Bruno Bertez : Quand le mistigri refait un tour
La question est de savoir si une position haussière sur les actifs financiers est toujours justifiée alors que débute la crise de la finance souveraine.
LES ACTIONS SONT DE 25 À 30% TROP CHÈRES EN TERMES HISTORIQUES NORMAUX. LES PRIMES DE RISQUES SONT RIDICULES. ELLES N’ONT AUCUN RAPPORT AVEC LA FRAGILITÉ DU SYSTÈME.
LES BAILS-OUT NE FONT QUE DÉPLACER LES PROBLÈMES. REPOUSSER LES ÉCHÉANCES.MAIS ILS SUIVENT UN CHEMIN FATAL.
PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :
Sceptiques, critiques, pessimistes, depuis des mois, c’est à dire depuis février 2009, nous essayons de vous faire surfer sur la vague haussière du marché des assets financiers.
Nous avons choisi de prendre ce risque d’être haussiers malgré notre conviction, notre terrible conviction que le pire restait à venir.
Nous ne sommes pas ce que l’on peut appeler «contrarian». Prendre le contrepied du consensus ne nous a jamais paru être une recette de vérité ou d’efficacité.
Nous sommes simplement critiques, accrochés au bon sens: après vingt ans de crédit excessif, nous sommes confrontés à une crise de surendettement.
Le bon sens, le simple bon sens, indique que l’on ne sort pas d’une crise d’excès de dettes en augmentant le stock.
La valeur d’un stock de dettes est déterminée par les revenus, les cash-flow qui servent à l’honorer, et si les flux n’augmentent pas, la valeur du stock de dettes, ce que l’on peut appeler le stock de promesses, ne peut que se déprécier.
La dévalorisation est incontournable, elle est inscrite. Seul le calendrier est incertain.
Une crise d’excès de promesses,nous employons ce terme car il n’y a pas de vraie différence entre la dette, les equities, les engagements des systèmes de retraite, ceux des systèmes de prévoyance, il s’agit toujours de promesses de payer, une crise d’excès de promesses ne se résout pas par de nouvelles promesses.
Elle se résout soit par la destruction, l’euthanasie d’une partie du stocks de promesses, soit par la manipulation de l’unité de compte, de l’instrument de mesure, c’est à dire par l’inflation de la monnaie.
Il y a bien la solution théorique de l’accélération de la production de richesses, c’est à dire de la hausse des revenus et des cash-flow mais cette solution n’a pas encore été trouvée. En effet, l’excès de dettes dans un système est déflationniste, dépressionniste, il pèse sur la croissance.
L’hypertrophie des passifs du système peut être corrigée: il suffit de laisser la sélection se faire. Les passifs peuvent être ramenés en proportion des actifs, on peut opérer la réconciliation par les faillites, par les moratoires, par les restructurations, par les défauts, par les dénonciations de contrats, etc. Cela a été refusé.
Ce qui a été choisi, c’est d’une part la fuite en avant, et d’autre part le passage du mistigri.
La fuite en avant s’est faite par la création de liquidités, par les taux zéro, par l’inflation du bilan des Banques Centrales, par le quantitative easing, la distribution de revenus de transferts tombés du ciel, les déficits fiscaux, le surendettement des Etats.
Le passage du mistigri s’est opéré et s’opère de la manière suivante:
des ménages surendettés ont transférés leur surendettement au système bancaire et ne paient plus leur dette; le système bancaire a transféré son surendettement aux gouvernements, il a été bail-out, les gouvernements en cours de surendettement comme la Grèce, les PIGS, le Royaume-Uni, etc. s’apprêtent pour éviter l’insolvabilité souveraine à retransférer le mistigri aux ménages par hausse des impôts et baisse des dépenses publiques.
Il n’y a pas, on le voit, de vraie solution dans tout cela, juste de la poudre aux yeux, juste de gigantesques transferts de richesses injustes et destructeurs.
Alors que nous débutons la phase de crise de surendettement des gouvernements, ce que nous appellerons la phase de crise de la finance souveraine, la question qui se pose est de savoir si une position haussière est toujours justifiée sur les actifs financiers et singulièrement sur les actions. Est-il temps d’être prudents et de se mettre en retrait?
Si l’on prend une position fondamentaliste, il est évident qu’il n’est pas question de rester sur les marchés. Les actions sont de 25 à 30% trop chères en termes historiques normaux. Les primes de risques sont ridicules, elles n’ont aucun rapport avec la vulnérabilité et la fragilité du système. Ceux qui croient que l’évaluation des actions est raisonnable sont ceux qui anticipent un maintien des marges bénéficiaires des entreprises au niveau record des dernières années.
Ce maintien est impossible car c’est l’excès de marge bénéficiaire, c’est à dire le déséquilibre du partage du revenu national trop favorable aux entreprises qui est en partie à l’origine de la crise. Il a obligé les salariés à s’endetter et à se surendetter pour maintenir leur niveau de vie et accessoirement continuer à faire tourner la machine de la croissance.
Commentaire : Bilan Résultats/Un excellent cru au 1er trimestre 2010 pour les Entreprise US (cliquez sur le lien)
Les marges bénéficiaires audelà de la période intermédiaire de cost-cuting vont buter sur les conséquences de la productivité à savoir l’absence de croissance des revenus.
Fondamentalement, tous les assets papier sont trop chers: les promesses, les anticipations qu’ils contiennent ne peuvent être tenues. C’est vrai pour le papier des entreprises, mais c’est vrai aussi pour le papier émis par les Etats, lesquels n’auront jamais le pouvoir et la légitimité de prélever ce qu’il faudrait prélever pour assurer la solvabilité de leurs engagements.
Le fondamental n’est pas tout. Il ne se manifeste que sur le long terme. Entretemps, il faut bien vivre,n’est ce pas?
Ceux qui ont boudé la reprise de 2009/2010 pour cause d’absence de soutien fondamental s’en mordent les doigts. A un tel point qu’ils ont hésité ces dernières semaines à jeter l’éponge et à rentrer dans le marché. Espérons pour eux ou leurs clients qu’ils ne l’ont pas fait.
Si nous vous avons fait surfer sur la vague haussière, ce n’est pas en «investissement», mais en «prédateur ». Le mot n’est pas joli, mais il est explicite. Moralement, une attitude de prédateur est justifiée, dès lors que les gouvernements et les banquiers centraux vous obligent à l’être. En supprimant les rémunérations normales de l’épargne, en effondrant les rendements, ils obligent par simple souci de survie à des comportements anormaux.
Ils forcent à chasser le risque, c’est à dire à spéculer, puisque le reste ne rapporte rien, puisqu’il ne permet même pas de préserver son patrimoine. En la matière, le vrai prédateur n’est pas celui que l’on croit, l’investisseur, le vrai prédateur, c’est celui qui tient la banque du grand Casino. L’investisseur gère son épargne et son patrimoine, il court des risques, il s’agit de son argent. Il ne prospère pas sur un système de tiers payant.
Les banquiers du grand Casino, eux, bénéficient d’un système de tiers payant, que ce soit les gouvernements, les banquiers centraux ou leurs bras séculiers.
Malgré des fondamentales négatives, voire catastrophiques, malgré l’annonce d’un nouveau round de turbulences, provoquées par la crise de la finance souveraine, fautil encore rester exposés aux marchés?
La crise grecque, les dégradations de la dette des Etats souverains d’Europe du Sud sontils le point de départ de la grande chaîne de prise de conscience, de la grande chaîne de contagion?
Telle est à notre avis la question centrale. Et pour nous, elle ne constitue pas une surprise. C’est dans ce cadre que notre analyse se développe depuis le début du grand rally boursier. Les haussiers voient la hausse du prix des actions comme un signe de bonne santé et de solidité économique à venir. Les sceptiques, dont nous sommes, voient au contraire la hausse des actions, des obligations et des fonds d’Etat comme autant de symptômes en cours de développement d’une terrible dislocation future des marchés. La mauvaise allocation des flux financiers, l’excès de valorisation du capital, l’insuffisance du prix du risque contiennent en eux-mêmes tous les germes de l’inéluctable future crise._
La voie jusqu’à la grande désillusion
Notre réponse face à la question centrale énoncée cidessus est que nous n’en sommes qu’aux premières escarmouches. Nous pensons que le grand mouvement n’est pas lancé. Pour prendre une comparaison, nous sommes en 2007, à la mi-2007, quand Bear Stearns a annoncé la suspension de la rédemption de deux de ses fonds. Il a fallu, à partir de là, un an, une année entière, aux marchés, aux gouvernements, aux banquiers centraux, pour comprendre la gravité de la situation. Un an pour que l’on débouche sur la crise ouverte. A notre avis, il est trop tôt. Le décor est planté mais la pièce n’est pas encore commencée même si le canevas du scénario est plus ou moins écrit. Autrement dit, le mistigri, notre fameux mistigri, peut être transmis. Le mistigri grec va être repassé à l’Europe, c’est à dire aux gouvernements d’abord, aux contribuables ensuite; il va être repassé au FMI, c’est à dire aux Etats-Unis, au Japon, etc.
Quand on en arrivera au Portugal, ce sera la même chose. Les montants sont encore gérables ou plus encore nous devrions dire diluables. C’est lorsque l’on arrivera aux vrais poids-lourds, Espagne, Grande- Bretagne… que les problèmes prendront une autre tournure et une autre dimension.
Le monde est global et on l’a voulu ainsi. Par le biais des banques et des marchés, tout est interconnecté.
Déjà c’est moins la Grèce que l’on sauve que les banques françaises et allemandes. La contagion s’opère de proche en proche et il n’y a aucun coupe-feu véritable.
Les ressources qui sont mobilisables par les moyens normaux – mais déjà non conventionnels – sont 10 à 15 fois plus petites que les besoins prévisibles.
Et encore, à condition de ne s’inscrire que dans une optique de court terme, c’est à dire de 1 à 3 ans.
Les bails-out ne font que déplacer les problèmes, repousser les échéances, mais ils suivent un chemin fatal, effrayant. Inéluctablement, ils se rapprochent des Centres, du Centre. C’est le grand non-dit, la grande dénégation de la crise: inéluctablement, elle se rapproche du Centre. On le voit avec la Grèce qui était à la périphérie et les solutions passent au Centre du sous-ensemble auquel elle appartient: l’Europe.
Le Centre ultime, ce n’est évidemment pas l’Europe, ce sont les Etats-Unis. C’est le Centre systémique auquel progressivement tout remonte parce qu’il a la clé -revers de son droit de seigneuriage de la création de liquidités, de la fabrication de monnaie et de crédit du système. Les Etats-Unis sont Centre en eux-mêmes, le FMI, n’est qu’une sorte de parefeu qui protège imparfaitement ce Centre. Tant que l’illusion subsiste, tant que l’on peut croire qu’il y a, au-dessus, une entité susceptible d’assurer un bailout, un bout de chemin sur la route de la crise est encore possible. Un nouveau tour de manège est envisageable.
Et notre idée est que le chemin pour arriver au Centre est encore long. La preuve, quand on veut fuir le risque, quand on cherche protection, on achète des Treasuries, on achète des dollars, des promesses américaines.
C’est quand le grand paradigme, quand la grande illusion tombera, que les choses deviendront vraiment sérieuses. Le grand paradigme est encore solide, c’est l’idée qu’une puissance souveraine qui émet sa propre monnaie et qui s’endette dans sa propre monnaie ne peut pas faire défaut.
Une sérieuse alerte est en cours sur les marchés.
Nous ne pensons pas que la cause de cette alerte soit la difficulté sur le marché des dettes souveraines.
Les marchés ont fait preuve d’une très grande résilience face à ce problème. Nous aurions tendance à penser qu’au contraire les difficultés en matière de dettes souveraines sont haussières et non pas baissières pour les marchés.
Pourquoi? Tout simplement parce qu’elles vont obliger les banquiers centraux à prolonger voire même à renforcer l’aisance monétaire.
Déjà le FMI a montré le bout de l’oreille en disant «dans la situation présente, le problème des déficits fiscaux doit être abordé avant la question de la régularisation des politiques monétaires».
En clair, tant que l’on sera plongé dans les problèmes de déficits et de dettes, il faudra différer la normalisation des politiques monétaires. Cela est haussier pour les marchés.
Ce qui est baissier, mais n’est à notre avis que temporaire, ce sont les attaques contre le système bancaire en général et le symbole que représente Goldman Sachs en particulier. Nous avons fait remarquer que les locomotives de la reprise des marchés depuis mars 2009 étaient le secteur bancaire. Casser le secteur bancaire, c’est casser les marchés et on l’a nettement vu la semaine dernière. A partir du moment où les autorités, qu’elles soient régulatrices ou politiques en prendront conscience, elles feront machine arrière. Même les plus bornés sont capables de comprendre que ce n’est pas en cassant l’intermédiation financière que l’on relance le crédit privé! (BBZ)
BRUNO BERTEZ agefi mai2010
BILLET PRECEDENT : Bruno Bertez : Les banques, le bébé et l’eau du bain (cliquez sur le lien)
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