La Suisse doit utiliser les mêmes armes de communication que ses adversaires dans le climat actuel de guerre économique.
«Dire, c’est faire»selon le philosophe anglais John Langshaw Austin. Dans son cas, c’était d’autant plus vrai: en effet, ce grand socio-linguiste, professeur à Oxford, ne publia aucun livre de son vivant! Mais ses cours magistraux, dans les années 1950, imprégnèrent tellement les esprits de ses étudiants que ces derniers décidèrent, après sa mort, de publier ses conférences dans un livre devenu une référence, «How to do things with words» (Oxford University Press, 1962).
Austin a démontré l’importance de la dimension active de la communication – la fonction conative du langage – qui vise à agir sur autrui et à construire la réalité sociale en formant et en influençant le public. Ce qu’il appelle un «énoncé performatif», qui produit une action et une activité comme conséquence….
PLUS DE GUERRE ECONOMIQUE EN SUIVANT :
Ainsi, tout discours est un «acte de parole» et a toujours un arrière-plan pré-intentionnel en fonction des audiences à atteindre. Nous communiquons en effet pour partager, séduire ou convaincre, et souvent les trois à la fois, dans le temps et dans l’espace. Or force est de constater que, dans notre société d’information pléthorique, communiquer, c’est de moins en moins transmettre, rarement partager au sens du dialogue socratique, et le plus souvent négocier et imposer.
Dans le cadre de la communication politique, rien n’est innocent. La communication autoritaire devient la norme, et les spin doctors – les spécialistes en communication – sont engagés au service des acteurs publics pour orchestrer leur stratégie discursive. Ainsi, il y a de moins en moins de place pour l’usage de l’esprit critique du citoyen, et l’espace public cher à Jürgen Habermas est désormais dominé par les personnalités publiques dont les interventions elles-mêmes sont amplement diffusées par les médias, selon une logique exponentielle.
Selon Dominique Wolton, chercheur au CNRS, le citoyen contemporain est devenu un géant en matière d’information mais un nain en matière d’action. Il ne vit plus dans le monde réel, mais par procuration, au travers d’opinions de tiers relayées dans les médias. Ce que le philosophe Jean Baudrillard appelait «l’hyper-réalité». Aujourd’hui, la communication politique est souvent dominée par des mots brefs, des slogans, des phrases courtes et des sound bites. Aux Etats-Unis, la durée d’un sound bite audiovisuel s’est considérablement réduite ces dernières années pour atteindre, en moyenne, la brièveté inouïe de 10 secondes! La communication politique impose désormais une forme publicitaire à la diffusion des messages et promeut le règne du ton impératif et de l’allitération. L’instant balaie le temps long, le talk-show et les petites phrases phagocytent le débat critique, et la forme vampirise le fond. C’est la médiacratie, ou la démocratie d’opinions, basée sur les médias et les sondages.
Dans ce contexte, force est de constater que les attaques contre le secret bancaire sont souvent d’une virulence déconcertante. Ne nous leurrons pas: elles ne vont pas cesser et s’apparentent à de la manipulation et de la propagande. Elles sont menées dans le cadre d’une véritable guerre économique dont l’objectif vise clairement à affaiblir la place financière suisse et à renforcer les places concurrentes. Ceux qui dénoncent la Suisse ne sont pas animés par l’amour de la vertu! A la tête de cette croisade, le G20 souffre d’un déficit de légitimité évident, sélectionne ses membres de manière arbitraire, et prend des décisions tout à fait contestables selon le procédé réducteur du «naming and shaming». C’est une constante de l’Histoire: en périodes troubles, les grands Etats abusent de leur puissance.
C’est le retour du monde de Hobbes, où les rapports de forces remplacent les rapports de droit.
L’ombre du G20 s’étend sur l’ensemble du système international, et les petits Etats ont de plus en plus de difficultés à faire entendre leur voix dans un ordre mondial où la norme juridique et la diplomatie multilatérale devraient pourtant prévaloir sur la force.
Le G20 et ses contempteurs se focalisent sur les «paradis fiscaux» et les «bonus», soit les aspects les plus superficiels et les plus démagogiques de la crise.
Cette guerre économique est avant tout une guerre psychologique et médiatique, et emprunte tous les attributs de ce que Joseph Nye a appelé le «soft power» («Soft power. The means to success in world politics», Public Affairs, New York, 2004): la parole à la place du sabre, des stratégies de relations publiques orchestrées par les puissants, des mots assassins répétés à l’envi, et des caricatures ressassées à l’infini. La puissance d’un Etat, selon Nye, s’exerce également à l’aune de sa capacité d’influence à travers la communication. Et l’écume médiatique masque souvent la réalité de la vague. Florilège de ces expressions à l’emporte-pièce relayées dans l’espace public par l’effet amplificateur des médias: «la fin de la Suisse», «l’Etat voyou», «la tache noire sur la carte du monde», «le paradis fiscal», ou encore «l’ennemi interne de l’Europe». N’en jetez plus! Comme si la Suisse était mise au ban des nations, alors qu’elle n’a jamais eu de colonies ni de visées impériales, qu’elle a inventé le mouvement humanitaire mondial, qu’elle prône la neutralité politique et l’universalité des droits de l’homme, et n’a ni dette extérieure, ni chômage structurel. Sa compétitivité mondiale suscite des convoitises. Résultat: l’intérêt porté dans le monde au secret bancaire suisse s’avère largement disproportionné. Il faut donc reprendre l’initiative en expliquant les efforts que font notre place financière et nos autorités politiques, notamment dans le cadre du projet Rubik, de notre réglementation et de notre fiscalité attractive. Il faut utiliser les mêmes armes que nos adversaires, en employant des mots simples, directs et forts comme «la totale illégitimité du G20», «l’effarante hypocrisie dont font preuve les gouvernements anglo-saxons qui laissent proliférer sur leur sol national les paradis fiscaux les plus opaques du monde», «la guerre économique», «le scandale des listes du G20», «l’arrogance des grands Etats», «le leurre de l’égalité de traitement». Il faut rappeler sans cesse nos valeurs: «le respect et la protection de la sphère privée», «la liberté individuelle», la «discrétion», la «stabilité», et l’»indépendance «. Il faut mener des campagnes de communication avec des spin doctors, notamment dans les médias anglo-saxons. Il faut des voix fortes et représentatives de notre savoir-faire pour mener ces batailles de manière répétées et insistantes. Rien ne sert de se lamenter : notre pays conserve de nombreux atouts, parmi lesquels figurent la stabilité socio-politique, le savoir-faire économique et financier, la force du franc suisse, ainsi que la capacité d’adaptation.
«Les mots sont aujourd’hui des batailles: les mots justes sont des batailles gagnées, les mots faux sont des batailles perdues», disait Ludendorff… (JK)
Jérôme Koechlin Union Bancaire Privée et Université de Genève avril10
Un peu en écho, mon dernier post
http://amourpiegale3.blogspot.com/2010/04/depasser-les-bornes.html