Cycle Economique et Financier

Les similitudes entre les bulles spéculatives d’il y a 100 ou 200 ans

Les similitudes entre les bulles spéculatives d’il y a 100 ou 200 ans et celles de notre époque moderne sont beaucoup plus étonnantes qu’on ne le croit généralement. Durant le boom des chemins de fer en Angleterre, le prix des actions du secteur doubla en 1936-1937, et encore une fois en 1844-1845. Évidemment, les actions des compagnies de train avaient atteints des sommets que leurs revenus ne pouvaient justifier….

 Cinq causes ont fait éclater la bulle : 

Les investisseurs n’avaient plus d’argent pour alimenter la hausse des titres;

Les projections financières des compagnies ne concordaient pas du tout avec les profits réalisés;

Les facilités de financement avaient ouvert grande les portes à la concurrence, sans aucune barrière à l’entrée;

L’environnement économique avait commencé à se dégrader et les taux d’intérêt, jusque là très bas, débutèrent une ascension persistante;

Et enfin, on découvrit progressivement que l’euphorie des investisseurs avait encouragé des fraudes importantes de la part des dirigeants des grandes compagnies ferroviaires. On pourrait aussi ajouter un dernier facteur : la relative stabilité politique de l’Europe qui avait accompagné l’euphorie commença à céder la place à l’inquiétude, à la violence, aux manifestations révolutionnaires et au spectre du socialisme.

Les plus grands patrons et entrepreneurs de l’industrie des chemins de fer britannique, adulés jusque là, firent face à des accusations de malversations comptables, à commencer par le légendaire George Hudson, accusé d’avoir gonflé artificiellement les profits de sa compagnie et d’en avoir caché les dettes. Est-ce que tout cela vous fait penser à quelque chose? 

Les grandes innovations technologiques des deux derniers siècles ont pratiquement toujours débouché sur une bulle spéculative. La construction des canaux au début des années 1800, le chemin de fer ensuite, le téléphone, le télégraphe, l’automobile, la lumière électrique, la radio et la télévision et, enfin, l’informatique et l’Internet. Cette histoire fabuleuse nous est racontée en près de 500 pages par Alasdair Nairn, docteur en science économique, ingénieur, et directeur de l’investissement chez Scottish Widows Investment Partnership à Édimbourg. 

Paru au début de l’année, “Engines that Move Markes: Technology Investing from Railroads to the Internet and Beyond” est un livre quasi prémonitoire, en ce sens qu’il anticipe la crise de confiance des investisseurs à l’égard des dirigeants de nos entreprises, et les trop nombreux scandales financiers qui alimentent dorénavant les pages de nos journaux. Après avoir lu l’ouvrage de M. Nairn, on se dit qu’on ne pouvait pas sortir indemne d’une des bulles spéculatives les plus spectaculaires des 200 dernières années, et d’un marché haussier qui a duré 18 ans. 

Dans un passage de son livre qui a été écrit avant la faillite record de WorldCom, et qu’il réécrirait sûrement à la faveur de ce qu’on sait aujourd’hui, Nairn explique : « Plusieurs nouvelles technologies dans le passé ont permis d’enrichir les initiés, alors que les investisseurs extérieurs n’ont pas vraiment profité de la manne. Ces écarts, en bonne partie, s’expliquent par un mauvais timing des seconds et un cycle d’investissement différent de part et d’autre. Les déboires des petits investisseurs furent tantôt le résultat de pratiques comptables malveillantes, tantôt la conséquence de fraudes massives, et parfois le simple produit d’un manque flagrant d’égalité dans le traitement des différentes classes d’actionnaires. Ce phénomène s’est reproduit maintes et maintes fois par le passé, bien que les fraudes et les falsifications comptables étaient inévitablement plus fréquentes au début de l’ère industrielle, avant qu’une législation appropriée et que des organismes de surveillance ne soient créés pour protéger les investisseurs. Ce n’est pas un hasard si des améliorations substantielles aux lois concernant les compagnies furent promues juste après la fièvre spéculative des chemins de fer dans les années 1840 ». 

J’aurais envie d’ajouter que les lois concernant la gestion, la comptabilité et la vérification des compagnies sont toujours à refaire. Ou encore : si les lois et organismes de surveillance sont nettement plus sophistiqués de nos jours qu’à l’époque de l’âge d’or du chemin de fer ou de l’industrie de l’automobile, le problème de l’application de ces lois et de la vigilance de nos organismes de contrôle se pose à chaque fois qu’une période de prospérité et de confiance excessive des investisseurs débouche sur une fièvre spéculative. 

Les conditions favorables 

Depuis les débuts de l’industrialisation, les grandes innovations technologiques majeures ont permis d’augmenter la productivité des entreprises, de créer de nouveaux produits et d’ouvrir de nouveaux marchés pour ces produits. Mais quiconque examine de près l’histoire des changements technologiques et leur relation avec les marchés financiers est bien obligé d’admettre que le progrès fut loin d’être un jardin de roses. Les succès les plus spectaculaires ont été accompagnés par des échecs tous aussi percutants. Pour un investisseur qui réussissait à s’enrichir, des dizaines d’autres ont perdu leur chemise. 

Les bulles spéculatives technologiques reposent à l’origine sur des découvertes scientifiques qui frappent l’imagination et qui autorisent les prévisions les plus extravagantes en termes de bouleversements socio-économiques et de changements dans les modes de vie. Elles exigent un climat de prospérité relative et des conditions de crédit plus faciles que jamais. Si les taux d’intérêt sont bas, que l’économie vit une période d’opulence et que les marchés financiers sont réceptifs, une nouveauté technologique avait alors de bonnes chances de tomber en terrain fertile et de se matérialiser pour devenir un produit de masse. Dans le cas contraire, l’inventeur d’une nouvelle technologie, aussi révolutionnaire soit-elle, pouvait végéter des années durant avec son invention. 

Peu importe l’industrie ou le produit, il était loin d’être suffisant d’avoir la technologie la plus avancée pour devenir l’un des joueurs les plus importants ou l’une des compagnies qui allaient dominer les autres. Les frères Duryea, par exemple, ont eu beau inventer le meilleur moteur à essence lors de la naissance de l’industrie de l’automobile, ce n’était pas assez pour se démarquer de toute la compétition. 

Nairn montre que toutes les grandes innovations des deux derniers siècles ont attiré l’attention des investisseurs et des consommateurs grâce à la création de nombreuses publications spécialisées destinées à suivre de près les progrès de la nouvelle technologie, ses inventeurs, ses entrepreneurs, ses applications et ses enjeux. 

Mais le plus étonnant est de voir à quel point la grande presse généraliste a réussi à se faire l’avocat du diable, à alerter les investisseurs face aux dangers de la spéculation et même, dans certains cas, à prévoir de quelle façon et quand la bulle allait éclater sur les marchés financiers. Dans son édition du 5 avril 1845, le journal hebdomadaire The Economist sensibilisait ses lecteurs face au risque de tout perdre leurs avoirs dans les titres des compagnies de chemins de fer, comme ce fut le cas en 1835 et 1836. Quelques mois plus tard, la bulle éclatait et tous les gains réalisés durant les deux années précédentes fondirent comme neige au soleil. 

Les leçons du passé 

Toutes les bulles spéculatives liées à des innovations technologiques majeures nous apprennent une chose : il est extrêmement difficile de découvrir la compagnie qui surpassera toutes les autres et qui créera de la valeur pour l’investisseur. Certes, les périodes de fièvre spéculative offrent des opportunités de gains rapides et faciles, mais à court terme seulement et à condition de sortir du marché avant la débandade ou le crash. Mais à plus long terme, la meilleure stratégie est d’attendre que le secteur se consolide, que les faillites, les fusions et les acquisitions se multiplient avant qu’un ou deux joueurs majeurs ne se démarquent vraiment et exercent un monopole protecteur. 

Ce fut le cas dans le domaine du téléphone, de l’éclairage électrique, de l’automobile ou des ordinateurs, et ça sera encore la cas avec l’industrie de l’Internet explique Nairn. L’investisseur perspicace qui aurait reconnu avant tous les autres le génie d’Henry Ford aurait perdu beaucoup d’argent. Ford a connu deux faillites avant de connaître du succès avec la Ford Motor Company. Dans le cas de General Motors c’est la même chose : il fallait éviter d’investir dans la compagnie lors des deux périodes où elle s’adonna à des acquisitions excessives et qu’accumula les dettes de façon très dangereuse. 

Pour faire de l’argent dans le domaine des ordinateurs personnels, il fallait attendre l’arrivée d’Apple, en sortir lorsque Microsoft imposa son standard dans les logiciels, comprendre toute la dynamique créée par IBM et l’arrivée de Compaq, et être fin prêt à sauter sur les actions de Dell au début des années 1990. Il fallait donc ignorer des centaines d’autres compagnies concurrentes, tout aussi populaires dans les magasines spécialisées et la presse grand public. 

Alasdair Nairn consacre un long chapitre à l’Internet afin de nous aider à mieux comprendre ce qui nous attend avec les compagnies qui tentent de s’imposer dans ce secteur. Encore une fois, les bulles technologiques des 200 dernières années peuvent nous éclairer sur l’avenir de cette industrie qui a des similitudes évidentes avec l’industrie du chemin de fer en termes de capacité à faire circuler les marchandises (Amazon, eBay, B2B, B2C, etc.), avec celle du téléphone pour que les gens communiquent davantage entre eux, et enfin avec celle de la télévision pour la distribution de produits culturels de masse. 

L’industrie de l’Internet a ceci de particulier, par rapport aux autres grandes innovations technologiques, que sa création a été rendue possible grâce à 40 ans de recherche et d’expérimentation au sein du département de la défense des États-Unis et des universités américaines. Aucun inventeur privé n’a eu à investir temps et argent pour mettre au point cette nouvelle technologie et en recueillir les fruits avec un brevet d’exploitation. L’univers de l’Internet est on ne peut plus ouvert et il offre très peu de barrières à l’entrée. 

Source: Extrait d’une chronique actualisée déjà parue aux éditions Transcontinental 

André Gosselin, Ph.D,

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE :

Gonflement et explosion de bulles financières

 

Les bulles spéculatives et leurs explosions subséquentes font partie du paysage financier depuis déjà 300 ans. Si l’on analyse ce phénomène, on constate une constance de certains facteurs: innovation financière, émotions et psychologie des investisseurs, et levier spéculatif de l’endettement.

La première bulle financière s’est formée en Hollande (1634 – 1637) avec le marché des tulipes, phénomène connu sous le nom de “tulip mania”. L’apparition du premier marché boursier (Amsterdam), le développement de la Dutch East India Company et l’introduction de produits dérivés (options sur tulipes) ont été les ingrédients de cette première bulle. Dans les années 1920, apparaît une nouvelle bulle aux Etats-Unis avec le développement rapide des utilities (téléphone et électrification), des transports (automobiles) et de la finance (opend-end mutual funds). On peut d’ailleurs faire le parallèle avec le gonflement en 1998 – mars 2000 de la bulle TMT (Technology, Media, Telecommunications).

Les 2 bulles se sont gonflées par des avancées technologiques, de l’endettement trop important et une psychologie de masse croyant à de nouveaux paradigmes financiers. Aujourd’hui, la récente crise du sub-prime contient tous ces ingrédients propres à la formation de bulles de marché. Cette crise est caractérisée par des prêteurs surconfiants dans la capacité de remboursement des emprunts, des investisseurs spéculant sur la hausse des prix de l’immobilier. L’accès au crédit a été favorisé par une politique monétaire laxiste de la FED et un faible contrôle de la qualité des dossiers crédits des emprunteurs. Un sentiment exubérant positif s’est emparé des marchés de 2003 à 2007, suivi par un sentiment toujours exubérant mais en spirale négative.

Que pouvons-nous tirer comme enseignement de l’interaction entre innovation, psychologie et levier?

Ces dernières années on a connu une grande vague d’innovation de produits financiers. Cette innovation a été suscitée par le désir de transformer le risque (en le réduisant, en le partageant ou en le transférant), le souhait de profiter d’inefficiences de marché ou tout simplement par l’appétit des investisseurs pour des returns plus importants. En fait, beaucoup d’innovations ne tiennent pas leurs promesses. Elles perpétuent une prise de risque élevée en la masquant ou en la répartissant de façon diffuse.

A titre d’exemple, regardons la complexité de certains dérivés de crédit comme les CDOs synthétiques, qui devaient transférer le risque mais qui sont trop complexes à comprendre et à évaluer pour la majorité des intervenants du marché. En groupant dans un pool des “asset backed securities”, l’objectif des CDOs étaient de réduire le risque par la diversification. La diversification peut bien sûr réduire le risque, mais les ingrédients des tranches de CDOs étaient obscures et présentaient un rating supérieur (donné par les 3 grandes agences de notation) à leur réelle réalité économique. Plutôt que de diversifier le risque, ce montage les a concentrés dans des queues de distribution de returns qualifiées de toxique. Une dernière remarque concernant l’innovation: trop d’innovations financières sont introduites pour satisfaire les vendeurs plutôt que les utilisateurs. C’est un problème de non-alignement entre les intérêts du “buy side” et du “sell side”. Et à la fin de la chaîne, l’acheteur n’appréhende plus les risques de l’investissement. Le résultat est cette grande incertitude sur la réaction des marchés en période de crise.

Un autre ingrédient clé des bulles est la psychologie de l’investisseur. Les investisseurs se convainquent de manière erronée qu’ils maîtrisent les clés de l’innovation (overconfidence) et auto entretiennent un courant ascendant. Avec ce courant, les risques deviennent concentrés dans un espace réduit du marché. Trop de concentration rend les marchés “unbalanced” et dès lors se produit une dislocation. Pour rendre les choses pires encore, dans les mouvements d’euphorie, les investisseurs ont un grand recours à l’endettement. Or cet endettement n’est pas possible sans liquidités. Cette liquidité n’est pas uniquement produite par les banques centrales, mais aussi par des intermédiaires qui constituent le “shadow banking system” comme les hedge funds par exemple. Le système est donc fragile et volatil.

Pour terminer, voici quelques suggestions pour réduire les futurs chocs financiers et leur cascade:
– les nouveaux produits financiers doivent faire l’objet d’un plus grand stress test avant d’être mis sur le marché,
– une plus grande transparence doit être présente à tous les étages,
– la transparence doit être accompagnée par le développement de marchés boursiers où se ferait l’échange des produits dérivés aujourd’hui OTC,
– une plus grande régulation et supervision des hedge funds,
– la suppression du “short selling”,
– une révision du système de bonus des traders
– une plus grande réactivité des “policymakers” pour freiner l’irrationalité de l’investisseur.

Par exemple, lors des attaques du 11 septembre 2001, le NYSE fut fermé jusqu’au 17 septembre 2001. Lorsqu’il réouvrit, le calme était de retour.

Christian Berbé
Directeur-adjoint
Degroof Gestion Institutionnelle

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1857, la première crise financière mondiale

Des crises et de leur retour périodique…. 

Le 21 juin 1857, le comte de Sartigues, ministre de France à Washington, invité par les directeurs des nouvelles compagnies de chemins de fer à participer à un voyage d’inauguration dans les Etats du centre en l’honneur du président Buchanan,  écrit à son ministre des Affaires étrangères cette lettre dans laquelle il s’inquiète de la spéculation en cours dans le pays : «  La ville (Chicago) tout entière est livrée à une fièvre d’agiotage qui dépasse comme folie et qui atteint comme résultat tout ce qu’à New York et Saint-Louis, l’on a vu dépasser et atteindre. Tel terrain, acheté 4 000 dollars il y a trois années, a été revendu 100 000 il y a six mois et représente à ce moment une valeur de 150 000 dollars. » Le 4 octobre, il fait parvenir sa première analyse de la crise qui a éclaté brutalement au mois d’août : «  La baisse de 20% qui vient de se produire sur les actions des chemins de fer américains a été suivie d’une crise monétaire qui affecte sérieusement l’existence des institutions de crédit.

 Le nombre total des banques fondées avec ou sans charte est de 1416. Ces banques, dans la plupart des Etats-Unis, viennent de suspendre leurs paiements en espèces. L’interruption des paiements a causé la dépréciation des billets en circulation émis par les banques et les compagnies industrielles et, en même temps, une nouvelle baisse de toutes les valeurs industrielles. Faute de trouver à négocier ces valeurs au comptant ou même à les faire recevoir en garantie d’emprunts, les banques, les compagnies, les marchands, les propriétaires, avec des portefeuilles remplis d’actions et d’obligations, se sont trouvés incapables de faire face à leurs engagements et les faillites ou les suspensions de paiement se succèdent avec une rapidité inquiétante… » 

Le 26 octobre, après la faillite de plusieurs établissements bancaires, il poursuit : «  Dans les Etats manufacturiers du Nord, les fabriques ont congédié les deux tiers de leurs ouvriers ou fermé, et on ne prévoit pas le jour où elles pourront reprendre leur activité. » Ajoutant : « Les immeubles ne peuvent plus être vendus ni même hypothéqués ».    

 La première crise mondiale

Totalement méconnue ou presque, la crise de 1857 est pourtant la première crise mondiale de l’ère industrielle. Précédée , comme entre 2002 et 2007, d’une période de forte croissance, de développement du crédit et d’une intense spéculation, alors appelée «  activité fiévreuse », elle se déclenche aux Etats-Unis en août 1857, quand la banque Ohio Life and Insurance Company doit suspendre ses paiements, bientôt suivie par les banques du Maryland et de Pennsylvanie, puis par d’autres banques importantes à Baltimore, Philadelphie et Washington.

 Immédiatement, cette crise financière se propage en Angleterre où la baisse des prix précipite la faillite des banques engagées dans des opérations imprudentes. Dès le mois de novembre, le temps de travail dans l’industrie métallurgique est réduit à 36 heures, 109 hauts fourneaux sont arrêtés en Ecosse et en Angleterre, mettant au chômage 34 000 ouvriers et les salaires diminuent de 20%.

 A Paris, la baisse du cours des actions est forte, la construction des lignes de chemin de fer se ralentit, la production d’acier diminue de 6% , le chômage s’accroît de 7% dans les mines de charbon et le volume des crédits accordés par la Banque de France s’effondre de moitié. Les effets de commerce qui étaient passés de 256 millions de francs en 1849 à plus de deux milliards en 1857 s’effondrent à 1, 464 milliard en 1858 et 1,414 milliard en 1859.

 Le 13 novembre 1857, la presse française qui faisait croire jusque-là que le pays serait épargné doit admettre : «  Il était impossible que l’ébranlement des marchés anglais et américain ne réagît pas d’une façon fâcheuse sur le nôtre, moins éprouvé jusqu’ici. Solidarité, telle est, aujourd’hui, la loi des nations dans la bonne conduite comme dans la mauvaise fortune ( Le Journal des Débats) »

 Supprimer les crises ? « C’est ce que jusqu’ici, il n’a été donné à personne »

En mai 1860, alors que les effets de la crise se sont estompés et que le mouvement des affaires  repart timidement à la hausse – les effets de commerce escomptés par la Banque de France atteignent 1,636 milliard de francs avant de rebondir à 2, 122 milliards en 1861-, l’Académie des sciences morales et politiques  met à son concours pour le prix à décerner en 1861 le sujet suivant : « Rechercher les causes et signaler les effets des crises commerciales survenues en Europe et dans l’Amérique du Nord durant le cours du dix-neuvième siècle. Ces crises ont été fréquentes à toutes les époques, mais, à mesure que les relations commerciales ont acquis de nouveaux développements, leur action perturbatrice s’est étendue de proche en proche sur un plus grand nombre de points. Les recherches devront porter principalement sur celles des crises qui ont entraîné les commotions les plus générales. »

 C’est le mémoire inscrit sous le numéro 2 qui remporte le concours. Présenté par le docteur Clément Juglar, né en 1819, et s’appuyant sur ce qu’on appelle en médecine la prédisposition, il tend à démontrer que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets . S’appuyant sur une description méthodique des crises qui se sont succédé aux Etats-Unis, en Angleterre et en France en 1804, 1810, 1813, 1818, 1826, 1830, 1836, 1839, 1847 et 1857, repérant leurs signes précurseurs, essentiellement dans le domaine du crédit, soulignant les phénomènes constants qui caractérisent les périodes de prospérité, il écrit : « Les symptômes qui précèdent les crises sont les signes d’une grande prospérité ; nous signalerons les entreprises et les spéculations de tous genres ; la hausse des prix de tous les produits, des terres, des maisons ; la demande des ouvriers, la hausse des salaires, la baisse de l’intérêt, la crédulité du public, qui, à la vue d’un premier succès, ne met plus rien en doute ; le goût du jeu en présence d’une hausse continue s’empare des imaginations avec le désir de devenir riche en peu de temps, comme dans une loterie. Un luxe croissant entraîne des dépenses excessives, basées non sur les revenus, mais sur l’estimation du capital d’après les cours cotés. » Des lignes qui n’ont pas pris une seule ride.

 Le Français Clément Juglar fut ainsi le premier «  conjoncturiste » à souligner l’idée que les crises étaient périodiques et qu’il existait un temps économique, avec ses bonnes et ses mauvaises saisons comme il existait un temps climatologique. Il fut aussi le premier à observer que dès qu’il existe une banque , au sens moderne du mot, on voit se confirmer l’existence des crises et s’amplifier leurs dégâts. Il montra aussi que les Bourses étaient les endroits où se développaient les exagérations et que c’était aussi les lieux où l’on prenait tout d’un coup conscience des emballements et où des arrêts brusques conduisaient à des effondrements, «  krach » étant un mot d’origine allemande qui exprime le craquement qui suit les détonations.

 Bref, écrivait en médecin Clément Juglar, «  les crises comme les maladies, paraissent une des conditions de l’existence des sociétés où le commerce et l’industrie dominent. On peut les prévoir, les adoucir, s’en préserver jusqu’à un certain point, faciliter la reprise des affaires ; mais les supprimer, c’est ce jusqu’ici, malgré les combinaisons les plus diverses, il n’a été donné à personne. » Mieux, constatant qu’elles surgissaient en moyenne tous les sept ans

 ( 1973-1979-1987,1993,2001, 2007 pour la période récente ?), il ajoutait : «  Proposer un remède quand nous reconnaissons le peu d’efficacité de ceux des autres n’est pas possible, d’autant que leur évolution naturelle rétablit l’équilibre et prépare un sol ferme sur lequel on peut s’appuyer sans crainte pour parcourir une nouvelle période ».

 Une leçon d’histoire et d’humilité qui devrait inspirer ceux qui nous gouvernent et inciter à l’optimisme plus qu’à l’anxiété.

 Jacques Marseille

SUR LE MEME SUJET : Cycle économique et comportement boursier bis repetita (cliquez sur le lien)

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