Changes et Devises

Marchés: Le casino des devises sous enquête

Marchés: Le casino des devises sous enquête

Le casino des devises sous enquête Les autorités de plusieurs pays dont la Suisse soupçonnent des manipulations sur le plus grand marché financier du monde. Les échanges se sont popularisés ces dernières années avec l’arrivée de plateformes en ligne

Même Eveline Widmer-Schlumpf le dit. «C’est un fait qu’il y a eu des manipulations sur le marché des changes», a déclaré mercredi la conseillère fédérale en charge des Finances. Avant de se rétracter quelques heures plus tard. «Elle a dit cela, mais elle ne le pensait pas dans ce sens-là», a précisé son porte-parole. En réalité, elle a voulu dire qu’elle savait qu’une enquête était en cours sur une éventuelle manipulation des marchés des changes, a-t-il ajouté.

Rien n’est plus vrai. Il y a une semaine, le gendarme des marchés, la Finma, et la Commission de la concurrence ont annoncé mener des investigations auprès de plusieurs établissements financiers suisses, sans donner davantage de précisions, si ce n’est qu’il existait une coordination internationale sur cette affaire. Elle concerne le marché financier le plus vaste du monde que d’aucuns qualifient de casino déconnecté de l’économie réelle. Chaque jour s’y échangent 5300 milliards de dollars, contre 1527 milliards il y a 15 ans. Plusieurs autorités étrangères travaillent aussi sur ce dossier. C’est le cas notamment en Grande-Bretagne. Lundi, l’Union européenne a annoncé lancer une enquête similaire

La machine s’est emballée avec les révélations en juin dernier de cinq traders. Cités par Bloomberg, ils ont affirmé que des manipulations avaient lieu depuis dix ans. Ils pointent un cours fixé tous les jours à 17h (heure suisse) et sur lequel banques et autres opérateurs du marché se mettraient d’accord pour influencer les prix (lire l’encadré ci-dessous). Les autorités suisses n’ont pas détaillé la cible de leurs investigations. Plusieurs experts interrogés par Le Temps portent cependant leurs soupçons sur cet aspect précis du marché.

Ce système, qui fournit des taux de référence pour de nombreux produits financiers, suscite des doutes sur sa fiabilité. «Dès que des intervenants savent qu’à 17 heures des milliards vont partir dans le système, il peut être tentant pour certains grands opérateurs de discuter au préalable pour connaître l’intérêt de l’autre partie. C’est peut-être ce qui s’est passé», suppose Yves Perreard, directeur et fondateur de Perreard Partners Investment, une société basée à Genève qui propose des services de conseil et de gestion des devises pour les entreprises.

L’idée d’une entente fait d’autant plus son chemin que très peu d’acteurs dominent les changes. A elles seules, Deutsche Bank, Citigroup, Barclays et UBS contrôlent la moitié du marché, selon le magazine financier Euromoney.

«Manipuler le marché des changes dans son ensemble paraît impossible vu sa taille», explique Olivier Scaillet, professeur à l’Université de Genève et au Swiss Finance Institute. Il juge que même un grand acteur ne peut avoir qu’un effet temporaire, de quelques minutes, au vu des sommes en jeu. La Banque nationale suisse a d’ailleurs appris à ses dépens la difficulté d’influencer l’évolution d’une monnaie. Les milliards investis pour freiner la hausse du franc en 2008 partaient souvent très vite en fumée.

Certains relativisent les conséquences de cette affaire. Lars Seier Christensen, le fondateur de la banque danoise Saxo Bank, spécialiste du trading de devises, ne craint pas avoir subi de préjudice causé par une possible manipulation des devises. «Nous recevons entre 6 et 8 prix par seconde pour chaque paire de devises de la part de 12 à 14 grandes banques, à quoi s’ajoutent les offres d’une vingtaine de plus petits acteurs. Il y a plus de prix disponibles que ce que nous sommes ­capables d’absorber. Il est impossible de s’écarter des prix du marché», juge-t-il.

Ce marché concerne toujours plus de monde. Certains s’interrogent sur les risques qu’on y court au-delà des soupçons de manipulations. «Beaucoup de petits investisseurs privés se sont mis à la spéculation sur les devises», observe un trader depuis sa salle de marchés. L’arrivée de nombreuses plateformes, dont Swissquote, qui vient de reprendre MIG Bank, et Saxo Bank par exemple en Suisse, permettant à tout le monde de se lancer avec des petits montants a permis ce développement. Habituellement, il faut de grosses sommes pour investir sur les marchés des changes qui n’évoluent en général que de quelques centièmes de centime chaque jour.

Mais des sociétés ont facilité la tâche de leurs petits clients: «Il suffit de commencer avec 2000 francs, par exemple, et la société met du levier à disposition de son client», explique-t-il encore. En clair: l’apprenti trader peut emprunter pour multiplier ses gains (ou ses pertes). Cet effet de levier peut aller jusqu’à dix fois les montants déposés, explique un autre expert. «Et si le client accumule trop de pertes, la société peut bloquer ses investissements.» De quoi amener Olivier Scaillet à parler de véritable «casino».

La popularité grandissante des plateformes dédiées aux devises est vue d’un œil critique par des spécialistes en raison des prix et des frais de transaction plus élevés. «Un petit client n’obtiendra jamais les mêmes conditions qu’un grand», souligne Yves Perreard. En outre, l’ordre passé par un petit client sur une plateforme de négoce ne sera pas exécuté immédiatement, s’accordent à dire des experts. L’exploitant de la plateforme peut très bien regrouper les différents ordres reçus, puis les placer à un autre moment sur le marché pour obtenir de meilleures conditions et encaisser la différence. «Les exploitants n’ont aucune raison d’exécuter ces transactions tout de suite. Car ils partent du principe que la masse a toujours tort. Si 80% des clients achètent de l’euro contre du dollar, l’exploitant de la plateforme agira peut-être en sens contraire ou gardera simplement les positions dans son portefeuille de négociation. Cela dépend de ses prévisions sur le marché et de sa réserve de capital», cite Yves Perreard.

Par Mathilde Farine et Yves Hulmann Zurich/Le Temps 11/10/2013

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/f6428c60-31e1-11e3-90ce-366ce1911a39/Le_casino_des_devises_sous_enqu�te

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Une affaire qui rappelle celle du Libor Par M. F.

Dans les soupçons de manipulations du marché des changes, il y a comme un air de Libor. Ces taux d’intérêt auxquels les banques estiment pouvoir se prêter entre elles ont fait l’objet d’un énorme scandale, qui a conduit plusieurs établissements à s’acquitter d’amendes salées. Les taux étaient fixés via un sondage auprès de quelques banques. Dans le cas des devises, la fixation du prix ne se base pas sur une estimation, mais sur des transactions réelles. 

Depuis 1994, deux sociétés, World Markets et Reuters, se chargent par ce biais de déterminer un cours de référence, utilisé par exemple pour estimer la valeur des fonds de placement. Chaque heure – ou demi-heure pour les 21 monnaies les plus échangées dans le monde dont le franc – les données de toutes les transactions sont collectées pendant 60 secondes, par exemple entre 16h59 et 17h. Le cours est fixé à l’aide du médian, soit la valeur qui sépare la moitié des données supérieures et inférieures pour éviter qu’une seule grosse transaction affecte le prix. C’est le cours de 17h qui est le plus utilisé comme référence et sur lequel les soupçons se porteraient, selon plusieurs traders. D’importantes transactions ont lieu à cette heure précise. Selon les traders qui ont lancé l’alerte, les acteurs se mettraient d’accord pour influencer les prix et ainsi pouvoir en profiter. L’un d’eux expliquait à Bloomberg que, si un client lui demande d’échanger un milliard d’euros contre des francs à 17h, il aurait deux objectifs: vendre ses propres euros au prix le plus élevé et ensuite faire baisser le cours pour pouvoir racheter les euros de son client à un prix plus faible.

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«Le marché des changes est anachronique» Par Y. H.

Richard Olsen, expert en devises, plaide en faveur d’une réforme en profondeur du secteur

Le Temps: En tant que cofondateur et ex-président de la plateforme de négoce Oanda, avez-vous été surpris par l’annonce des enquêtes ouvertes concernant le marché des devises?

Richard Olsen: Non, car si des failles existent au sein d’un marché, tôt ou tard, quelqu’un sera tenté d’essayer de les exploiter.

– Des inefficiences sont-elles possibles dans un marché aussi concurrentiel que les devises?

– Contrairement à l’image d’un marché ultra-sophistiqué, je pense que les échanges de devises reposent sur un système anachronique. 

– De quel point de vue? 

– Le marché des devises a été créé et reste organisé dans un contexte où tout était exécuté sur papier. Même aujourd’hui, le règlement d’une transaction nécessite deux jours. Il y a une opposition complète entre la partie «front office», visible pour le client, et l’organisation en arrière-plan de chaque transaction. C’est une organisation peu efficace. Mais elle ne change pas car personne n’a intérêt à ce que les choses évoluent. Toutes sortes d’intermédiaires profitent de cette inefficacité.

– Que cela signifie-t-il pour un petit client?

 – Il paie toujours plus que les grands clients. Les clients de base n’obtiennent jamais les mêmes conditions que les grands opérateurs. Résultat: un petit utilisateur perd, en moyenne, entre 3 et 4% de ses avoirs chaque mois.

 – A cause de leur inexpérience?

– Non. En général, la plupart des petits clients font du très bon travail! C’est avant tout en raison des coûts de transaction. Les effets de levier jouent aussi souvent à leur encontre. Si un petit client perd de l’argent sur une transaction, son niveau de levier peut rapidement augmenter au-delà de ce qu’il avait choisi au départ.

– La fixation du cours à certaines heures est-elle utile?

– Non, car ce principe encourage justement certains opérateurs à essayer de mettre à profit des différences de cours. Le «fixing» est un désastre pour l’économie en général car il crée un marché instable. Si le client derrière son écran a l’impression que les opérations sont effectuées en temps réel, le processus d’exécution en ­arrière-plan est, lui, tout sauf en temps réel. Une plateforme de négoce ne va pas exécuter la transaction immédiatement mais regrouper les ordres et parfois les garder pour les effectuer à un autre moment. C’est tout le problème du regroupement des transactions sous forme d’ordres «batch-based».

– Que préconisez-vous comme solution pour changer les choses?

– Il faut réorganiser le marché des changes de fond en comble en faisant reposer les transactions sur un système davantage numérisé. Le marché des devises devrait s’inspirer de la monnaie Bitcoins. Au lieu de continuer de le faire reposer sur des papiers-valeurs, on échangerait des objets numériques émis par un plus grand nombre d’acteurs.

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/f5939fca-31e1-11e3-90ce-366ce1911a39/Le_march�_des_changes_est_anachronique

2 réponses »

  1. La BNS un des plus grand manipulateurs de devises,mais personne ne pointera le doigt dessus!

  2. Non, car ce principe encourage justement certains opérateurs à essayer de mettre à profit des différences de cours. Le «fixing» est un désastre pour l’économie en général car il crée un marché instable. Si le client derrière son écran a l’impression que les opérations sont effectuées en temps réel, le processus d’exécution en ­arrière-plan est, lui, tout sauf en temps réel. Une plateforme de négoce ne va pas exécuter la transaction immédiatement mais regrouper les ordres et parfois les garder pour les effectuer à un autre moment. C’est tout le problème du regroupement des transactions sous forme d’ordres «batch-based.

    C’est exacrtement la même chose sur le marché actions bien qu’il n’y ait pas de fixing. Le fixing limite obligatoirement le volatilété et non l’inverse.

    En fait rien ne change pour le petit client « fixing ou non » par contre pour les gros la volatilité leur permet d’augmenter le nombres de transactions journaliére. Mais le probléme reste la durée du settlement, reglement et augmente donc les risques de faillite en chaine.

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