Europe

Jean Pierre Petit :L’avenir incertain du modèle Mercantiliste Allemand : commerce extérieur fort sur fond de demande interne faible

Directeur de la recherche économique et de la stratégie d’ Exane-BNP Paribas jusque fin 2008, Il a été auparavant (1995-1999) adjoint au directeur des études économiques de la BNP, adjoint de direction à la Banque de France et consultant pour le Fonds monétaire international (1986-1994). Il est diplômé de Sciences Po Paris, détient une maîtrise en droit et est titulaire d’un DEA d’économie internationale. Jean Pierre Petit est l’auteur de plusieurs ouvrages dont, La finance, autrement (en collaboration, Dalloz, 2005).Aujourd’hui devenu stratégiste de marché indépendant il continue de collaborer  de manière régulière à divers revues et journaux économiques et financiers. Voici le 13ème billet d’une série qui lui est consacrée…

PLUS DE DETAILS EN SUIVANT :

L’Allemagne connaît indéniablement une forte reprise industrielle et économique en seconde partie de 2009. Cela devrait a priori favoriser la reconduction d’Angela Merkel, très populaire dans son pays, à la tête du gouvernement fédéral. Pourtant, l’économie allemande a été particulièrement éprouvée au cours de cette récession. Du pic au creux, le PIB réel allemand a ainsi reculé de 6,9 %, ce qui constitue – et de loin – le record absolu d’après-guerre ; en 1992-1993, le choc récessif n’avait été que de 2 %.

L’Allemagne n’a pas non plus brillé par sa réactivité et son imagination dans le traitement de la crise financière, en particulier à l’automne 2008. En fait, le pays a compté, comme le plus souvent, sur les efforts des grands pays (Etats-Unis, Chine) en matière de relance pour bénéficier des retombées positives sur son économie. Pays très ouvert (les exportations de biens et services représentent 45 % du PIB), c’est sur le socle de ses exportations nettes que l’Allemagne s’appuie pour assurer sa croissance à moyen terme. L’Allemagne constitue avec la Chine et le Japon l’un des trois grands pays créditeurs nets dans le monde et donc l’un des gros producteurs d’épargne.

Certes, ce choix s’appuie sur de réels efforts de compétitivité et l’Allemagne est un des rares pays riches qui a augmenté ses parts de marché à l’exportation depuis le milieu des années 90. Mais il n’a pas en soi évité un plus profond déclin qui remonte probablement à la réunification. De 1991 à 2009, la croissance n’aura été en moyenne annuelle que de 1,3 % (2,5 % aux Etats-Unis, 1,6 % en France) alors que la croissance de l’Allemagne occidentale avait été de 2,5 % dans la seconde moitié des années 80. La perte de vigueur de l’économie se comprend à partir de plusieurs facteurs clés à l’œuvre depuis une vingtaine d’années ; coût de la réunification, vieillissement, taux de participation très faible des seniors et des femmes, faiblesse de la création d’entreprise dans les services, faiblesse de la gouvernance de son système bancaire public et mutualiste… Notons que le pays est classée 102e (sur 181) par la Banque Mondiale en 2009 dans le domaine de la création d’entreprise (enquête « Doing Business »).

Tout cela montre les limites du modèle mercantiliste qui sacrifie la demande intérieure. A chaque sortie de récession depuis les années 70, la hausse de la productivité horaire a largement dépassé celle du salaire horaire réel et cet écart s’est même creusé après 2003. Plus que dans les autres pays développés, la baisse des salaires dans le revenu national a été particulièrement marquée (de 54 % en 2000 à 49 % en 2007). Les raisons en sont connues : l’outsourcing, la désyndicalisation, la baisse relative des salariés couverts par une négociation collective, l’impact des réformes Hartz… Du même coup, la consommation en pourcentage du PIB est tombée à 56 % en 2007 (à plus de 10 points du niveau américain).

Mais ce modèle est difficilement compatible avec une attitude coopérative au niveau des partenaires européens, puisque sa logique est fondamentalement celle du cavalier seul. Or, l’Allemagne a même récemment introduit un changement substantiel dans son dispositif de politique économique. Après 2016, le gouvernement fédéral devra revenir à un déficit inférieur à 0,35 % du PIB sauf cas exceptionnel. A partir de 2020, le solde devra être équilibré. Après la politique monétaire, c’est la politique budgétaire qui est condamnée à l’immobilisme.

Cette nouvelle règle va complètement à l’opposé de la stratégie française qui s’apprête à lancer un nouvel emprunt pour financer « l’avenir ». Cela en dit long sur le réel degré de coordination des politiques économiques dans l’Union monétaire, au-delà des apparences médiatiques.

Jusqu’à présent, c’est plutôt l’Allemagne qui a décidé de l’orientation des politiques économiques. Vis-à-vis de la zone euro, ce pays est, ne l’oublions pas, dans la même situation que la Chine vis-à-vis des Etats-Unis. La stabilité des spreads souverains (écarts de taux longs pour les emprunts d’Etat) dans la zone est dépendante de la volonté allemande de transférer son excès d’épargne vers le reste de la zone. Nul doute qu’Angela Merkel, forte de sa probable réélection, d’un nouveau gain de légitimité et de la situation créditrice nette de l’Allemagne, sera en position pour faire valoir ses vues au sein des instances européennes et au-delà.

Le problème est que le bien-fondé de ce modèle n’apparaît pas soutenable pour les prochaines années. L’essentiel des gains de parts de marché s’est fait au détriment des autres pays occidentaux développés et ces derniers n’auront guère de moyens (déficits budgétaires, absence de bulle immobilière…) pour alimenter la demande intérieure. Il est indéniable que la crise de 2007-2009 a démontré l’insoutenabilité des modèles de croissance axés sur la demande intérieure soutenue par des bulles immobilières et une croissance débridée de l’endettement des ménages. Mais elle n’a pas non plus mis en évidence la supériorité du modèle mercantiliste allemand.

Quel stratégie de portefeuille dans le cadre d’une approche européenne ? Pourquoi  alors  surpondérer le Dax ?

On évoque ici l’opportunité d’une discrimination pays au sein de l’allocation d’actifs. On se concentre sur la zone euro, sachant que les autres pays d’Europe occidentale (Royaume-Uni, Suède, Suisse, …) connaissent des particularités propres (cycle, politique monétaire, taux longs, …) et alors même qu’on a prétendu, pendant des années, que le développement de l’intégration économique, financière et monétaire en Europe aboutirait à une convergence accrue des économies.

Le retour à une approche pays dans l’allocation d’actions au sein même de la zone euro a tout d’abord un fondement technique. Depuis une quinzaine d’années, la dispersion géographique des performances se maintient grosso modo au même niveau que la dispersion sectorielle (à l’exception de la période de la fin des années 90 où la bulle TMT avait abouti à une explosion de la dispersion sectorielle).

Cette stratégie a aussi des fondements macro-économiques. Depuis la création de l’euro, les divergences cycliques ne se sont pas réduites, en dépit d’une politique monétaire et de change commune.

En fait, l’écart type des taux nationaux de croissance stagne depuis plus de 20 ans. Les disparités s’expliquent aisément : différences de spécialisation, divergences du cycle immobilier, marges de manoeuvre différentes dans les finances publiques, souplesse relative des marchés, dispersion d’inflation (d’où des taux d’intérêts réels divergents).

Cette stratégie se justifie également par les spécificités propres des marchés. La structure sectorielle diffère sensiblement d’un pays à l’autre. Bref, une approche pays peut se superposer à une approche sectorielle. Notons aussi que les spécificités en termes de taille des valeurs peuvent constituer un facteur discriminant.

 Même remarque pour les marchés obligataires. On a pu observer lors de la crise récente une brusque remontée des écarts de taux sur la dette publique italienne, grecque, autrichienne, irlandaise…. Quant au Dax, qui nous intéresse plus particulièrement ici, l’expérience montre que, en raison de sa nature cyclique, il sur performe au début d’une phase de reprise économique et des marchés d’actifs risqués (1993, 2003-2004) et sous performe en «bear market» (2000-2002, 2008 en dépit du poids plus faible des financières).

Les principaux éléments fondamentaux en faveur du marché allemand sont de deux ordres:

1) la valorisation demeure attractive par rapport aux autres marchés actions européens. Le marché allemand présente une décote significative, tant historique que par rapport au reste de la zone euro.

En tenant compte des standards historiques de valorisation, l’Allemagne apparaît relativement bon marché par rapport aux autres pays européens. Par rapport à sa moyenne historique sur 18 ans, le PER 12 mois forward relatif du marché allemand (PER DAX30 rapporté au PER de l’Eurostoxx) indique une décote de plus de 15%, même en excluant Volkswagen.

2) la croissance attendue des BPA allemands devrait soutenir celle des BPA européens l’année prochaine. La croissance des BPA anticipés, quoique plus élevée pour le DAX que pour l’Eurostoxx (presque 40% pour 2010 contre moins de 25% pour l’Eurostoxx), est encore sous-estimée par rapport à ce que suggèrent les indicateurs de confiance dans l’industrie (l’IFO en particulier).

Ce dernier argument repose lui même sur deux atouts essentiels qui caractérisent aujourd’hui letissu corporate outre-Rhin: les progrès déjà réalisés en termes de restauration des marges et la forte exposition des sociétés allemandes aux relais de croissance alternatifs à l’Europe occidentale.

Quant aux élections du 27 septembre, elles ne constitueraient une «bonne nouvelle» pour les marchés que dans le cas d’une coalition CDU(CSU)/FDP (parti libéral), conduite par Angela Merkel. Les réformes envisagées apparaissent pourtant assez timides (incitations en faveur des pensions privées, quelques baisses d’impôts,…) surtout du côté de la CDU. Mais c’est surtout dans la mesure où ce programme apparaît moins repoussant que celui du SPD et a fortiori de Die Linke qu’il est attractif pour les marchés. Les deux principales formations de la gauche proposent en effet l’introduction du salaire minimum, la hausse de la fiscalité sur les revenus élevés et/ou les entreprises, la remise en cause de certaines réformes des dernières années (marché du travail et retraites). Notons également l’importance des différents programmes quant à la durée de vie des centrales nucléaires. L’hypothèse de victoire de la CDU/FDP, qui apparaissait acquise il y a quelques semaines, paraît moins évidente aujourd’hui après notamment l’échec relatif récent de la CDU aux élections locales et de la montée de Die Linke dans les sondages. Le maintien de l’actuelle Grande Coalition – CDU (CSU)/SPD – serait probablement perçu comme un signe d’immobilisme. Rappelons enfin qu’une majorité SPD/Die Linke à l’échelle fédérale est actuellement exclue par les dirigeants du SPD.

JEAN PIERRE PETIT Stratégiste indépendant  de marché

 

BILLET PRECEDENT : Jean Pierre Petit : Pourquoi l’Occident favorise-t-il autant l’immobilier résidentiel ? (cliquez sur le lien)

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE :

Steinbrück le gauchiste pourfend la City

Le ministre allemand des Finances Peer Steinbrück reproche à la Grande-Bretagne de «défendre les privilèges de la City», la place financière de Londres, face aux tentatives de régulation, dans un entretien paru mardi.

«Nous sentons chez les Britanniques une attitude de plus en plus nette qui consiste à défendre les privilèges de la City», a dit M. Steinbrück au quotidien de gauche Tageszeitung.

Le social-démocrate juge au contraire que les «Etats-Unis se sont montrés au cours des douze derniers mois disposés à aller étonnamment loin» dans les efforts de régulation des marchés financiers, suite à la crise. Les sociaux-démocrate allemands, dans le cadre de la campagne pour les législatives du 27 septembre, ont lancé l’idée d’une taxe internationale sur les transactions financières.

«Nous pensons qu’un taux d’imposition de 0,05% serait possible, cela pourrait rapporter 10 à 20 milliards d’euros par an à l’Allemagne », affirme M. Steinbrück.

Le ministre estime que lors du prochain sommet des 20 pays les plus puissants du monde (G20) de Pittsburgh aux Etats-Unis, «cela vaudrait la peine de mettre en route le processus» de réflexion sur cette taxe.

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Intérêts offshore embarassants

Deux enquêtes du BaFin mettent en lumière les liens des banques allemandes avec les paradis fiscaux.

FRÉDÉRIC THÉRIN MUNICH agefi

Les chiffres ont déjà de quoi donner le tournis mais les spécialistes s’accordent tous à dire qu’il ne s’agit que de la partie immergée de l’iceberg. Deux enquêtes effectuées en novembre 2008 et en mai dernier par le gendarme de la Bourse de Francfort, le BaFin, sur demande du ministère fédéral des Finances montrent que les banques allemandes possèdent de nombreuses implantations dans les paradis fiscaux. Les résultats de ces questionnaires envoyés respectivement à 31 puis à 16 établissements financiers basés en République fédérale prouvent que les grandes fortunes ou les contribuables qui cherchent à réduire leurs taxes n’ont pas besoin de faire appel à des groupes étrangers pour placer leur argent dans des paradis fiscaux ou des pays considérés comme tels.

Le BaFin a ainsi découvert que les banques allemandes entretenaient des relations d’affaires avec plus de 1600 fondations et trusts dans des centres-offshore où elles possèdent directement 395 filiales, participations ou autres intérêts.

Le groupe le plus actif dans ce domaine est la Deutsche Bank, suivi, de loin, par la Commerzbank et Sal. Oppenheim. La première banque privée du pays ne cache pas totalement sa présence dans des pays qui sont pourtant sans cesse montrées du doigt par Peer Steinbrück, le ministre fédéral des Finances. Le site internet de sa filiale, Deutsche Bank Offshore, annonce que l’établissement est présent à Jersey et Guernesey depuis 1972. Ses filiales aux Iles Caïmans et à l’Ile Maurice ont, quant à elles, été inaugurées en 1983 et 1999. Officiellement, ces succursales cherchent à séduire «les riches expatriés et les entrepreneurs (qui peuvent trouver) intimidant d’avoir une vie itinérante avec des membres de leurs familles qui résident dans différents endroits de la planète, des propriétés situées dans plusieurs pays et un vaste portefeuille d’actifs».

Mais l’enquête diligentée par le ministère allemand des Finances montre surtout que les grands groupes financiers basés à Francfort ont mis en place un réseau de succursales particulièrement dense. La filiale suisse de Deutsche Bank entretient ainsi à elle seule des relations commerciales avec 566 fondations et trusts qui n’ont pas à obéir à la législation helvétique en raison de leur implantation dans de nombreux paradis fiscaux allant de Curaçao aux Iles Vierges britanniques; 301 de ces fondations gérées à partir de Zurich, Genève, Lugano et St Moritz sont basées au Liechtenstein.

Les clients du groupe peuvent donc continuer à profiter des avantages fiscaux offerts par la principauté sans avoir de liens directs avec elle, évitant ainsi de lever les soupçons des autorités fiscales en Allemagne. Deutsche Bank (Schweiz) possède en outre 204 filiales dans 13 centres offshore qui travaillent pour 2428 clients dont 868 résident à Singapour.

Sa grande rivale francfortoise n’est pas en reste. L’an dernier, la Commerzbank gérait le quart des actifs de sa division Clientèle privée/Gestion de fortune dans des paradis fiscaux soit environ 22 milliards d’euros. Sa filiale luxembourgeoise avait la charge de 10 milliards d’euros et sa succursale suisse faisait fructifier environ 9 milliards d’euros. Le groupe a, lui aussi, mis en place des structures juridiques complexes. Ses salariés basés à Genève et Zurich travaillaient ainsi avec 146 fondations et trusts dépendant de la loi panaméenne; 93 organisations étaient quant à elles installées au Liechtenstein et 48 dépendaient de la législation des aux Iles Vierges britanniques. En allant en Suisse, les clients de la Commerzbank pouvaient ainsi choisir de placer leurs liquidités dans de nombreux paradis fiscaux différents. L’établissement allemand a toutefois décidé cette année de réduire fortement la voilure de sa division en cédant ses deux filiales helvétiques à Vontobel et à LGT Group.

Pour obtenir toutes ces informations autrefois considérées comme confidentielles, le ministère fédéral des Finances a utilisé une nouvelle loi qui vise à lutter contre le blanchiment d’argent.

Le BaFin a ainsi pu connaître les activités des filiales suisses ou liechtensteinoises des banques allemandes pour, officiellement, «illuminer des activités opaques». «Mais les données publiées ne représentent qu’une petite partie du business des groupes basés à Francfort dans les paradis fiscaux », explique un expert fiscal de Munich. Selon lui, «Berlin commence à réaliser qu’il va devoir balayer devant sa porte alors que jusqu’à maintenant, la plupart de son énergie avait été dépensée à lutter contre des banques étrangères et suisses notamment…..

ET TOUJOURS D4ACTUALITE : L’Allemagne et ses Banques : Petits arrangements entre Amis…. (cliquez sur le lien)

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