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L’économie cannibale Par Jacques Sapir ( Avec commentaire de Bruno Bertez)

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L’économie cannibale Par Jacques Sapir ( Avec commentaire de Bruno Bertez)

L’économie de la zone euro est en train de se dévorer elle-même, ou plus précisément une partie de la zone (l’Allemagne et globalement les pays du « Nord ») est en train de dévorer l’économie des pays du « Sud ». 

Prenons l’exemple des dévaluations internes, autrement dit de ces politiques qui consistent à baisser les salaires brutalement, à la fois directement et indirectement par le biais de fortes réductions des avantages sociaux, dans le but, dit-on, d’accroître la compétitivité de ces pays. Que ce passe-t-il alors ? La baisse importante de revenu des ménages provoque une contraction de la croissance (Grèce, Espagne, Italie, Portugal). Cette contraction engendre une chute de la production, mais aussi des marges bénéficiaires des entreprises. Le chômage y dépasse alors les 25% (Grèce et Espagne). Si la compétitivité s’améliore, ce qui est le cas en Espagne, c’est essentiellement au détriment des autres pays du Sud, soit essentiellement la France. La production industrielle se stabilise pour un temps. Mais cela ne dure pas. En effet, la chute des marges globales, et l’incertitude sur le niveau de la demande, entraînent une forte chute de l’investissement. Sans investissement, les entreprises ne peuvent exploiter le gain en compétitivité. Pire, les entreprises ont du mal à renouveler leur appareil productif. Ce dernier vieillissant, la productivité du travail cesse de s’accroître, puis commence à diminuer. 

Graphique 1 

Source: Eurostat 

Il faut alors pousser plus loin la baisse des revenus pour maintenir la compétitivité par rapport aux autres pays. Progressivement, l’économie devient complètement extravertie car la demande intérieure disparaît. Les économies en dévaluation interne ne peuvent trouver leur salut qu’au dépens des autres, car il n’y a plus de marché intérieur. Ce schéma pourrait être acceptable dans le cas d’un petit pays dont les partenaires maintiendraient une politique économique expansive. Mais, quand cette dévaluation interne est le fait de la 3ème et de la 4ème économie de la zone Euro (Italie et Espagne), c’est une politique sans issue. Cela se traduit par une croissance de l’Allemagne, et une stagnation, voire une récession pour l’ensemble de la zone. La productivité globale sur la Zone Euro augmente, du fait de l’Allemagne, mais elle décroît désormais en Espagne et Italie, et stagne en France. Aujourd’hui, l’effondrement de l’investissement (qu’il s’agisse de l’investissement productif ou de l’investissement en logement) est le signe le plus tangible que la crise n’est pas derrière mais devant nous. 

Graphique 2

Source: Eurostat

L’économie témoigne de sa dimension cannibale dans un autre domaine : celui des taux d’intérêts. Il est de bon ton de dire que le pire de la crise de l’Euro est derrière nous (n’est-ce pas M. Moscovici) parce que les taux sont redescendus. Certes, c’est le cas pour les taux nominaux. Mais, comme l’inflation a elle aussi beaucoup diminué, les taux réels restent élevés. Un ministre des finances devrait pour tant le savoir…Et c’est bien la preuve que M. Pierre Moscovici est un incapable. Il ne comprend pas (ou il feint de ne pas comprendre) que ce sont les taux réels qui sont importants. Ainsi, avec 0,6% d’inflation, et un taux nominal de 4,1%, l’Italie se trouve confrontée à un taux réel de 3,5%. En novembre 2012, le taux d’inflation était de 2,5%. Pour obtenir un taux réel de 3,5%, il aurait fallu avoir un taux nominal de 6%, ce qui était le cas. Autrement dit, le taux d’intérêt réel sur les bons du Trésor à 10 ans n’a pas baissé….La situation est pire en Espagne, puisque l’inflation y est négative (déflation). Le taux d’intérêt réel y est de 4,2%. Ces taux d’intérêt réels sont meurtrier pour ces économies. En effet, le fameux ratio Dette/PIB compare des grandeurs nominales. Son taux d’accroissement est Déficit Public/Croissance nominale. Or, la croissance nominale n’est autre que la croissance réelle du PIB (faible ou négative) que multiplie le taux d’inflation. Si ce dernier est très bas, voire négatif, le ratio Déficit public/Croissance nominale sera supérieur à 1, sauf si le déficit est réduit à une valeur très basse. Or, dans le déficit nous avons le poids de la charge des intérêts, qui reste élevée en termes réels. Il en résulte que le ration Dette/PIB continue de grimper rapidement dans ces pays, que ce soit en Italie ou en Espagne. Par ailleurs cela signifie que les rentiers, qu’ils soient des résidents de ces pays ou des étrangers, exercent une pression grandissante sur des économies qui sont déjà dramatiquement affaiblies par les politiques de dévaluation internes.

Que faut-il conclure de cela ? L’économie de la zone Euro voit la situation des pays du « Sud » s’aggraver de jour en jour. Le mouvement des « folconi » en Italie fait écho à celui des « bonnets rouges » en France. Quant à l’Espagne, c’est par le séparatisme économique que se traduit l’ampleur de la crise sociale. Nous arrivons à un tournant, qui se manifestera probablement au printemps prochain. Mais, comme les gouvernements ont les yeux rivés sur les taux nominaux ils ne verront, et ne comprendront, l’ampleur de la crise que trop tard. L’année 2014 pourrait ainsi être le début de la fin pour la zone Euro.

Source  Russeurope 14 décembre 2013

http://russeurope.hypotheses.org/1829

A PROPOS Par Bruno Bertez 

 Ce travail de Jacques Sapir mérite d’être médité et diffusé. L’idée de cannibalisation de l’économie des pays du Sud par celle des pays du Nord est clairement illustrée et démontrée par les graphiques fournis.

Cette analyse, qui se situe au plan économique est imparable. Contrairement à ce qui est affirmé il ne peut y avoir de rattrapage des pays du Nord par ceux du Sud, y compris la France. les uns sont dans un cercle vertueux, les autres dans un cercle vicieux.

Et je soutiens que l’élite Allemande, avec ses excellents économistes, le sait pertinemment. Le retard d’investissement, d’innovation, de constitution de positions commerciales se creuse.

Pour se développer, il faut investir, rattraper son retard d’investissement essentiellement. La baisse des salaires directs et indirects n’a d’effet positif que s’il y a en même temps un effort considérable d’équipement qui est fait. Or dans les pays du sud, d’une part, il n’y a pas assez de demande, d’autre part, pas assez d’occasions rentables d’investissement en raison de la mauvaise spécialisation de l’appareil économique. Non seulement les pays du Nord cannibalisent les économies des pays du Sud, mais les pays du Sud se cannibalisent entre eux! Ne parlons pas du retard en matière d’investissements humains, les uns construisent, les autres détruisent.

La position Allemande est une position de type impériale, elle conseille aux autres de faire ce qu’elle fait, sachant que dans cette voie les pays tiers ne peuvent envisager de rivaliser. Notre comparaison avec la volonté de puissance des années 30 et le Lebensraum est pertinente. Tout comme celle qui concerne les élites françaises collabos.

L’UE n’a de sens que dans le cadre d’une complémentarité au sein de laquelle les Allemands investiraient leurs excédents non pas pour financer de la consommation, mais de l’équipement et de l’innovation. La politique défendable n’est pas celle d’un affaissement de l’Allemagne, voulue par les socialistes français, pas celle d’une compétition perdue d’avance, mais celle d’une complémentarité conçue dans une optique mondiale.

Hélas les Allemands ne sont guère intéressés au développement de leurs vassaux, ils méprisent leur système social, leur paresse, leur peu de gout au travail etc etc.

Et c’est pour cela que je soutiens qu’à ce stade le problème cesse d’être économique, il devient politique.

En raison de la lâcheté des dirigeants du Sud, de la pression de la Finance et de la Banque on accepte une Europe hiérarchisée alors que l’Europe avait été voulue comme un partenariat d’égaux.

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