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Mouvement Liberté : Devenir Prof’, l’impasse… Par T34

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Devenir Prof’, l’impasse Par T34

Voici 18 mois que j’enseigne au sein de divers organismes de soutien scolaire, commerce florissant s’il en est, tant en stages de soutien pendant les vacances qu’en cours particuliers. J’enseigne également dans un collège privé. Cette expérience enrichissante et formatrice m’a procuré un point d’observation incomparable sur le cimetière, que dis-je, la fosse commune, qu’est devenue l’Education nationale. Le thème a déjà été traité maintes fois. Je m’intéresserai donc ici à l’imposture des enseignants, telle que je l’ai vue et entendue.

J’emploie le terme de prof’ à dessein. Non pour dévaloriser une profession dont la réputation est déjà sérieusement, inéluctablement, en perte de vitesse. Mais pour adopter, pour une fois, le point de vue de l’élève. Car, en effet, dans ce terme de prof’ jeté à la volée, à la criée oserais-je dire, s’incarnent toutes les failles de l’école. L’interjection prof’ marque d’une part la référence au terme de “professeur”, mais traduit d’autre part toute la désinvolture avec laquelle ce titre est prononcé. Je ne condamne pas cette désinvolture, que d’aucuns qualifieraient précipitamment d’insolence, voire d’impudence. Je ne la condamne pas puisque je la comprends, et je l’invite même. Et qu’aujourd’hui, mon regard a définitivement changé sur ce qu’est “l’éducation”, terme ô combien évasif.

Il me semble que la contrainte constitue le vice fondamental du système. Il “faut” contraindre pour apprendre. Vilipendés sont ceux qui invoquent la curiosité naturelle de l’enfant et son désir incompressible d’explorer, chacun à sa façon, le monde qui l’entoure. Dans cette logique, il est “nécessaire, indispensable” que le professeur oblige et contraigne l’élève, sinon celui-ci se montrera inévitablement oisif, désoeuvré et incapable d’apprendre.

Les thuriféraires du système éducatif en place n’ont jamais le souci de l’enfant au coeur de leurs préoccupations. Et le fait que les jeunes apprennent vraiment quelque chose à l’école, en retirent une expérience enrichissante, ou s’y épanouissent, ne les intéresse aucunement. Au contraire dirais-je même. Les valeurs fondamentales véhiculées par le système scolaire sont la docilité et l’obéissance. Un point c’est tout. Quiconque nie ce fait incontournable ne connaît pas l’école. Il n’y a pas mis les pieds ou se voit en situation de profond déni. Si l’école peut en outre servir de forum de propagande, tant mieux. Développer l’esprit critique, certainement pas. Gardez-vous-en bien!

Les dysfonctionnements du système sont déjà connus. L’échec de l’école républicaine, un thème vu et éculé. Quantité d’ouvrages abordent et développent ce sujet. Ce qui me concerne ici, plutôt, c’est la relation affective qui se tisse entre le prof’ et ses élèves. Ou, au contraire, tout ce dont on passe à côté dans notre relation avec nos chers étudiants. L’apprentissage implique en effet une relation de confiance entre deux personnes. Et il postule un dialogue. Or, l’autorité qu’incarne le prof’, et dont il se prévaut souvent à tort et à travers, empêche la mise en place d’une relation horizontale, source d’échanges et clé de la transmission du savoir.

Je suis toujours très curieux de l’attitude des élèves qui viennent en stages de soutien en période de vacances scolaires. Je suis fasciné par l’intensité de leurs premiers regards, au cours de ces premières minutes si importantes, où l’élève jauge le professeur, non en termes académiques mais sur le plan de la bienveillance. Comme si leurs yeux me demandaient, implicitement, à quelle sauce ils seraient dégustés au cours de cette semaine de stage. Inquiets et anxieux de se retrouver face à un prof’ despotique, comme il en existe encore trop souvent, malgré tout ce que l’on veut bien dire sur l’évolution culturelle de l’institution, ils se relâchent rapidement lorsqu’ils se sentent en sécurité. Alors, soulagés, ils sourient et respirent. Ils sourient d’une joie indicible de pouvoir être eux-mêmes, de pouvoir poser des questions sans risquer de se faire apostropher, de pouvoir ne pas savoir et ne pas comprendre. Ils sourient de pouvoir apprendre dans la sérénité. Combien d’élèves m’ont rapporté des anecdotes de colères aussi inopinées qu’intempestives de professeurs, de remontrances et d’humiliations blessantes et injustifiées, voire parfois d’atteintes légères (claques, en primaire le plus souvent) à l’intégrité physique de ces enfants?

Ainsi, le voile se déchire. Le voile de l’hypocrisie professorale. D’un corps qui se veut exemplaire et indispensable, imbu de sa mission “évangélique”. Les professeurs s’imaginent tels des missionnaires de l’Etat, civilisant nos enfants considérés comme des sauvages, des zouaves. Les hussards de la République! Toutefois, en réalité, ce ne sont aucunement nos enfants qui ont besoin de l’école, mais bel et bien nos zélés professeurs. Que feraient-ils d’autre? Lorsque je fais cours, je m’efforce de le rendre aussi intéressant et passionnant que possible. Je ne suis pas le seul, mais les enseignants soucieux de rendre leurs cours interactifs et vivants demeurent peu nombreux. Mais, bien que mes élèves soient très certainement plus enjoués avec moi qu’avec d’autres, je suis conscient qu’ils n’ont pas fait le choix de venir à l’école. Ils ne sont pas décisionnaires. Pourquoi donc leur reprocher d’être démissionnaires? Le fait que nos élèves soient contraints et forcés, tels des bagnards, de se présenter à l’école me touche profondément. Cela blesse mon orgueil et mon amour-propre. Comme le disait Beaumarchais: “Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur”. Eh bien, sans la liberté de choisir, il n’est point d’enseignement épanouissant. Ni pour l’élève, ni pour l’enseignant.

Mais combien d’enseignants, confrontés aux mêmes interrogations, s’enferment dans cette logique du missionnaire paré de ses oeillères, convaincus de leur bon droit et du bien-fondé de leur démarche? Combien nient au plus profond d’eux-mêmes l’évidence: que le recours à la contrainte et à la force implique la négation même de ce qu’est l’enfant et de ce que l’éducation pourrait et devrait être? J’estime que nombreux sont ceux qui se posent cette question, peut-être de manière inconsciente. Et qu’ainsi, tels des bateaux ivres malmenés par des gouffres amers, ils dérivent de vacances en congés, avant finalement de s’échouer sur l’écueil de la retraite. Ou alors ils se font “une raison”, piteusement. Ils acceptent le terrible ennui et l’inutilité de leur travail, mais se trouvent d’autres centres d’intérêt en dehors du monde scolaire, pour “respirer, s’oxygéner”. L’école constitue aussi un monde carcéral pour ses machinistes. Vies bancales, vies médiocres, vides de sens. Et ce sont ces gens-là qui instruisent vos enfants.

Les “bons” profs, si le terme s’applique même, partent vite (mais pas tous) vers d’autres cieux, horrifiés et rebutés par ce monde abject et infernal. Ils croyaient pouvoir élever les coeurs et les esprits, tels les bergers des transhumances, et finissent garde-chiourmes. Aussi enjoués que des portes de prison. Condamnés à répéter sans cesse les mêmes programmes, les mêmes routines, les mêmes examens d’un système que l’on ne peut qualifier que de kafkaïen. C’est cela qui m’a le plus ému: la perte de sens.

Les mandarins du Ministère de la Propagande Nationale scandent à foison leurs slogans de transmission des valeurs de la République et du savoir. Les enfants, eux, vifs et lucides, ne retiennent que l’essentiel: l’image d’une vie morne et terne, où il faudra négliger leurs intérêts les plus viscéraux. Autoroute vers la déprime. L’expression anglaise “The daily grind” transcrit mieux l’abrutissement où mène la routine scolaire que la doucereuse formule “train-train quotidien”. Elle rend mieux compte du gâchis de ces années d’enfance et d’adolescence passées à l’école. Et quel gâchis!

La jeunesse s’apparente à une formidable fenêtre d’opportunité pour découvrir et explorer le monde à sa guise, à son rythme, et de former sa personnalité dans des cadres multiples et variés au contact de personnes de tous les horizons (Cf. L’Enfant, de Jules Vallès). J’emploie le terme “fenêtre d’opportunité” à dessein. En effet, à cet âge-là, ne se pose pas la question du temps qui passe, notion adulte par essence. Cette innocence quant au défilement du temps, pour reprendre la métaphore grecque, permet et favorise une exploration véritablement libre de contraintes. Ces dernières ne sont pas à négliger, mais apparaîtront plus tard, en temps et en heure. L’enfant peut donc se découvrir lui-même, déterminer ses passions et fantaisies et, de cette manière, évoluer et mûrir au gré de ses diverses interactions sociales. L’école empêche tout cela. J’ajouterai encore, elle détruit tout cela. Elle l’annihile dans l’oeuf. Là réside le drame de l’institution scolaire.

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