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«Charlie» riait aussi des experts financiers

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«Charlie» riait aussi des experts financiers

En reprenant les livres de Bernard Maris, l’économiste de «Charlie Hebdo», on découvre quelques perles qui, comme on pouvait s’en douter, ne manquent pas d’égratigner les détenteurs de vérité

En reprenant les livres de Bernard Maris, l’économiste de Charlie Hebdo, on découvre quelques perles qui, comme on pouvait s’en douter, ne manquent pas d’égratigner les détenteurs de vérité. D’emblée, les titres donnent le ton: Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles comme Des Economistes au-dessus de tout soupçon ou la grande mascarade des prédictions.

On acceptera que certains passages aient vieilli, car ils datent d’il y a plus de 25 ans, ou qu’ils donnent dans le franco-français, mais la plupart des textes – incisifs et sans concession – n’ont pas pris une ride. Le spécialiste y est souvent désigné comme la bête noire, le bouc émissaire facile. Jugez plutôt: «L’expert n’a pas l’honnêteté ou le temps matériel de produire un discours logique. Il se contente d’assertions sur la confiance, les grands équilibres et l’âge du capitaine.»

Epinglant plus souvent qu’à son tour ces soi-disant experts, Maris fait mouche sur la durée: dans un de ses livres, daté de 1999, il se dit épaté – le mot est de lui – par une phrase d’une proche de Bill Clinton à la suite de la débâcle de 1998, qui écrivait: «Une des leçons de la crise est que la confiance basée sur un système opaque peut conduire à de mauvaises décisions.» Aujourd’hui, ce passage lénifiant a de quoi faire réfléchir à double titre. D’abord parce que le système n’a pas été rendu plus transparent depuis lors et surtout parce que l’auteur de ces lignes a, entre-temps, accédé à la fonction suprême de la finance. Rien de moins. En effet, cette inconnue d’alors a pour nom… Janet Yellen, aujourd’hui présidente de la Fed, un des personnages les plus puissants du monde.

Agrégé d’économie, formé à l’Université de Toulouse, spécialiste de l’histoire économique, Maris avouait son admiration pour Keynes et pour Marx. L’une de ses métaphores favorites du capitalisme se rapporte au naufrage du Titanic: «Ne vous inquiétez surtout pas, tout va bien se terminer, hurlait l’armateur qui venait de sauter dans un canot de sauvetage.» En peu de mots, tout est dit.

En compilant nombre de ses livres, j’ai même retrouvé des lignes, pardon une pique, qui nous étaient plus directement adressées. En 1990, il écrivait dans un chapitre intitulé «Un pauvre vient de naître» et consacré aux déboires du tiers-monde: «Il y a quelques années, Swissair ouvrit une ligne directe Abidjan-Genève pour permettre aux Ivoiriens d’exporter paisiblement leurs devises en évitant les tracasseries de la douane française.»

Au lendemain de la disparition de celui qui signait ses articles Oncle Bernard, une question demeure, plus ouverte que jamais: notre système économique supporte-t-il d’être mis en cause? – Officiellement, oui. Dans la pratique, nettement moins; il se défend alors avec ses armes spécifiques que sont l’ostracisme et l’amnésie.

PAR FRANÇOIS GILLIÉRON  Consultant indépendant/ Le Temps 19/1/2015

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/74ca2406-9f3e-11e4-aa73-0eb920ec942b/Charlie_riait_aussi_des_experts_financiers

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