Commentaire de Marché

Les carences de l’inflation moderne Par Bill Gross

 Les carences de l’inflation moderne Par Bill Gross

Les investisseurs devront reconnaître que la hausse des prix n’est pas une condition suffisante pour créer de la richesse à un rythme adéquat.

Sous mon costume occidental, je suis un nomade philosophe, un penseur à la dérive déguisé en homme d’affaires près d’une plage californienne. Je suis fait de sable – dont la porosité est à la fois ma plus grande force et ma principale faiblesse. A 70 ans, je suis devenu un homme qui ne croit plus au caractère sacré des idées. J’ai des idéaux et des principes moraux, mais je les considère comme spécifiques et personnels. Si j’avais hérité de votre corps et de votre égo, j’aurais tout aussi bien pu assimiler les vôtres. Dans ce cas, si les valeurs sont relatives, alors que devons-nous en faire, mortels que nous sommes? Si l’humanité, enracinée dans des terres sablonneuses, sème au vent des graines idéologiques et que celles-ci prennent racines sous des formes mutantes à différents endroits et à différents moments, sommes-nous en mesure de juger de la vie d’un individu? 

Malheureusement la seule réponse que je puisse apporter à cette question est «pas facilement». Si nous suivons la logique jusqu’au bout, nous sommes donc tous innocents et égaux. Nous sommes nés innocents, nous avons nos moments de faiblesse, mais ce n’est pas grave – nous restons globalement innocents. Mon problème ici est que l’absence de standards absolus peut minimiser la valeur de chaque vie individuelle. Contrairement au sable, poreux par nature, le ciment offre une base plus solide pour pouvoir juger. Mais je pense que nous sommes tous, et de manière instable, enracinés dans du sable. Tous une seule et même matière, mais déguisés en personnes individuelles. 

L’économie mondiale et ses marchés financiers reposent également sur des bases instables. Les dernières décennies, voire les derniers siècles, nous ont appris que l’inflation et la déflation sont les ennemis de la stabilité et de la croissance. Mais la difficulté est de savoir laquelle pointe le bout de son nez. Avant l’avènement des banques centrales au début du XXe siècle, les prix pouvaient monter et baisser tout aussi rapidement. Une très belle récolte, ou un choc d’offre miraculeux, pouvait plomber les prix tout aussi brusquement qu’une découverte de réserves d’or ou d’argent dans le Nouveau Monde pouvait les faire progresser. Même après la «découverte» inouïe de la planche à billets par les banques centrales mondiales, un mauvais réglage ou une erreur d’appréciation par l’un des «sages» pouvait déclencher une dépression et soutenir la déflation. Le monde des années 1930 et plus récemment, les décennies perdues du Japon, en sont une illustration. Les prix changent; or s’ils ont récemment eu tendance à progresser, ceci n’est pas toujours le cas. Nous entrons aujourd’hui dans l’un de ces épisodes d’incertitude. 

Le fait de privilégier l’un ou l’autre est un débat fascinant. Aujourd’hui, quasiment tous les banquiers centraux travaillent avec des objectifs d’inflation proches de 2%. Certains plaident en faveur d’un rehaussement de ces niveaux, maintenant que les démons de la déflation menacent les pays périphériques de la zone euro. Ils estiment que le niveau de 2% est un pare-feu. La théorie veut qu’une fois que l’inflation arrive à des niveaux proches de zéro, la tempête déflationniste est très difficile à stopper. Avec des taux d’intérêt à zéro et des programmes d’assouplissement quantitatifs politiquement proches de leurs maximums, il ne reste plus beaucoup d’eau à verser sur le feu. Mieux vaut donc garder l’inflation à un niveau raisonnable de 2% pour que l’heure zéro n’arrive jamais. Leur raisonnement tient la route, mais comment expliquer à un trentenaire moyen que dans ce cas, un dollar de son épargne-retraite n’en vaudra plus que la moitié lorsqu’il ou elle aura 65 ans, et que si l’inflation reste en moyenne à 3%, il n’en vaudra plus qu’un tiers. Aujourd’hui, un trentenaire des années 1970s (comme moi, en l’occurrence) a subi une dépréciation de 75% de son pouvoir d’achat. Le pare-feu est une assurance qui peut couter cher. 

En poursuivant le raisonnement, nous pourrions en fait nous demander si la baisse des prix est réellement un problème. Les magasins Wal-Mart n’ont-ils pas acquis leur notoriété grâce à des prix bas toute l’année; et où est le problème si le gallon de carburant ne coûte que 3 dollars à la pompe? Plus il y a de dollars dans les portefeuilles des consommateurs, plus il y aura de dépenses, plus les taux de croissance seront élevés et plus il y aura d’emplois.

Jim Grant, un des plus grands spécialistes de l’histoire financière de notre époque, a longtemps soutenu que les économies ont bien résisté durant les épisodes de déflation aux XVIIIe et XIXe siècles – en fait, à plusieurs occasions, elles ont été plus performantes. Dans les années 1880, les Etats-Unis ont connu une période de déflation saine, avec une production en hausse de 2% à 3% entre 1873 et 1893.

M. Grant soutiendrait qu’un objectif d’inflation de 2% est une «escroquerie» des banquiers centraux qui ne savent rien faire de mieux que de créer de la monnaie durant les crises financières et de continuer à en créer durant l’inévitable reprise. Jim Grant fait ici une bonne observation. S’il s’agit de leur mission alors, effectivement, les banquiers centraux l’ont bien remplie. Mais Jim Grant est certainement conscient que notre économie basée sur la finance moderne est très différente de celle du XIXe siècle. «Effectivement, c’est là que se situe le problème» répondrait-il. M. Grant a d’ailleurs écrit un livre soutenant cette thèse, intitulé The Trouble with Prosperity. Selon lui, en effet, la prospérité a créé de l’inflation et des excès. Mais mon problème – pour revenir à la citation en introduction (et la référence à la cellule cardiaque par rapport à la cellule pulmonaire) est que la grande majorité de l’économie du XXIe siècle a été plantée dans le terrain sablonneux de la finance, et non sur des bases «en dur» qui sont celles de l’investissement et de l’innovation. Arrêter de faire tourner la planche à billets semble être une excellente solution pour contrer la dépréciation de notre pouvoir d’achat, mais l’économie d’aujourd’hui, fondée sur la finance internationale, ne peut pas vivre sans. Pour paraphraser Thomas Wolfe, «retourner à la maison» n’est simplement plus possible. Les économies modernes se sont habituées au sable inflationniste et ne peuvent plus pousser dans l’économie «en dur», dont Jim Grant fait l’éloge dans ses ouvrages. 

Pourquoi pas? Pour de simples raisons mathématiques je suppose. Notre économie américaine de 2014 requiert 4% de croissance nominale pour tenir la route, et les économies de la zone Euro, au moins 3%. Après avoir créé des crédits bancaires (officiels et cachés) exceptionnels de près de 100 trillions de dollars, présentant un taux d’intérêt intégré de 4 à 5%, les planches à billet de la Fed doivent générer de nouveaux crédits (croissance nominale) avec un même taux de 4 à 5%, et ce uniquement pour payer les taux d’intérêt. Bien entendu, ceci n’était pas le cas dans le XIXe siècle de Jim Grant – il y avait peu de dette à gérer. Mais la dette atteint aujourd’hui entre 500 et 600% du PIB (dette cachée comprise) et nécessite un travail de Sisyphe juste pour rester à flots. En d’autres mots, ou en termes mathématiques simples, l’inflation d’aujourd’hui est requise pour payer l’inflation passée. La déflation n’est plus une voie acceptable. 

Tel est le dilemme auquel sont confrontés les banquiers centraux (et a priori les autorités budgétaires) pour 2014 et les années qui suivent: comme créer de l’inflation? Pourtant ils auront tout essayé, non? Quatre trillions de dollars aux Etats-Unis, l’équivalent de deux trillions de dollars au Japon, et un trillion via la BCE de Mario Draghi en zone Euro. 

Mais la recette ne fonctionne plus, les trillions semblent se disperser dans les sables de l’investissement et de l’innovation et atterrir dans la bétonneuse des marchés financiers. 

Les prix montent – mais pas les bons. Le jour de son introduction, le cours d’Alibaba s’envole de 68 dollars à 92 dollars en une minute, mais les salaires stagnent des années durant. Une économie (la financière) s’épanouit, tandis que l’autre (l’économie réelle) s’affaiblit. Tôt ou tard – mais le plus tôt serait le mieux, les investisseurs vont devoir reconnaître que l’inflation des temps modernes, bien qu’elle soit devenue nécessaire à la survie, n’est pas une condition suffisante pour créer de la richesse à un rythme capable de répondre à tous les engagements futurs (éducation, santé, retraites correctes). Certes, l’économie réelle a besoin de la planche à billets, mais elle a encore plus besoin de dépenses. Or celles-ci sont tributaires de problématiques budgétaires, traitées par les gouvernements, chez qui les déficits sont des abominations et les budgets équilibrés ont le vent en poupe. D’ici là, la déflation de Jim Grant reste un scénario de plus en plus probable – un scénario qui ne créé pas de la prospérité, mais qui la mettrait plutôt en péril. 

Bill gross  Janus Capital/AGEFI SUISSE 19/11/2014

http://agefi.com/marches-produits/detail/artikel/les-investisseurs-devront-reconnaitre-que-la-hausse-des-prix-nest-pas-une-condition-suffisante-pour-creer-de-la-richesse-a-un-rythme-adequat-386406.html?catUID=19&issueUID=722&pageUID=21587&cHash=62ff0845bdb571a7cfea1850906203c4

2 réponses »

  1. La déflation ne mets en péril que les détenteurs de dettes pas les détenteurs de cash. C’est surement pour cela qu’il veulent euthanasier M1. Pour que les détenteurs de cash ne puissent pas en profiter.

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