Art de la guerre monétaire et économique

Marc Touati : Et pendant ce temps, le volcan grec bouillonne…

Marc Touati : Et pendant ce temps, le volcan grec bouillonne…

Marc Touati   Alors que l’opinion publique européenne s’est focalisée pendant une semaine sur le volcan islandais et sur son nuage de cendres qui a bloqué le ciel d’Europe au nom du sacro-saint principe de précaution, un autre volcan, peut-être encore beaucoup plus dangereux, a continué de monter en puissance. Il s’agit bien entendu du volcan grec qui, en dépit de l’aide annoncée des pays de la zone euro, semble avoir désormais atteint un point de non retour.

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En effet, en ayant accepté de consentir à la Grèce, en cas de besoin, un prêt exceptionnel de 30 milliards d’euros à un taux d’au moins 5 %, les dirigeants de la zone euro ont implicitement indiqué aux marchés que leurs craintes étaient justifiées. Et pour cause : prêter à la Grèce à un taux de 5 %, alors que les taux dix ans de nombreux pays eurolandais oscillent entre 3 et 3,5 % revient à avouer que le risque de défaillance sur les obligations de l’Etat grec n’est pas une simple spéculation mais une réalité. Et ce, d’autant que de 2001 à 2008, c’est-à-dire depuis l’entrée de la Grèce dans la zone euro jusqu’à la crise de 2008 et le début des suspicions sur les comptes publics grecs, le différentiel de taux dix ans entre la Grèce et l’Allemagne évoluait entre 0,1 et 0,4 point. 

La faiblesse de ce spread de taux était d’ailleurs logique, puisqu’elle correspondait à l’espoir que la zone euro deviendrait une entité unifiée au sein de laquelle la solidarité entre les pays serait inébranlable. La situation actuelle est évidemment bien différente puisqu’elle montre que, bien loin du principe de solidarité, les pays de la zone euro acceptent de prêter à la Grèce si et seulement si cette dernière leur reverse une prime de risque conséquente. Autrement dit, au-delà de valider les craintes des marchés sur la dette grecque, la décision des dirigeants eurolandais sur le prêt potentiel de 30 milliards confirme aux yeux du monde que la zone euro n’est plus cet havre de stabilité et de solidarité prévu initialement. Pis, les déclarations acerbes de certains pays et notamment des autorités allemandes montrent qu’un jeu non-coopératif est en train de s’installer, remplaçant les soutiens par les sanctions. 

La réaction des marchés ne s’est évidemment pas faite attendre, puisque le taux dix ans des obligations de l’Etat grec a continué de flamber, jusqu’à dépasser les 8,8 % le 22 avril. Un niveau qui devient à la fois surréaliste et extrêmement dangereux. A titre de comparaison, le taux des obligations à dix ans de la Thaïlande, qui affiche certes une dette publique de « seulement » 50 % du PIB, mais qui est aussi dans une situation politique extrêmement délicate, n’est que de 3,6 %. Au Pérou, ce taux est de 5,9 %. Plus proche de nous géographiquement, le taux d’intérêt des obligations à dix ans de la Hongrie est de 6,4 %. Quant au Portugal, prochain pays de la zone euro sur la liste rouge du dérapage de la dette publique, le taux dix ans de ses obligations d’Etat est de « seulement » 4,7 %

Autrement dit, il y a bien un acharnement des marchés, mais aussi des dirigeants eurolandais, sans oublier le FMI et la BCE sur cette pauvre Grèce. Et plus le temps passe, plus les taux d’intérêt augmentent, plus la récession s’aggrave et plus les déficits deviennent explosifs. Si bien que la situation grecque est devenue inextricable. En effet, si la Grèce obéit aux injonctions de ses partenaires de la zone euro qui veulent lui imposer une hausse des impôts et une baisse des dépenses publiques, la récession va empirer et la crise sociale, débutée il y a un an, va vraiment dégénérer. Il paraît donc peu probable que le gouvernement grec prenne le risque d’engager le pays dans une situation où seule l’armée pourra maintenir le calme. Pour autant, si les mesures exigées ne sont pas appliquées, les taux d’intérêt continueront de flamber et le soutien des pays de la zone euro se fera de plus en plus discret, mettant définitivement la Grèce au pied du mur. 

Face à  ce dilemme cornélien, de plus en plus d’investisseurs commencent à choisir leur camp. Ainsi, une rumeur s’installe progressivement sur les marchés : la Grèce va utiliser au maximum les « aides » ou plutôt la carte de crédit à taux élevés proposée par la zone euro en laissant croire qu’elle engagera rapidement une politique de rigueur sans précédent. Puis, devant la pression de la rue, elle refusera de mettre en pratique cette politique suicidaire et se mettra sous la protection du FMI. Ce dernier sera alors chargé de négocier un rééchelonnement voire un moratoire de la dette avec les créanciers de la Grèce, en vertu de l’argument déjà maintes fois utilisé pour de nombreux pays émergents : mieux vaut récupérer une partie des créances et que de faire une croix sur leur totalité. 

Cette situation n’imposera pas dans un premier temps de sortie de la zone euro mais obligera la Grèce à instaurer un contrôle des changes actif. Lorsque l’on sait que la banque centrale grecque a recensé plus de 10 milliards d’euros d’expatriation de capitaux grecs sur les seuls deux premiers mois de l’année 2010, il y a effectivement de quoi s’inquiéter.

D’où une dernière issue possible : le retour de la Drachme, avec forte dévaluation à la clé, augmentation de l’inflation, donc remboursement de la dette publique en monnaie de singe et redémarrage progressif de la croissance. 

Si ce cas de figure paraissait inimaginable au plus grand nombre il y a encore quelques mois, voire quelques semaines, sa probabilité va croissante et sa crédibilité se répand encore plus rapidement qu’un nuage de cendres à travers l’Europe. Nous nous retrouvons donc dans une situation analogue à celle du Royaume-Uni en 1992 ou de l’Argentine en 2000. A chaque fois, l’impensable est devenu réalité. En effet, la sortie de la livre sterling du SME et la fin du peg 1 peso = 1 dollar paraissaient inimaginables. Pourtant, devant la réalité économique et sociale d’une récession dramatique, la nécessité d’un remède de cheval s’est logiquement imposée. La bonne nouvelle est qu’une fois la pilule avalée, la croissance est revenue durablement. 

C’est malheureusement ce qu’ont oublié les dirigeants politiques et monétaires de la zone euro depuis plus de dix ans : il ne sert à rien de vouloir imposer un euro fort, un taux refi trop élevé, une inflation inférieure à 2 %, un magma de réglementations inutiles ou encore de refuser une harmonisation des conditions fiscales et réglementaires, ainsi qu’une plus grande efficacité budgétaire. Tôt ou tard, la réalité économique reprend le dessus et la facture des erreurs du passé doit être réglée avec pertes et fracas… 

Marc Touati ACDEFI – 22 avril 2010

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9 réponses »

  1. cher Touati?
    Vous pouvez noircir des pages et des pages mais le problème est tout simple l’euro en tant que monaie unique est une frankenstein économique et une titanique monétaire.
    Seule quelques pays autour de l’Allemagne comme mon Pays- Bas ou autre bénelux peuvent avoir cet unité de payement.
    être rentré dans l’Euro  » errare humanum est, perceferare diabolicum » seul un euro en monaie commun est vivable .
    Vive l’euro-ecu l’euro-mark euro-franc euro-gulden(florin)etc.

  2. Nous devons quand même faire une autre hypothèse.

    Cette autre hypothèse, la voici :

    l’Allemagne ne veut pas prêter un seul euro à la Grèce car l’Allemagne pense que la Grèce n’est pas sauvable.

    Autrement dit : l’Allemagne ne veut pas prêter des milliards d’euros à la Grèce car elle pense que la Grèce ne les lui remboursera jamais.

    Si cette hypothèse est la bonne, cela expliquerait l’attitude d’Angela Merkel.

    Si cette hypothèse est la bonne, cela rejoindrait l’analyse de Nicolas Barré :

    « il faut savoir que la Grèce a besoin non pas de 30 milliards (le montant du plan européen) mais au minimum de dix fois plus : 150 milliards d’euros d’ici 2015 au titre du principal de sa dette actuelle, et 90 milliards au titre des intérêts. Ceci sans compter la dette supplémentaire qu’elle va devoir souscrire d’ici là du fait de ses déficits. Le soutien à la Grèce est un enjeu à plusieurs centaines de milliards d’euros. En a-t-on encore les moyens ? »

    http://www.lesechos.fr/info/inter/020496841181-point-de-vue-nicolas-barre-grece-le-scenario-de-la-faillite.htm

    • Vous oubliez juste une chose importante : l’argent a déjà été prété à la Grèce (et dépensé par celle ci ) et ceci via d’abord les banques allemandes 1er créancier de la grèce et 2emement via des banques françaises… L’action du FMI et consorts ne vise pas à préter davantage, ni à secourir les grecs mais à protéger les créanciers et à récupérer ce qui peut encore l’ètre sous peine d’explosion du système financier européen…

      • Cher lupus c’est très juste nous sommes dans la situation d’un créancier qui dit donnez moi encore du crédit sinon votre créance est perdu..
        Je ne crois pas que nous allons récuperer quoi que ce soit aussi bien pour les Allemans que l’FMI et la France
        De temps en temps il vaut mieux solder ses pertes.
        où se situe le moindre espoir que les grecs puissent se refaire une santé dans leurs économie?
        attendez la vrai crise parce que pour l’instant nous y sommes pas, bien que votre amie chevalier n’y croit pas.
        et le grecs reponderont comme les soviets bolchéviques: débrouillez vous avec ceux qui ont contracté ces dettes

        • Cher Wijngaards , pour un pays avoir le FMI chez soi c’est un peu comme avoir une dette de jeu que l’on est incapable d’honorer auprès des Sopranos : d’abord ils vous cassent les genoux pour vous apprendre à marcher droit, et si cela ne suffit toujours pas ils vous cassent la tète pour vous apprendre à réfléchir à la juste valeur des choses…Bref tot ou tard vous finissez par payer…!!!!

  3. La situation de la Grèce s’aggrave sur les marchés financiers.

    En dépit des promesses d’aide du week-end, les marchés financiers ont encore fait monter d’un cran la pression sur la Grèce lundi, le coût du crédit réclamé à Athènes par des investisseurs de plus en plus méfiants s’emballant à nouveau.

    L’écart entre les bons allemands à dix ans, considérés comme une référence, et les bons grecs, ont battu un nouveau record lundi, à 6,32 %. Ce qui signifie que si les autorités grecques cherchent à se financer sur les marchés, elles auraient besoin pour obtenir des prêts d’offrir un taux d’intérêt avoisinant les 10 %. Soit trois fois plus que ce qui est actuellement réclamé à l’Allemagne.

    Et les valeurs grecques ont plongé, l’indice de référence de la bourse d’Athènes perdant 3 % à 1.802,44 points à la mi-journée.

    Le ministre des Finances grec George Papaconstantinou devait rendre compte lundi au parlement du résultat de ses consultations du week-end à Washington avec les dirigeants du FMI et de l’Union européenne sur l’aide réclamée par Athènes pays de la zone euro et au Fonds Monétaire International.

    En Grèce, les syndicats en lutte contre le plan de sauvetage et furieux des nouvelles mesures d’austérité qu’il devrait entraîner, multipliaient les mouvements de grève : lundi, les ferries étaient à quai au Pirée, bloqués par une grève des marins.

    Mardi 27 avril, les salariés des transports publics devaient cesser le travail pour six heures, alors que le principal syndicat de fonctionnaires prévoyait une grande manifestation dans la soirée.

    (Dépêche Associated Press)

    Conclusion :

    la Grèce va se déclarer en défaut de paiement.

  4. Bonjour,
    deux questions sur le problème grecque :
    1/ pourquoi ne pas revenir à une zone monétaire avec l’Allemagne, le Benelux, l’Autriche et quelques pays ayant une économie suffisamment solide? A vouloir tout défendre on ne défends rien…

    2/ à supposer que les pays européens viennent en aide (avec efficacité) à la Grèce qu’est ce que ces derniers auront à y gagner? la solidarité a elle encore un sens dans une situation de crise ?

    cdt

    krok

    • Bonjour, nous ne venons pas en aide à la grèce nous protégeons et les créanciers qui lui ont trop préter d’une part , et une zone d’exportation d’autre part…la solidarité n’a rien à voir là dedans…Tant que la construction européenne ne sera que politique (et en l’absence de contrepouvoirs internes) on court à la catastrophe….Si volonté des nations à s’unir il y a contruisons d’abord une europe économique et 1ère des choses : une zone monétaire optimale…

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