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Jeanette Williner: Le rêve russe demande des efforts

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Jeanette Williner: Le rêve russe demande des efforts

On ne peut comparer la Russie à la Chine. Même si on a intégré le pays dans le sigle BRIC. Tout est à construire en Russie: des routes à l’industrie

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S’intéresser à la Russie doit sembler périlleux. Beaucoup préfèrent insister sur les côtés imparfaits de la démocratie russe,
l’importance de la corruption dans le pays (146è place en 2009 du classement établi par l’ONG Transparency International), la médiocrité d’une administration pléthorique qui tourne à vide et se révèle incapable de s’attacher à
la résolution des problèmes pratiques de son ressort .

 Bien sûr la corrélation de l’économie et donc de  la devise au pétrole peut inquiéter.
Une gestion du pays irréprochable peut pourtant le rendre incontournable dans l’Europe de demain.
«Irréprochable» consiste principalement à gérer les flots d’argent qui se déversent dans le pays lorsque les prix de l’énergie dépassent les objectifs. A l’époque les dettes russes ont été remboursées massivement, certaines dépenses ont été faites au bénéfice des défavorisés et bien sûr l’approvisionnement des réserves de change a été massif.

Ce dernier point est très important pour la Russie qui a choisi un contexte de liberté de mouvements de capitaux dans lequel la Banque centrale, dont certes l’indépendance politique peut être discutée (est-elle la seule?), gère l’évolution
de son taux de change sans en assumer les conséquences sur  le plan de sa politique monétaire interne. Cette solution mixte ne laisse que deux outils pour limiter les fluctuations de la devise: les réserves et les taux d’intérêt.
Le maniement de ces derniers peut être entravé par les conditions économiques internes. Il ne reste plus qu’à vendre ou acheter des devises pour assurer la stabilité du rouble. Lorsque fin 2008 le prix du pétrole s’est effondré alors que pour des raisons plus souvent de nécessité que de choix les capitaux étrangers quittaient le pays, les réserves de change ont
été rapidement fortement affectées.
Le côté intéressant de cette situation est que la Russie a choisi de resserrer les conditions monétaires et a amplifié temporairement la récession. L’autre possibilité aurait été d’instaurer un contrôle des changes qui, à terme,
aurait pénalisé l’accès au marché international des capitaux.

Dans l’esprit de reconstruction de son industrie qui habite la Russie, cette accessibilité est fondamentale.
Comme le répète souvent l’économiste russe Iassine, on ne peut comparer la Russie à la Chine, à l’Inde ou au Brésil même
si on a intégré le pays dans le sigle BRIC. En Russie tout est à construire: des routes à l’industrie. Il n’y a rien. Les performances économiques sont médiocres et pourtant le niveau de vie y est (très relativement bien sûr) élevé.

Du côté de l’industrie bien peu de secteurs sont compétitifs: armement, nucléaire et transformation de matières premières spécifique (titane pour l’industrie aéronautique par exemple) et c’est pratiquement tout. On ne parle plus d’industrie aéronautique et pas davantage d’industrie automobile.
Pourtant la première était à la pointe du progrès. Quant à la seconde, malgré un état des routes quasi déplorable, elle a une clientèle nationale puisque le marché russe sera (vraisemblablement) en 2010 le premier d’Europe en nombre de véhicules vendus.
Cette misère industrielle pourrait peu à peu disparaître si des efforts suffisants sont faits. La période de crise que traversent ses voisins européens donne à la Russie une bonne opportunité de remettre au goût du jour cet objectif. Celuici
n’implique pas seulement des créations dans des secteurs clés jugés intéressants pour contribuer au développement du pays mais une modification plus vaste des particularités russes. Elles sont nombreuses et complexes.

L’une d’entre elles, les «monovilles », ou villes mono-industrielles,sont un souvenir du système soviétique.
20 à 25% de la population d’une cité était employée par une seule usine. Déménager la population pour lui conserver un
travail et tenter une reconversion de l’endroit, la moins traumatisante possible, est un pari délicat.
Début 2010 un exercice pratique a commencé: déménager une partie importante (500 familles) des salariés du constructeur automobile Avtovaz de Togliatti à Tikhvine environ 1000 kms au nordouest.
Dans cette ville va ouvrir, à l’automne prochain, une usine de wagons ferroviaires.
Mais voilà, en Russie deux facteurs freinent la mobilité de la population:
la possibilité de trouver un logement et les difficultés de l’enregistrement (toute personne qui réside sur le sol russe doit annoncer sa domiciliation à l’administration).
La tâche est moins aisée que lorsqu’on fréquente les services du contrôle de l’habitant en Suisse. Or l’enregistrement est
fondamental: soins de santé, système scolaire, contrat de travail…en dépendent. Tout le monde va s’y mettre, service des migrations, agence de crédits et des hypothèques pour que cela soit un succès.
Ce dernier est très important pour l’avenir: 400 monovilles existent et emploient près du cinquième de la population totale de la Fédération. Autant dire que le test n’est pas mineur et conduira à conclure sur les vraies capacités d’évolution de la Russie sur le plan administratif et les conséquences positives sur le plan industriel.

Ce serait un soulagement pour tout le monde car les chaînes étrangères ont beaucoup de peine à s’installer. McDonald’s a fini par le succès après des efforts extraordinaires. Ikea s’est mise en colère etc. Le parcours au moins aussi mouvementé qu’en Chine voire plus. Les raisons tiennent à l’influence des autorités locales qui mettent à profit l’aventure. La contestation des étrangers ne fait qu’attiser celle des Russes mise en éveil par les colères du président Medvedev contre une bureaucratie qui s’endort dans le confort.

S’intéresser à ce pays n’est pas inutile par les temps agités que l’on vit. Un pays riche en tout, à qui il manque beaucoup mais dont une part grandissante de la population est capable de changer le cours des choses. Bien sûr, une certaine
opacité règne mais est-elle tellement plus grande que chez les nouveaux venus de l’Union
européenne?

JEANNETTE WILLINER Analyste indépendant MAI10

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