le président américain Obama au pied du mur, lui qui avait averti que c’était une ligne rouge à ne pas franchir.
Mais pourquoi? Voilà une question que l’on n’entend pas. Quels sont les buts de guerre et dans quelle grande stratégie viendrait s’insérer une implication militaire directe de l’Europe et des Etats-Unis? Éliminer les pouvoirs non sunnites des pays de la région? Ou agir dans le cadre du devoir de protéger, et dans ce cas qui protéger? Car pour protéger les uns, il faudra tuer les autres.
Depuis l’intervention des États-Unis en Afghanistan et plus encore depuis celle d’Irak, les justifications proposées pour rendre la guerre juste sont liées à la lutte contre le terrorisme.
En Afghanistan, après ce mobile venait celui de chasser les talibans du pouvoir qui, en plus de leur comportement moyenâgeux, abritaient le meilleur ennemi de l’Amérique, Al-Qaida. Il y avait d’autres mobiles, ceux-ci inavoués.
En Irak, là encore, plus de mobiles que de buts. Il fallait renverser le régime républicain baassiste du tyran Hussein qui menaçait la paix mondiale avec ses armes de destructions massives, et surtout menaçait les pays du Golfe, l’Arabie saoudite et les intérêts pétroliers américains. In fine, ce fut l’argument utile pour forcer la porte à la guerre (auquel on rajouta tardivement le soi-disant soutien irakien au terrorisme international). Le but énoncé par les néorépublicains, c’était, après avoir libéré ces peuples de leurs tyrans et de leurs chaînes, d’établir des régimes démocratiques, s’attelant à une bonne gouvernance et au développement, et accessoirement de lever toutes les entraves au commerce et aux affaires. Ce ne peut pas être un but de guerre, car celui-ci se doit d’être réalisable. Comment dans des pays où la démocratie est un mot de la culture occidentale dépourvu d’existence concrète, sociologiquement déconnecté de la réalité et de la tradition des peuples, transformer l’organisation sociale d’un coup de baguette magique? De là, entre autres, l’échec de ces deux guerres. Pour illustrer ce propos, il convient de renvoyer au renversement du gouvernement égyptien élu dirigé par les Frères musulmans et dont les opposants démocrates se sont réjouis du coup d’État de l’armée.
On l’a vu encore une fois lors de l’intervention en Libye, poussée par la France, une France moins prudente et réfléchie que celle qui interviendra au Mali. Le but proclamé est de faire tomber le tyran et laisser le peuple libyen prendre en main son destin. Ce qui, naturellement, amènera obligatoirement à la bonne gouvernance et au respect des règles universelles de la démocratie. On le voit, ce ne sont pas comme ça que les choses se sont passées et d’un régime despotique on passe à celui du chaos.
Et en Syrie? Intervenir militairement, c’est prendre le risque d’armer et de donner le pouvoir aux ennemis de l’Occident. Toute une frange de militants sunnites radicaux soutenus et financés par l’Arabie saoudite et les pays du Golfe se donne rendez-vous en Syrie pour abattre le régime d’Assad. Aider ces factions, c’est prendre le risque de détruire le régime républicain syrien (certes dévoyé, mais porteur des aspirations d’une partie du peuple arabe depuis la fin de l’Empire ottoman) laïque et multiculturel. Il est vrai que ce régime n’est qu’une caricature de régime démocratique et républicain, mais il a eu l’avantage de préserver la paix confessionnelle et les équilibres ethniques et ne pratiquait pas le terrorisme d’État. On connaît trop les exactions dont sont capables les fondamentalistes sunnites; ils en ont donné suffisamment d’exemples en Égypte, au Pakistan et en Irak, pour se leurrer sur ce qu’il se passerait si ceux-là arrivaient au pouvoir en Syrie.
En Syrie, les États occidentaux ne peuvent pas se lancer dans une opération limitée comme celle de Libye. Là le pouvoir était dans les mains exclusives d’un despote, de sa famille et de leur camarilla, honnis par la majorité du peuple et sans soutien populaire. Lors de la Seconde Guerre mondiale, les Américains avaient des buts précis vis-à-vis du Japon et de l’Allemagne. D’abord détruire leur puissance militaire et leur infliger une défaite complète en brisant l’outil industriel et la résistance psychologique. Ce fut une guerre totale. Puis, après une épuration et sous occupation militaire, reconstruire l’état sur d’autres bases en lui donnant une constitution et des institutions propres à favoriser une évolution démocratique. À ces conditions seulement, les buts pouvaient être atteints et ils le furent effectivement. Cela signifie qu’une opération en Syrie nécessiterait une implication totale des nations voulant y rétablir la paix et des opérations militaires de grande envergure. Une occupation dans la durée avec un effectif important serait nécessaire pour parvenir à la reconstruction de l’Etat et l’obtention d’un hypothétique consensus politique.
A supposer que les nations occidentales le veuillent, faut-il encore qu’elles le puissent.
La complexité du conflit syrien et les interférences régionales ne portent pas à une vision optimiste sur un tel projet.
L’opération française Serval au Mali a été un succès militaire, car elle avait des buts de guerre limités: chasser du territoire malien les extrémistes qui menaçaient l’existence d’un Etat ami et ouvrir la porte à sa reconstruction. Ni plus, ni moins. La suite est maintenant entre les mains de l’ONU et des organisations de la région. Les guerres d’Afghanistan et d’Irak sont des échecs, car elles avaient des buts beaucoup trop ambitieux. En Syrie, la situation est tout aussi compliquée. Le pays a plongé dans une guerre civile, mêlant des raisons ethniques, religieuses et politiques ainsi que l’implication directe d’entités régionales. Comment dans ces conditions distinguer l’ami de l’ennemi? Est-il un ennemi, le membre d’une communauté chrétienne, ou un Druze, qui soutient le régime baassiste d’Assad par crainte des fondamentalistes sunnites? Est-il l’ami, le sunnite irakien financé par le Qatar qui vient faire son djihad contre l’impie alaouite? Les buts d’une intervention militaire occidentale en Syrie sont trop flous et inatteignables et cette intervention entraînerait vraisemblablement toute la région dans le conflit, le Liban d’abord, y ajoutant la guerre à la guerre.
Par Henri Weissenbach/ Le Temps 29/8/2013
«L’intervention est illicite» /L’action militaire envisagée, analysée par Marcelo Kohen, professeur de droit international à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève.
– Quel statut légal aurait une intervention militaire en représailles à l’attaque chimique ou pour préserver la vie des civils syriens?
Marcelo Kohen: Sans le feu vert du Conseil de sécurité (CS), elle serait illicite. Cela, quelles que soient la durée des frappes, les cibles choisies ou les motivations humanitaires prétextées. Lorsqu’une majorité de neuf voix se dégage au sein du Conseil de sécurité, mais que la décision est bloquée par un veto de l’un ou plusieurs membres permanents, l’Assemblée générale peut être saisie. Dans le cas syrien, il reste donc cette voie qui n’a pas été explorée.
– François Hollande évoque la «responsabilité de protéger les civils» définie en 2005 par l’Assemblée générale des Nations unies. Cela donne-t-il une légitimité à une éventuelle action militaire?
– La «responsabilité de protéger» est un concept qui ne permet pas aux Etats d’agir unilatéralement. Même si l’enquête de l’ONU prouvait la culpabilité du gouvernement syrien, il faudrait encore que le CS décide une intervention militaire. En cas de veto, l’Assemblée générale reste l’organe qui peut parler au nom de la communauté internationale. L’attaque chimique constitue une violation grave du droit humanitaire et un crime contre l’humanité. Le CS pourrait saisir la Cour pénale internationale (CPI), ce que la Suisse propose, depuis plusieurs mois, en vain. François Hollande parle de «punir» le régime syrien. En aucun cas, l’usage de la force ne saurait être justifié ainsi.
– Quelles seraient les conséquences d’une intervention hors d’un mandat onusien?
– Le scénario qui se précise ressemble fort à celui de l’attaque contre l’Irak en 2003, qui avait eu lieu en dehors de tout cadre légal, avec les résultats que l’on sait. Le système de sécurité collective s’en trouve affaibli, et les institutions qui en sont garantes, aussi. Mais comme en Irak, les Etats-Unis et leurs alliés s’abritent derrière l’impunité, sachant que leur action ne peut être sanctionnée par aucun organe. Enfin, les partisans de l’option militaire donnent pour acquis que le recours à la force constitue une solution. Rien ne permet d’affirmer qu’après des frappes aériennes, la situation des civils syriens se trouvera améliorée. Au contraire, cela risque de plonger la Syrie dans une crise permanente, de ralentir le processus de paix israélo-palestinien et de donner des arguments au régime iranien.
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/11560c1a-101e-11e3-a9eb-935518626d1f/Lintervention_est_illicite
En savoir plus sur Le blog A Lupus un regard hagard sur Lécocomics et ses finances
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.













NI PUB, NI SPONSOR, NI SUBVENTION, SEULEMENT VOUS ET NOUS....SOUTENEZ CE BLOG FAITES UN DON



Bonjour,
Enfin, un peu de sérieux.
« En Syrie, les États occidentaux ne peuvent pas se lancer dans une opération limitée comme celle de Libye…Cela signifie qu’une opération en Syrie nécessiterait une implication totale des nations voulant y rétablir la paix et des opérations militaires de grande envergure. Une occupation dans la durée avec un effectif important serait nécessaire pour parvenir à la reconstruction de l’Etat et l’obtention d’un hypothétique consensus politique. A supposer que les nations occidentales le veuillent, faut-il encore qu’elles le puissent. » A cette dernière phrase, on peut éventuellement répondre oui à la première affirmation mais je serai nettement plus circonspect pour la seconde. Serval (le Mali) a littéralement séché l’armée française: http://lemamouth.blogspot.fr/2013/08/syrie-libye-mali-memes-combatset-memes.html (A titre purement personnel, je considère que ça a été le chant du cygne pour cette dernière. Et puis, elle n’a pas empêché la LPM). La Syrie n’est pas la Libye. Ce pays est en guerre depuis 60 ans et, bien qu’objectivement, il ne puisse résister au rouleau compresseur occidental si ce dernier se met en marche comme pendant la seconde guerre mondiale, je ne crois pas que la victoire soit très facile. L’opinion française, préoccupée avant tout de savoir quand elle pourra partir à la retraite pour enfin vivre (c’est là l’horizon indépassable de ce gouvernement et le rêve qu’il propose à sa jeunesse), comme les autres opinions occidentales, n’est pas prêt au grand sacrifice.
Pour l’aspect géostratégique, deux points de vues qui me semblent justes et pertinents: http://blog.realpolitik.tv/2012/11/ou-vont-la-syrie-et-le-moyen-orient/#more-205 et http://blog.lefigaro.fr/malbrunot/2012/09/alain-chouet-nos-ministres-son.html
De ce dernier, j’extrais ceci pour faire mieux comprendre le caractère terrible de cette guerre civile: « Les Alaouites sont considérés par l’Islam sunnite comme les pires des apostats. Cela leur a valu au XIVè siècle une fatwa du jurisconsulte salafiste Ibn Taymiyya, l’ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur persécution systématique et leur génocide. Bien que Ibn Taymiyyah soit considéré comme un exégète non autorisé, sa fatwa n’a jamais été remise en cause et est toujours d’actualité, notamment chez les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans. » Ne nous trompons pas de combat, nous sommes de tradition chrétienne (en passe de devenir crétine avec ce gouvernement) et nous ferions mieux de nous soucier de nos amitiés anciennes.
Pour terminer, je dirai que la cible finale de cette chose est avant tout l’Iran et sa bombe. La Syrie tombée, le pays sera quasiment encerclé. Mais, si le but est un jour atteint, ce sera au prix fort.
Bonne soirée
J’aimeJ’aime
Bonjour,
Je pense que cette info peut vous intéresser.
Une manifestation est organisée mardi 3 septembre (la veille du débat à l’Assemblée) contre la guerre en Syrie, à 19h Place du Trocadéro à Paris.
https://www.facebook.com/events/1411266542425535/
Cordialement,
J’aimeJ’aime