Trappe à Dettes :Le risque qui dépasse de loin celui de la grande récession
Les banques sont autorisées à ne pas détenir de fonds propres sur les obligations d’Etat. Cela sous-entend que ces titres sont sûrs à 100%. « C’est un mensonge historique », selon Tito Tettamanti. La BRI elle-même dresse un portrait pessimiste des dettes gouvernementales
Etude de la BRI : Le bond des dettes publiques exige des mesures drastiques (cliquez sur le lien)
PLUS DE RISQUE EN SUIVANT :
Rien ne serait plus naïf que de prendre les déclarations des autorités au pied de la lettre. Dans la crise de l’euro, «les banques sont des victimes, mais c’est avant tout une crise des finances des Etats et de la politique», a déclaré Tito Tettamanti, dans la SonntagsZeitung. Son argumentation? «Les exigences de capital des banques, contenues dans les normes de Bâle II, autorisent les banques à ne placer aucune réserve de fonds propres sur les obligations d’Etat. Les autorités estiment donc que ces titres sont sûrs à 100%. «C’est un mensonge historique», à son avis. La crise de l’eurozone appuie son discours. Poussées par les autorités à détenir des obligations souveraines, les banques (et les assurances) risquent fort d’accuser de lourdes pertes sur leurs titres.
Ce risque est d’autant plus manifeste que l’envol de la dette publique ne fait que commencer. Ce n’est pas un journaliste qui l’affirme, mais les chercheurs de la BRI, un institut qui n’a pas coutume de dramatiser la situation ou de publier des statistiques incertaines. «Aussi inquiétante que puisse être une dette publique qui dépasse 100% du PIB, un danger encore plus menaçant pour les finances publiques vient du vieillissement rapide de la population», selon une étude de Stephen Cecchetti, Mohanty et Zampolli 1. L’évolution démographique provoquera un ralentissement permanent de la croissance économique, de la productivité et de l’épargne. Les recettes de l’Etat seront inférieures et les dépenses plus élevées. «A moins qu’une action rapide ne soit déployée, ces coûts pourraient augmenter fortement et subitement», selon les auteurs. Plutôt qu’une intervention immédiate sur les dépenses ou une hausse des impôts, qui freinerait une croissance déjà fragile, les économistes recommandent un relèvement «un relèvement de l’âge de la retraite».
Sur la dette, il faut distinguer le fardeau des plans de relance de celui du vieillissement.
Les programmes de relance représentent 13,2% du PIB des pays industrialisés, y compris les injections de capitaux dans les banques et les achats de titres, selon cette étude. Au total, en trois ans la détérioration correspond à 20-30% du PIB.
La nature du problème est inquiétante pour les contribuables parce que le phénomène n’est pas cyclique. Il ne s’envolera pas avec le retour de la croissance. Le problème est structurel et résulte de l’aggravation du rapport entre la population active et les personnes à la retraite, spécialement au Japon, en Espagne, en Italie et en Grèce. Ce sont d’ailleurs les pays les plus visés par les marchés financiers.
La Suisse a certes évité d’inutiles plans de relance, mais elle n’est pas à l’abri des tendances démographiques que décrit une récente étude d’Avenir Suisse: «Pour la première fois dans l’histoire, les familles seront majoritairement composées de quatre générations vivantes. Deux d’entre elles seront à la retraite ou en quasi-retraite». A la création de l’AVS, en 1948, il fallait 6,5 actifs pour financer une retraite…
Les prévisions des économistes de la BRI sont très pessimistes pour les finances publiques. Donc pour les détenteurs d’obligations souveraines.
Pour mesurer l’effort budgétaire exigé, la BRI a effectué des projections en prenant des hypothèses que nous qualifierons d’optimistes: retour à la même croissance qu’avant et taux d’intérêt restant bas. Sans réforme immédiate, par rapport au PIB, le déficit primaire (hors frais financiers) devrait grimper de 13% en Irlande d’ici à 2020, 8 à 10% en Espagne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, 3 à 7% en Allemagne, Autriche, Grèce, Portugal.
Cette détérioration fera grimper le fardeau de la dette à 300% du PIB au Japon, 200% au Royaume-Uni et 150% aux Etats-Unis, France, Italie et Grèce.
C’est pire qu’inquiétant car la croissance économique est pénalisée dès que la dette publique grimpe vers la barre des 100% du PIB, selon Rogoff et Reinhart.
Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff : L’explosion de la dette publique freine la croissance économique (cliquez sur le lien)
Pour des raisons politiques, la solution au défi démographique ne viendra pas d’une immigration accrue. Face à un taux de fertilité insuffisant, l’Allemagne aurait besoin chaque année de 353 000 nouveaux immigrés, la France de 37 000 , la Suisse de 27 000 , la Russie de 608 000, selon Urs Müller, chef économiste du BAK Basel. Et encore a-t-il ajouté que cela suppose qu’ils soient tous parfaitement et immédiatement intégrés sur le marché du travail.
La solution ne peut qu’être douloureuse. Trop de promesses sociales ont été inscrites au programme de l’Etat sous les pressions de la gauche. L’étude de la BRI estime qu’il faut une amélioration du budget primaire, par rapport au PIB, allant de 2 à 4% par an pendant 20 ans pour stabiliser la dette publique au niveau de 2007.
Le tableau est encore assombri par une nouvelle étude d’un institut de recherche allemand, Stiftung Marktwirtschaft. Ce dernier évalue la dette publique allemande en intégrant les engagements liés à la santé et au vieillissement qui ne sont pas encore financés. Il s’agit alors de l’’analyse de la dette implicite des Etats. La dette publique explicite représente 63% du PIB. Mais la dette publique implicite est 4 fois plus élevée (251% du PIB). Au total, la dette publique allemande est ainsi estimée 315% du PIB. Vraiment sans risque les obligations des Etats?
1. The future of public debt: prospects ans implications, Stephen Cecchetti, M.S.Mohanty and Fabrizio Zampolli, BIS Working Papers 300.
Par Emmanuel Garessus le temps JUIN10
EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Andreas Hofert :Le défi titanesque de la dette publique (cliquez sur le lien)
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