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Kenneth Rogoff: « La crise des dettes souveraines n’est pas finie »

Kenneth Rogoff: « La crise des dettes souveraines n’est pas finie »

« Cette fois c’est différent ! Huit siècles de folie financière» restera comme LE livre emblématique de la crise financière. Ecrit par Kenneth Rogoff, ancien chef économiste du FMI, professeur à Harvard, et sa consœur Carmen Reinhart, université du Maryland, « Cette fois, c’est différent ! Huit siècles de folie financière » est enfin traduit en français (1). En analysant les nombreuses crises bancaires à travers l’histoire, les auteurs ont prédit que celle qui s’est déclenchée aux Etats-Unis, en Islande et au Royaume-Uni entrainerait non seulement une longue période de marasme économique, avec un taux de chômage élevé mais aussi une crise des dettes souveraines, comme celle de la Grèce. Les risques ne sont pas derrière nous. La France, en particulier, doit se méfier : elle approche du seuil de dette (90% du PIB) où la dépense publique devient contreproductive pour la croissance, comme le souligne Ken Rogoff. Dans un entretien au Nouvel Observateur, il met en garde contre les crises à venir des dettes souveraines, en particulier en Europe.

 

Figure 1. Government debt, growth, and inflation: Selected advanced economies, 1946-2009

EXCLUSIF: un entretien avec Kenneth Rogoff

PLUS DE ROGOFF EN SUIVANT :

Le Nouvel Observateur.- Lente sortie de crise ou retour en récession, comment voyez vous la fin 2010 et l’année 2011 ?

Kenneth Rogoff.- Nous montrons dans notre livre que les pays qui sont à l’épicentre d’une crise bancaire subissent ensuite une longue période de croissance faible avec un chômage élevé. Je continue à privilégier ce scénario plutôt que celui du « double plongeon », qui ramènerait les économies occidentales et en particulier celle des Etats-Unis dans un deuxième épisode de récession. La deuxième prédiction de notre livre, c’est que lorsqu’une crise financière internationale se produit, elle est suivie quelques années plus tard par une crise violente des dettes souveraines, qui ne se produit pas nécessairement dans les pays qui ont eu la plus forte crise bancaire. C’est ce que l’on a vu avec la Grèce. Ce n’est pas fini, surtout en Europe.

N.O.- Nous sommes donc condamnés à une croissance lente en Europe aussi ?

K.Rogoff.- Comme l’Europe est entrée dans les turbulences avec une croissance plus faible que celle des Etats-Unis, ce sera sans doute encore pire à la sortie. Je pense que l’Europe saura gérer la crise de la dette. Mais elle devra aussi affronter les problèmes qui se posaient avant les turbulences : le vieillissement de la population, la concurrence de l’Asie…

N.O.- Les gouvernements doivent choisir entre la rigueur pour éviter une crise de la dette ou la relance pour soutenir une croissance faible. Quelle est la bonne stratégie ?

K.Rogoff.- Chaque pays est différent. Aux Etats-Unis, le plus urgent à mes yeux, c’est d’éviter la croissance lente et la déflation. L’arme budgétaire est d’une efficacité limitée, mais malgré tout, l’effort de soutien à l’investissement que vient de proposer Barack Obama, me parait justifié. Il serait toutefois plus efficace d’utiliser la politique monétaire. Le risque qu’il y ait 5% d’inflation pendant deux ou trois ans me paraît moins grave que la déflation. Aujourd’hui, les prix de l’immobilier baissent encore. Avec un peu d’inflation, l’atterrissage serait plus facile.

N.O.-Et en Europe ?

K.Rogoff.- Je comprends aussi la stratégie des Britanniques et des Allemands, qui donnent un tour de vis budgétaire. La crise financière au Royaume-Uni a été très grave. Ils avaient le plus grand déficit de tous les pays de l’OCDE. Une part très importante de leur PIB dépend de la finance. En plus, au cours des 5 ou 6 dernières années, la majorité des nouveaux emplois créés l’ont été dans le secteur public. Il n’y avait plus aucun contrôle sur la politique budgétaire. Il fallait faire quelque chose, d’autant que la Livre sterling n’est pas, contrairement au dollar, une monnaie de réserve. Quant à l’Allemagne, elle partait avant la crise d’une situation moins bonne que celle des Etats-Unis. Elle a un problème majeur de vieillissement de la population. Elle avait aussi un endettement plus élevé. Elle a été critiquée pour ne pas avoir fait suffisamment d’effort de relance, mais finalement son approche a été assez équilibrée.

N.O.- Et la France ?

K.Rogoff.- La France n’était pas à l’épicentre de la crise financière, mais plutôt à la périphérie. Elle suit assez bien les recommandations du G20, qui prône un retour sous contrôle progressif des finances publiques en plusieurs années. Cela paraît raisonnable. La part de l’Etat dans l’économie française est déjà très lourde. Plus de dépenses publiques ne serait pas efficace. Si vous creusez votre déficit, alors que la place de l’Etat dans l’économie est modeste et que vous avez peu de dette, l’effet sur la croissance est positif. En revanche, si les dépenses publiques pèsent déjà lourd, que la dette est élevée et votre position affaiblie sur les marchés financiers, un déficit supplémentaire entraîne plutôt une contraction de la croissance. C’est le cas en général, lorsque la dette dépasse 90% du PIB [NDLR : la dette de la France dépasse 83 et devrait atteindre 87,4% en 2012].

N.O.- Les investisseurs ne délaissent pas du tout les emprunts d’Etat français. Les taux restent bas. Le risque d’une crise de la dette souveraine est-il écarté ?

K.Rogoff.- Avec un taux de natalité proche du remplacement, La France, est dans une meilleure position que l’Allemagne face au problème du vieillissement. Ceci dit, il n’y a aucune linéarité dans le comportement des investisseurs vis-à-vis d’une dette publique. Vous empruntez longtemps avec des taux d’intérêt bas, rien ne se passe… et soudain vous touchez votre plafond de dette, et tout bascule. On ne sait jamais quand cela se produit, si ce sera quand la dette atteint 90, 100 ou 150% du PIB, mais tous les pays ont un plafond. Ceux qui pensent qu’ils ne courent aucun risque font exactement l’erreur que nous décrivons dans notre livre. Ils pensent « cette fois c’est différent ! », la situation est maîtrisée. Ce n’est jamais le cas après l’explosion d’une bulle financière.

Propos recueillis par Sophie Fay

Source Nouvel obs sep10

(1) « Cette fois c’est différent ! Huit siècles de folie financière » sort en français aux éditions Pearson

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE :    Petite introduction à la dette étatique Publié le 30 septembre 2010 par faillitedeletat

charlesgave@gmail.com

 

Extrait:

« Quand les dépenses d’un État excédent ses recettes, il est d’usage de dire qu’il est en déficit. La dette correspond au cumul des déficits du passé. Nous connaissons tous la plaisanterie du détenteur d’un compte à qui son banquier reproche d’être en découvert et qui lui répond : « Aucun problème, je vais vous faire un chèque.» Il s’agit  grosso modo de la solution que nos gouvernements ont choisie depuis des années , convaincus qu’ils étaient de toujours pouvoir emprunter et qu’il était inconcevable que la France puisse faire faillite. Après tout, comme le disait Walter Wriston, président de Citicorp en 1980 : « Les États ne font pas faillite »… juste avant que le Mexique, à qui Citicorp avait justement beaucoup prêté, ne s’effondre en 1982 et ne plonge ladite banque dans de grandes difficultés.  

Cette idée est fausse : les États font faillite.  

Quand ils sont mal gérés, les États font fréquemment banqueroute (encore un terme italien), ce qui vient d’être remis en lumière par deux éminents économistes américains, Rogoff et Reinhart.  

Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff : L’explosion de la dette publique freine la croissance économique

Dans un livre remarquable, paru il y a un peu plus d’un an aux États-Unis, This Time it’s différent(Princeton University Press, 2009), ils montrent tout d’abord que les faillites étatiques ont été choses courantes au cours des huit derniers siècles (!) et qu’il n’y a pas eu un ralentissement notable de ces déconfitures depuis la Deuxième Guerre mondiale.  

Ensuite, ils soulignent qu’une violente crise bancaire est fréquemment suivie de faillites étatiques, lesquelles ont de grandes chances de se produire si le ratio dette étatique/PNB dépasse 100% (dette supérieure au PNB). Enfin, quand la dette atteint et/ou dépasse 80% du PNB, l’économie locale connaît en général une chute rapide de sa croissance, ce qui rend encore plus difficile le remboursement de la dette… et la faillite quasiment inéluctable.  

La grande nouveauté de ces trente ou quarante dernières années est que les pays qui faisaient faillite étaient en général lointains ou excentrés, voire excentriques: Argentine, Russie, Thaïlande, Mexique… Aujourd’hui, si l’on retient les critères de Rogoff et Reinhart, c’est le cœur même du système de l’OCDE qui est concerné, dont bien sûr la France. Je conseille cet ouvrage à tous ceux que l’histoire financière intéresse.   

Extrait de « L’Etat est mort, vive l’état! »  François Bourin Editeur

http://lafaillitedeletat.com/2010/09/30/petite-introduction-a-la-dette-etatique/

EN LIENSOn trouvera la démonstration de Rogoff et Reinhart :  démonstration, graphiques à l’appui, dans la note en lien (« Debt and growth revisited)

http://www.voxeu.org/index.php?q=node/5395

UN ENTRETIEN de Rogoff et Reinhart DANS LE NYT :

 http://www.nytimes.com/2010/07/04/business/economy/04econ.html?_r=2&pagewanted=1&ref=business

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