Art de la guerre monétaire et économique

Bruno Bertez :Les mentalités haussières

Le temps de la stimulation financière est venu. Après la stimulation monétaire et la stimulation fiscale. Un phénomène particulièrement efficace et multiplicateur.

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                 Le temps est venu de faire le point, de clarifier les positions et d’expliciter le scénario sur lequel elles reposent.

Nous sommes redevenus haussiers sur le marché d’actions et les actifs à risque en général dans la deuxième quinzaine de février 2009.

La conviction était que les marchés n’avaient absolument pas tenu compte et pris la mesure des actions monétaires et fiscales décidées par les responsables de la conduite des affaires.

On pouvait considérer alors que ces mesures étaient d’une ampleur et d’une audace sans précédent. Face à un risque exceptionnel en gravité et en ampleur, on avait accepté d’en prendre un autre tout aussi exceptionnel. Les mesures prises étaient telles que nous avions alors considéré que les responsables «brûlaient leurs vaisseaux», pas de retour possible. Le grand quitte ou double. Ces mesures monétaires et fiscales ont pu fonctionner parce que le système global a tenu bon. C’est à dire que les créanciers des Etats-Unis, les détenteurs de l’épargne mondiale, ont accepté de jouer le jeu. Ils ont conservé leurs dollars, ils ont accepté d’augmenter leurs actifs en dollars, ils ont empilé les créances sur les Etats-Unis. Ils ont accepté la quasi annulation des taux de rendement et l’avilissement inéluctable du pouvoir d’achat. Les protestations de la Chine et les arbitrages auxquels elle a procédé pour tenter de sécuriser ses avoirs ne sont que des épiphénomènes par rapport à la réalité: ils ont joué le jeu.

Le système s’est stabilisé grâce à une sorte de passage de relais. La finance gouvernementale s’est substituée, en montant, en durée et en risque à la finance privée. Ce que le crédit privé ne pouvait plus faire, la finance gouvernementale constituée par le Trésor, la Banque Centrale, les Agences d’Etat, la finance gouvernementale l’a fait. Considérant que sa garantie était un peu meilleure, l’épargne mondiale sous la conduite de l’Asie, des producteurs de pétrole et des émergents a accepté l’opération. Elle n’a pas joué la politique du pire, elle ne s’est pas dérobée.

Avec la stabilisation, la peur s’est résorbée. La technique a commencé à faire son œuvre. Dans la finance d’abord, les marchés d’actifs ont remonté timidement, puis de façon de plus en plus assurée. La troisième fusée de la stimulation s’est mise en place. Après la stimulation monétaire, après la stimulation fiscale, est venu le temps de la stimulation financière.

La stimulation financière est une stimulation particulièrement efficace et multiplicatrice. Elle joue grâce à son incidence sur le moral des agents économiques, sur la richesse et sur la resolvabilisation des bilans. Rien que sur la richesse, la stimulation financière a produit un enrichissement de 2 trillions aux Etats-Unis en l’espace de quelques mois. Quand les actions classiques de stimulation fiscale et monétaire ont été complétées par la stimulation financière, la transitivité s’est enclenchée. Ainsi, la hausse des actions a modifié les anticipations économiques dans un sens favorable, ce qui a dégelé les comportements, ce qui a validé les anticipations contenues dans la hausse des actions et finalement, enclenché un momentum dont on voit maintenant les effets. Nous avons dit récemment notre conviction que l’opération de reflation était réussie.

La reprise de l’économie globale est incontestable, même si comme toujours en pareil cas, les indicateurs sont quelquefois un peu erratiques. Mais regardez la performance des leading indicators, elle est remarquable, voire exceptionnelle.

C’est l’Asie et les émergents qui ont été leaders dans la reprise. A la fois parce que leur situation était moins mauvaise, à la fois parce que ces blocs avaient des marges de manœuvre importantes, à la fois parce qu’elles ont bénéficié des flux de capitaux du Centre vers la Périphérie.

Le fait que l’Asie ait été leader dans la reprise est très important. C’est là que le risque de dérapage inflationniste est le plus fort, c’est là que le risque de bulle est le plus important, c’est là que se joue l’avenir du cours des commodities. C’est de là que viendra l’alerte inflationniste, laquelle directement et indirectement, risquera de se propager aux Etats-Unis et à l’Europe.

L’Asie est en quelque sorte précurseur dans l’amélioration, mais aussi dans la révélation des problèmes à venir. Et cela ne fait pas l’affaire de nos régulateurs. Les gouvernements et les banques centrales des pays industrialisés connaissent la situation réelle du système bancaire et les faiblesses du système financier. Ils savent qu’ayant refusé l’assainissement des bilans, qu’ayant favorisé la dissimulation comptable et misé sur la socialisation progressive des pertes, la restauration de la santé des banques sera très lente et longue. Il faudra du temps au temps. Pour restaurer les bilans des banques par la voie subreptice, il faut pouvoir maintenir pendant très longtemps les taux zéro, les liquidités pléthoriques, le quantitative easing, et bien entendu les marges.

Pour pouvoir maintenir la super aisance monétaire, il faut que le climat s’y prête. Il faut maintenir, diffuser un discours pessimiste.

D’où la convergence des déclarations officielles: la reprise sera faible, anémique, fragile, etc. Bref, comme nous l’avons déjà écrit, il faut maintenir le plus longtemps possible un climat dans lequel la nécessité du maintien de la surabondance monétaire n’est pas contestée. Personne, pas plus Bernanke que ses collègues, ne sait de quoi l’avenir sera fait. L’histoire des trois dernières années le montre à l’évidence. Mais cela ne l’empêche pas, lui et ses collègues, de prédire que la reprise sera médiocre. Pourquoi? Tout simplement parce qu’il est nécessaire de le faire croire pour continuer d’avoir les mains libres. Plus que jamais les Banques Centrales démontrent à quoi elles servent, c’est à dire essentiellement à protéger le système bancaire.

Le problème de la régulation dans la période actuelle, c’est la vitesse de diffusion des largesses. La vitesse de réparation des bilans des banques est lente, nous voulons dire dans la réalité et non pas dans la comptabilité bien sûr. La vitesse de propagation des largesses sur les marchés et, par transitivité, dans les économies réelles, est beaucoup plus rapide. Il y a une sorte de course contre la montre qui est en cours qui conduit les régulateurs à vouloir freiner la reprise des marchés et même peut-être celle des économies réelles pour gagner du temps pour sauver le système bancaire. Sur le diagnostic sur la situation du système bancaire, nous vous renvoyons à la récente déclaration de Stiglitz qui n’hésite pas à dire que la situation des banques reste catastrophique et qu’elle a toute chance de se détériorer à nouveau en raison de la détérioration de l’immobilier commercial et du commencement des difficultés dans le secteur de l’hypothécaire ARM américain. D’où ce discours convergent insolite sur la faiblesse de la reprise. On retrouve cette sorte de gestion à la Greenspan avec l’instauration d’une sorte de soupe Goldie Lock qui, cette fois ne serait pas tiède, mais serait presque froide.

Notre conviction est que les régulateurs et que les gouvernements ne savent rien de plus que nous et qu’ils ne font que tenter de piloter nos anticipations. Au passage, cela facilitera le refinancement de leurs finances publiques. Elles ont des besoins colossaux qui ne peuvent être couverts que si la peur reste instillée.

Notre conviction est que les chances pour que la reprise soit forte, au-delà des soi-disant prévisions des régulateurs, notre conviction est que ces chances sont beaucoup plus élevées que celles pour qu’elles soient faibles. L’avenir n’est pas plus prévisible pour nous que pour Bernanke, mais cela ne nous empêche pas d’avoir notre opinion et de faire des paris. Nous parions que la reprise surprendra par sa force et non par sa faiblesse. Voici les éléments sur lequel s’appuie notre pari. Historiquement, il n’y a pas d’exemple de reprise languissante à +2 ou 3% (comme le prédit Bernanke) après une chute du PIB aussi important que celle que l’on a connue, elle a avoisiné les 4%. Même après 1933, alors que la situation fondamentale était très obérée, la reprise a été forte. On a vu des taux de rebond de 17% pendant quelques mois, puis de 9% en moyenne annuelle. Les stimulus mis en place dans la crise présente sont considérables. Si on les prend en pourcentage des PIB, les stimulus fiscaux et monétaires mis en place sont 3 à 5 fois supérieurs à ceux que l’on a connus dans l’histoire. Le monde global est un monde intégré, depuis des années, tout est amplifié, surréagi. On ne voit pas pourquoi il en serait différemment cette fois. Le souvenir de la reflation de Greenspan après les années dot.com est encore présent dans toutes les mémoires. Il conduit les agents économiques à retrouver leur comportement et leurs jeux reflationnistes beaucoup plus vite qu’avant. Il suffit de regarder les dernières performances des hedge funds pour se rendre compte de ce phénomène. La thèse de ceux qui croient au deleveraging, à la déglobalisation, à la re-régulation tatillonne (thèse de Gross de Pimco) ne tient pas debout. Elle ne résiste pas à l’analyse dès lors que la voie qui a été choisie par les responsables de la conduite des affaires est non pas l’assainissement, la correction, mais la fuite en avant. Comme l’a dit Lawrence Summers, il faut faire comme avant, inciter les gens à faire tout ce qu’on essayait de les empêcher de faire avant la crise. «Ne sous-estimez jamais le consommateur américain», disait Arthur Burns. Nous ne le sous-estimons pas. Il ne pense qu’à consommer.

Même sur l’emploi, qui est un indicateur lagging, nous pensons qu’il y aura des surprises. L’évolution des inscriptions hebdomadaires initiales au chômage de ces dernières semaines va dans ce sens.

Nous sommes partis, nous sommes embarqués, non pas dans une phase de modération des excès et des dérives antérieures, mais dans une phase d’accélération. Jusqu’à présent, la vérité scientifique selon laquelle les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets n’a jamais été infirmée.

La différence avec les situations antérieures d’excès de toutes sortes se situe dans l’origine des excès et dans l’origine future des difficultés. C’est la finance gouvernementale qui s’est substituée à la finance privée. C’est de la finance gouvernementale que viendront les excès. C’est d’elle que viendront les problèmes. Dans deux ans, dans trois ans, dans quatre ans, qui sait, le degré d’accélération de l’histoire n’est pas prévisible

Bruno Bertez agefi 2009

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