Malthus, Jean de La Fontaine et le financement des retraites, par Jean-François Delort
J’ai 40 ans, je n’ai connu que la Crise, je suis une fourmi.
Je me demande pourquoi je devrais me saigner aux quatre veines pour financer la retraite et les dépenses de santé des baby-boomers qui, après avoir connu l’insouciance des Trente Glorieuses, dansé tout nus et jeté beaucoup de pavés, n’ont rien fait pour prévoir leur propre futur ? Cette idée, en soi, est à l’opposé du principe de solidarité entre générations qui régit la vie en société (y compris chez certains animaux). Certes les jeunes doivent aider leurs parents, mais ces derniers doivent les mettre en position de le faire. Le gâteau doit grandir à chaque génération pour être partagé, or mes parents ont mangé une part du gâteau, celle qui m’était réservée.
PLUS/MOINS DE RETRAITE EN SUIVANT :
QUID DU “LIVRE BLANC” DE ROCARD ?
Nos hommes politiques modernes, ces professionnels qui ne visent qu’à sécuriser leur propre destin financier après chaque échéance électorale, se sont tous renvoyé la balle depuis des décennies sur l’épineux problème du financement des retraites par répartition.
Quid du “Livre blanc” de Rocard (1991) ? Il mettait par écrit ce que tout le monde semble découvrir aujourd’hui : il n’y a plus assez d’actifs pour financer les retraites ainsi que les dépenses de santé de gens qui vont passer vingt-cinq à trente ans de leur vie à ne rien faire !
Michel Godet : L’équation est connue : en France il y aura demain 1,5 actif pour 1 retraité. Qui va payer ? (cliquez sur le lien)
De droite ou de gauche, nos politiques sont aujourd’hui tous d’accord : c’est la crise financière qui nous a mis dans une situation catastrophique. Ils mentent : Le système de retraite par répartition est mort en 1973, ce n’est absolument pas la crise des subprimes qui l’a tué.
A partir de 1973, la France n’a plus jamais connu de période de croissance réelle forte, le chômage a progressé inexorablement et l’on a arrêté d’importer de la main d’œuvre à tour de bras. C’est le fondement même de notre schéma de retraites à la Madoff qui a été ébranlé, la base de la pyramide commençant à rétrécir.
Marc Touati / La retraite en France : plus fort que Madoff ! (cliquez sur le lien)
Qu’ont fait tous les présidents et gouvernements depuis 1981 : rien. Ils ont joué avec notre futur comme on joue à la roulette en se disant que la croissance reviendrait un jour et sauverait le système. Or, à moins de ressusciter Thomas Robert Malthus, aïeul atomique de Margaret Thatcher, la France ne connaîtra jamais plus la “croissance”.
Chaque petit sparadrap mis sur la plaie des retraites a permis aux gouvernants de remettre le cadavre dans le placard en attendant leur successeur.
Et les syndicats ? Bernard Thibault, de la CGT, vit grâce à la misère des salariés de base, c’est son fonds de commerce, pourquoi essayerait-il de régler le problème une fois pour toutes ?
Les cigales de Mai-68 ont vécu au-dessus de leurs moyens depuis presque quarante ans. Depuis plus de trente ans, nous n’avons jamais eu un budget équilibré et les cigales et leurs élus ont empilé déficit sur déficit y compris pendant les années de croissance économique nominale.
La dette de la France a atteint l’an dernier le point de non-retour : même avec des budgets équilibrés (on peut rêver) et une croissance de 2 % par an les recettes fiscales ne seront jamais plus suffisantes pour rembourser les intérêts de la dette. Notre dette va donc créer encore plus de dette.
Jean Pierre Petit : Trappe à Dettes / Au tour de la France (cliquez sur le lien)
La Crise avec un grand “C” a brisé la possibilité de la retraite par répartition. La crise du système des retraites va maintenant aggraver la Crise avec un grand “C”.
LE TEMPS PRESSE
Monsieur Sarkozy avait promis le plein-emploi à la fin de son quinquennat. Cétait possible grâce, justement, à la courbe démographique et au départ à la retraite des baby-boomers. Il comptait là-dessus pour “repasser” le problème du financement des retraites à son successeur comme l’ont fait tous ses prédécesseurs.
Nicolas Baverez : France / La pause, requiem pour la rupture (cliquez sur le lien)
La hausse du chômage due à la crise financière que nous traversons a rendu ses calculs faux et nous voici au bord du gouffre. Enfin ! Enfin, car si l’on ne veut pas que la France devienne une succursale de l’empire du Milieu, il faut tout remettre à plat, et le temps presse.
Au lieu de faire des calculs savants, qui aboutissent tous à une hausse du taux des cotisations – dramatique pour ce qui nous reste de productivité – et un allongement de leur durée pour les générations encore loin de la retraite, laissons les fourmis de Malthus reprendre leur dû.
Puisque c’est de mathématiques qu’il s’agit, arrêtons de faire croire que le système va continuer à fonctionner avec environ 1 salarié du privé qui finance par son travail 1 adulte “assisté” au sens large du terme : retraités, chômeurs, RMIstes, et… fonctionnaires. Il faut en réalité recréer des inégalités pour qu’une partie de la population continue à vivre en adéquation avec sa contribution – par le travail – à notre société. Pardon pour les autres…
Retraite/France : Un hold-up d’État sur les retraites du secteur privé
Des idées simples, raisonnablement justes et faciles à mettre en œuvre permettraient de régler le problème du déficit actuel. Prenons quelques exemples de mesures qui devraient être prises immédiatement et en parallèle :
– déremboursement de tous les médicaments qui n’ont pas un rôle “vital” au sens propre du terme, idem pour certaines opérations chirurgicales, obligation de choisir les génériques s’ils sont disponibles et reconditionnement des ordonnances par les pharmaciens (nombre exact de doses) pour éviter les gaspillages ;
– diminution générale de 5 à 10 % du montant des retraites ;
– allongement à 65 ans de l’âge légal de départ à la retraite dès 2011, applicable immédiatement à tous les salariés du privé et du public hors régimes spéciaux ;
– suppression des régimes spéciaux et alignement au prorata sur le régime général pour les personnels en fin de carrière dans certains métiers pénibles ;
– abandon du système – par trop avantageux – de calcul des retraites des fonctionnaires et alignement sur celui du secteur privé ; et enfin
– révision draconienne des règles de l’assurance-chômage afin de mettre un terme aux abus en tous genres.
Si nécessaire, une diminution progressive de la couverture maladie à partir d’un certain âge – à déterminer – pourra également être envisagée. J’entends presque Malthus en train de rire dans sa tombe.
Puisque la répartition n’est plus opérante – au moins jusqu’au décès de la génération 1945- 1960 – les jeunes générations doivent avoir accès à des assurances retraite et maladie privées.
Il serait judicieux d’autoriser, dès 2011, les fonds de pension auxquels les Français pourraient cotiser dans un cadre totalement exonéré d’impôts (cotisations déductibles du revenu global et exonérations des plus-values et versements in fine). L’accès défiscalisé aux mutuelles privées devrait être facilité, en contrepartie de la baisse souhaitable des prestations du régime général.
Je le répète, les fourmis doivent vivre décemment avec le fruit de leur travail et ne pas payer sans fin pour les errements des cigales. Et le futur de notre économie est loin d’être rose, il faut donc libérer le travail des jeunes du carcan que représente l’absence de prévoyance de leurs aînés.
VOUS CHANTIEZ ? J’EN SUIS FORT AISE. EH BIEN DANSEZ MAINTENANT !
Le futur de notre économie n’est pas rose parce que notre système est à l’opposé de celui de nos partenaires commerciaux : comment peut-on continuer à faire du libre-échange avec la Chine – où soixante-quinze heures de labeur hebdomadaire donnent droit à un salaire de 50 euros par mois – et assurer une rente de 500 ou 600 euros par mois à tous nos concitoyens, y compris à tous ceux qui ne travaillent pas ou plus du tout ?
D’autre part, après avoir sauvé la Grèce, la France et l’Allemagne pourront peut-être sauver un autre membre du Club Med, mais qui pourra (et voudra bien) sauver la France quand elle ne trouvera plus d’argent sur les marchés pour refinancer sa propre dette ?
Certainement pas l’Allemagne ! L’euro est peut-être déjà mort dans sa configuration actuelle, le franc faible pourrait faire son retour d’ici quelques années et la population va très certainement souffrir encore plus.
Alors réagissons vite : mettons nos gouvernants, nos syndicats et notre peuple face à la réalité : il ne faut pas tenter de réparer le système, il faut en changer.
Qui peut prendre l’initiative d’un changement radical ? Seuls les chefs d’entreprise.
Si tous les chefs d’entreprise de France arrêtent dès le mois prochain de payer les charges sociales le système sera à terre avant la fin de l’année. Arrivera alors, peut-être, l’heure de la prise du pouvoir par les fourmis.
Si nos chefs d’entreprise ne prennent pas les choses en main, un nouveau sparadrap sera apposé sur la question des retraites et le système continuera jusqu’à sa mort lente, avec une nouvelle baisse de notre compétitivité et un nivellement généralisé de la qualité de vie (vers le bas) qui fera de nous le seul pays vraiment communiste dans le monde à l’horizon 2020. Si tout va bien …
Si tout va bien ? C’est-à-dire si la France continue à trouver des financements sur les marchés pour assurer son train de vie somptuaire pendant toutes ces années. Sinon ce sera la révolution. Dans tous les scénarios, Malthus sera gagnant.
En ce qui me concerne, ma décision est prise, je m’en vais pour que mon fils ne grandisse pas dans un sanatorium géant.
Jean-François Delort est lecteur du Monde
LEMONDE.FR | 23.04.10 |
Le plus effrayant dans l’affaire des retraites, c’est qu’elle montre, s’il le fallait encore, la puissance de notre égoïsme, notre courageuse attitude collective et l’incapacité des politiques et de ceux qui les élisent à guider le pays vers la saine anticipation…
Cette grande et formidable irresponsabilité qui nous conduira sans doute au sort que nous prédit ci dessus Marc, comment sera t’-elle jugée par nos enfants ?
Et comme il faudra trouver une explication au désastre, on finira par désigner les plus con-citoyens d’entre nous: ceux qui savaient…