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Jean Pierre Petit : L’influence de la pandémie H1N1 sur l’économie et les marchés

Directeur de la recherche économique et de la stratégie d’ Exane-BNP Paribas jusque fin 2008, Il a été auparavant (1995-1999) adjoint au directeur des études économiques de la BNP, adjoint de direction à la Banque de France et consultant pour le Fonds monétaire international (1986-1994). Il est diplômé de Sciences Po Paris, détient une maîtrise en droit et est titulaire d’un DEA d’économie internationale. Jean Pierre Petit est l’auteur de plusieurs ouvrages dont, La finance, autrement (en collaboration, Dalloz, 2005).Aujourd’hui devenu stratégiste de marché indépendant il continue de collaborer  de manière régulière à divers revues et journaux économiques et financiers. Voici le 10ème billet d’une série qui lui est consacrée…

La Banque mondiale estime qu’un choc semblable à celui de la grippe espagnole pourrait avoir un impact récessif de 4,8 points à l’échelle planétaire….

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 JEAN-PIERRE PETIT  Stratégiste de marché 

L’OMS a récemment relevé le risque de pandémie à son niveau maximum Le 11 juin, l’OMS a en effet porté officiellement le niveau d’alerte à 6, c’est-à-dire à l’état de pandémie mondiale, pour la première fois depuis 41 ans. Le déclenchement de cette alerte ne préjuge pas de la sévérité de la maladie, mais constate sa propagation sur la surface du globe. Lors des précédentes pandémies «il avait fallu aux virus grippaux plus de six mois pour se propager aussi largement que le nouveau virus H1N1 ne l’a fait en moins de six semaines», estime l’OMS. La pandémie «ne peut désormais plus être enrayée», affirme l’organisation.

Le dernier bilan de l’OMS, datant du 6 juillet, faisait état d’environ 95.000 cas confirmés, dont 429 mortels, dans plus de 130 pays. Un bilan qui a certainement explosé depuis (au moins plusieurs centaines de milliers de cas). Aujourd’hui, la grippe A est présente dans quasiment tous les pays du globe. Mais il n’y a pas eu d’impact marqué sur les marchés actions jusqu’à présent, probablement en raison de l’accoutumance aux annonces catastrophistes mais toujours démenties à l’occasion d’affaires apparemment similaires (vache folle, SRAS, fièvre aphteuse, grippe aviaire).

Comment évaluer le coût économique du virus H1N1 ?

Une pandémie constitue à la fois un choc – temporaire – d’offre de demande.

 Du côté de l’offre, réduction de l’offre de travail (décès et absentéisme en raison de la maladie et de la garde d’enfants en raison de la fermeture des écoles) et ce d’autant que les personnes vulnérables sont dans ce cas de jeunes actifs (à la différence des grippes classiques) ; ruptures dans la chaîne de production (gestion des stocks «juste à temps»); baisse du transport et du commerce de détail (auto restriction et décisions publiques).

Du côté de la demande, une chute des loisirs-tourisme (11% du PIB mondial), une moindre fréquentation de centres commerciaux, des pertes de revenus et une baisse de confiance des ménages. L’explosion des dépenses de santé (hospitalisations, anti-viraux, vaccins, …) serait, certes, expansive à court terme (en particulier la production de vaccins et de masques), mais détériorerait les finances publiques et se ferait au détriment d’autres postes de dépense.

Le SRAS a « coûté « en 2003 1,1 point de PIB en Chine, 2,7 points à Hong-Kong 0,6 point au Canada et 0,2 point à l’échelle mondiale. Mais le SRAS a été circonscrit dans le temps et n’a fait «que» 8000 malades et 800 victimes (sur 25 pays). Le SRAS n’était de surcroît transmissible qu’en phase aiguë de la maladie, ce qui ne semble pas être le cas de la grippe A (transmissible dès la phase d’incubation).

A l’occasion de la grippe aviaire, les estimations de l’impact récessif d’un choc pandémique allaient aux États-Unis (selon le CBO, Congressional  Budget Office) de 1,5 point (pandémie modérée) à 5 points (pandémie sévère) de PIB réel. La Banque mondiale estimait plus récemment qu’un choc semblable à celui de la grippe espagnole pourrait avoir un impact récessif de 4,8 points à l’échelle mondiale (contre -0,7 à -2,0% dans un cas de pandémie modérée).

Notons également que la sévérité du virus en terme clinique n’est pas une condition nécessaire pour une baisse significative de l’activité mondiale. Les simples mesures de protection des individus (subies ou désirées) correspondent à 60% de l’impact économique total selon la Banque Mondiale.

Mais il va sans dire que l’amplitude de la pandémie changerait la nature des enjeux. Dans un scénario «modéré», (grippe asiatique de 1957-58 ou grippe de Hong Kong en 1968 avec un à quatre millions de victimes à l’échelle mondiale et un taux de létalité de 0,4 %), les conséquences économiques seraient peu significatives. En cas de pandémie sévère (grippe espagnole de 1918-19, 40 millions de victimes et un taux de létalité entre 1 et 5 %), il faudrait s’attendre à un impact récessif significatif.

Rappelons à cet égard que le SIDA (sur les 30 dernières années) n’a eu de réelles conséquences récessives que dans une partie de l’Afrique subsaharienne, continent économiquement assez marginalisé.

Cela ne serait pas le cas avec la grippe A qui toucherait des zones très dynamiques Aujourd’hui, le taux de létalité de la grippe A semble extrêmement faible, mais cela peut évidemment changer avec une mutation du virus.

Beaucoup dépendra aussi de la qualité des décisions publiques face à la menace de pandémie. Il y a en fait trois facteurs essentiels dans la réussite de toute stratégie publique face à la menace de pandémie;

 la transparence de l’information privée et publique (qui conditionne l’efficacité et la rapidité de toute action publique ultérieure). Attention, transparence ne signifie pas sur communication (donnant plus d’importance à cet événement qu’il n’en mérite actuellement) ;

 crédibilité de l’action publique, de façon à ce que les agents privés ne surestiment pas les implications négatives de la pandémie (comme durant le SRAS où les personnes avaient excessivement limité les déplacements, d’où un impact négatif récessif plus fort);

 la qualité de la coopération internationale (information, entraide, traitement). L’efficacité de l’aide dans les pays émergents (diagnostic, surveillance, vaccin,…) conditionne l’efficacité globale de la lutte contre la future pandémie (y compris dans les pays développés). Historiquement, les premières conférences mondiales (2e moitié du XIXe siècle) ont permis de contenir la progression des épidémies. Après 1945, ce fut le rôle de l’OMS.

Au total, il serait étonnant de voir le marché rester insensible à toute détérioration supplémentaire et significative du flux de nouvelles au cours des prochaines semaines ou prochains mois. Dans ce cas, il faudrait s’attendre à un recul des marchés actions, en particulier des marchés émergents particulièrement affectés comme l’Amérique latine (comme ce fut le cas pour Hong Kong au moment du SRAS). Sectoriellement, un tel environnement devrait être favorable à la pharmacie, l’assurance, le E-commerce et les secteurs défensifs. En revanche, les secteurs sensibles à l’export et les cycliques devraient être affectés. Pour le reste, l’or et les obligations publiques devraient performer, à l’exception des obligations souveraines des pays émergents particulièrement touchés par la pandémie.

Il faut cependant rejeter les discours sensationnalistes et apocalyptiques qui pourraient surgir à cette occasion. Le scénario de grippe espagnole n’est pas le plus probable. Les phénomènes de concentration humaine et de déplacements de population durant la Première Guerre mondiale avaient favorisé la transmission du virus. A cette époque, une large part des ressources médicales était affectée au traitement des armées et on ne disposait pas d’anti-viraux. La coopération internationale (à travers notamment l’OMS) dans l’information et le traitement de la maladie est également aujourd’hui beaucoup plus forte.

Au total, la grippe A ne mérite en l’état, ni une indifférence hautaine, ni un retour des peurs ancestrales.

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