Pourquoi le marché réagit-il violemment aux problématiques de dette publique grecque qui ne représente qu’à peine 1% de la dette mondiale?
La correction des marchés en janvier/ février a montré l’importance en 2010 et probablement au-delà de la crédibilité budgétaire des Etats occidentaux, c’est-à-dire de leur engagement à réduire les déficits et dettes publiques dans le futur. La crédibilité budgétaire est d’ailleurs probablement plus importante que la crédibilité monétaire des banques centrales. De prime abord, la réaction des marchés a pu paraître excessive. Pourquoi le marché actions mondial réagit-il aux problématiques de dette publique grecque qui ne représente qu’à peine 1% de la dette publique mondiale, alors même que l’Europe n’est pas «leader» dans la croissance mondiale et qu’au surplus, la crise ne frappe pour le moment que quelques pays «périphériques»?
PLUS DE DETAILS EN SUIVANT :
En réalité, c’est la thématique de l’insoutenabilité de la dette souveraine des pays riches qui a suscité des craintes dans les marchés avec, en arrière-plan, le sentiment que la croissance des pays riches au cours des prochaines années ne sera pas suffisante pour assurer une réduction significative des déficits compte tenu notamment d’autres contraintes structurelles.
Les implications du vieillissement (sur les dépenses de santé de retraite et dépendance) seront en effet plus fortes dans les années 2010 qu’antérieurement.
A cela s’ajoute l’absence de fort potentiel de baisse des taux longs (contrairement aux années 1980 et 1990) et la quasiimpossibilité d’avoir des politiques monétaires beaucoup plus expansives qu’aujourd’hui.
Par ailleurs, un certain nombre d’effets pervers sur l’activité et liés à la progression vertigineuse de la dette publique sont intégrés par les marchés; hausse de la pression fiscale, rationnement non rationnel de certaines dépenses, hausse de l’effort d’épargne (en anticipation de hausses d’impôts futurs), captation de l’épargne au profit de l’Etat.
Ces thématiques ont été récemment «popularisées» par les travaux de K. Rogoff et C. Reinhart1) qui semblent montrer, à partir d’une étude empirique sur longue période (deux siècles) qu’à partir d’un ratio dette publique/PIB de 90%, l’impact sur la croissance est significatif et encore plus depuis 1945 (avec notamment un différentiel moyen de plus de quatre points de croissance entre les pays ayant un ratio de mois de 30% et ceux qui ont unratio de plus de 90%).
Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff : L’explosion de la dette publique freine la croissance économique (cliquez sur le lien)
Pour l’Europe, il y a des circonstances aggravantes.
La quasi-simultanéité des programmes de stabilité budgétaire (imposés par le traité) jouera contre les perspectives d’activité, à l’instar de la contrainte du respect des critères de convergence budgétaire de Maastricht, qui avait contribué à la sous-performance de l’Europe durant l’essentiel des années 1990.
En outre, le sentiment général est que les pays d’Europe continentale ne bénéficieront pas de la baisse du taux de change et que les Etats-Unis seront par ailleurs «avantagés» par le dollar, seule véritable monnaie internationale de réserve ainsi que par l’homogénéité et la profondeur de leur marché obligataire.
Dans ces conditions, la crédibilité des politiques budgétaires constitue une variable essentielle d’ajustement pour les marchés financiers.
N’oublions pas que ce n’est pas seulement l’économie qui détermine les marchés mais également l’inverse.
La thématique de l’insoutenabilité de la dette souveraine ne se traduira pas seulement par une hausse des taux longs des pays «mal jugés», qui internaliseront un défaut futur, voire un recours à l’inflation. Elle se manifestera aussi par une montée des spreads de crédit, une hausse de la volatilité, un affaiblissement des bilans bancaires, une baisse des marchés actions, autant de facteurs qui réduiront le potentiel de redressement économique.
Cela pourrait toucher l’ensemble du monde riche si la crise s’étendait aux Etats-Unis.
Une crise de crédibilité sur les marchés est aussi en grande partie «auto-réalisatrice»; en poussant les taux d’intérêt longs à la hausse, elle rend encore plus improbable la réussite de l’ajustement budgétaire (récession et hausse des coûts de financement). En l’absence de crédibilité, l’expérience montre que la sanction des marchés peut être brutale, même si elle n’est pas totalement imprévisible. La Grèce et d’autres pays européens en ont fait récemment l’expérience.
Mais au cours de la décennie précédente, d’autres pays européens en avaient fait l’expérience avant eux, notamment au moment des étapes I et II de l’Union Economique et Monétaire lorsque les marchés évaluaient la probabilité de «qualification» à l’euro en fonction notamment du respect ou non des critères de convergence budgétaires.
La crédibilité n’est pas seulement un critère d’efficacité de la politique budgétaire pour les marchés. Il l’est aussi pour les ménages et les entreprises.
Une politique budgétaire crédible réduit les anticipations de hausses futures d’impôts ou de rationnement irrationnel des dépenses publiques futures. Bref, elle réduit les comportements précautionneux ou excessivement prudents d’aujourd’hui (hausse de l’effort d’épargne, moindre investissement,…), comme l’avait rappelé Robert Barro en 1974 en réactualisant le théorème d’équivalence de David Ricardo.
1)Reinhart, Carmen & Rogoff, Kenneth, 2009. «This Time It’s Different: Eight Centuries of Financial Folly-Preface», MPRA Paper 17451, University Library of Munich
Jean-Pierre Petit ANALYSTE ET STRATEGISTE INDEPENDANT DE MARCHE fev10
EN COMPLEMENT :
GRÈCE: Standard & Poor’s menace de dégrader la note de plusieurs crans d’ici un mois
La note de la dette souveraine de la Grèce pourrait à nouveau être abaissée «d’ici un mois», en raison des dangers qui pèsent sur l’économie du pays, a prévenu hier l’agence de notation financière Standard & Poor’s. «De notre point de vue, un abaissement supplémentaire (de la note) de un ou deux crans, est possible d’ici un mois», indique un analyste de l’agence de notation, Marko Mrsnik, cité dans un communiqué.
S & P’s avait déjà abaissé en décembre dernier la note de la dette souveraine à long terme de la Grèce de A- à BBB+. Une nouvelle dégradation pourrait faire passer la Grèce dans la catégorie des investissements dits spéculatifs, ou plus risqués.
BILLET PRECEDENT : Jean Pierre Petit : A quoi donc peut encore servir l’euro? (cliquez sur le lien)
3 réponses »