Art de la guerre monétaire et économique

A propos des vessies et des lanternes par Bruno Bertez

A propos des vessies et des lanternes par Bruno Bertez 

  Nous avons longuement hésité avant d’écrire ce texte. Nous ne savons pas très bien pourquoi, mais nous avons quand même une petite idée. Ou plutôt deux idées.

 La première est qu’il est ambitieux et qu’il vise loin. Bien au-delà des nouvelles, au-delà des marchés et de tout ce que nous avons l’habitude de traiter.

La seconde est qu’il est conflictuel. Il touche à la racine de ce qui sous-tend le fonctionnement de nos sociétés : le Pouvoir

Sous ces deux aspects, vous en conviendrez, l’initiative est périlleuse. Elle l’est d’autant plus que nous n’avons pas le parapluie, la protection de notre expérience des marchés, de la finance et de l’économie, pour nous abriter des chocs en retour. Nous sommes en rase campagne sur un terrain découvert avec pour seules armes notre parole et notre bonne foi.

PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :

L’idée de ce texte résulte d’une triple convergence :

1) la publication des révélations de Wikileaks

Le célèbre site Wikileaks a mis à jour près de 250 000 notes et documents en provenance des différentes agences reliées aux affaires étrangères américaines qui ont été analysés par cinq grands quotidiens internationaux : Le Monde, de France, El Pais, d’Espagne, Der Spiegel, d’Allemagne, The Guardian, de Grande-Bretagne, et le New York Times, des États-Unis.

Parmi les détails embarrassants dévoilés dans ces documents secrets, on retrouve la « National HUMINT Collection Directive », transmise en 2009, qui demandait notamment aux ambassades américaines d’espionner les diplomates de l’Organisation des nations unies (ONU).

« Le mémo 219058, adressé à l’ambassade des États-Unis à l’ONU, à New York, éclaire à quel point les diplomates sont encouragés à ne respecter aucune règle de l’immunité diplomatique, sans parler de respect de la vie privée, écrit Le Monde. Le secrétaire général des Nations unies, son secrétariat et ses équipes, les agences de l’ONU, les ambassades étrangères et les ONG présentes à Manhattan, sont ainsi, sans même présumer du travail des agences de renseignement, soumis au regard intrusif de la mission diplomatique américaine. »

Parmi les détails qu’aimerait collecter le département des affaires étrangères : des échantillons d’ADN, des numéros de carte de crédit, des mots de passe d’ordinateur, des numéros de cartes de fidélité des compagnies aériennes, etc. Le Monde écrit d’ailleurs que les diplomates américains à l’ONU doivent collecter ces informations non seulement sur les représentants des pays ennemis, mais également sur ceux des pays du Conseil de sécurité, y compris les alliés britanniques et français, et sur les dirigeants de nombreux pays.

« Certains ne seront peut-être pas surpris que les ambassades américaines appartiennent à ce point à la communauté du renseignement, peut-on lire dans Le Monde. D’autres, qui croient entretenir des relations de confiance avec des diplomates, réfléchiront avant d’accepter une photo souvenir, ou de laisser leur ADN sur un cheveu retrouvé dans le col d’un manteau au vestiaire de l’ambassade. »

Selon The Guardian, les États-Unis seraient allés jusqu’à espionner le secrétaire général de l’ONU lui-même, Ban Ki-Moon.

On retrouve quand même quelques perles d’humour dans ces 250 000 documents. Ainsi, on apprend que l’actuel président de la Russie, Dmitry Medvedev, est le « Robin du régime dont Vladimir Poutine est le Batman ». Le premier ministre italien, Silvio Berlusconi est quant à lui qualifié de « vaniteux et complètement inefficace comme dirigeant européen moderne ». Le chef afghan Hamid Karzai est quant à lui qualifié « d’extrêmement faible et prompt à croire n’importe quelle personne qui lui racontera qu’elle détient des informations sur un complot contre lui, mêmes les plus bizarres ». 

2) l’échec du Quantitative Easing de Bernanke et des bail-out européens

3) le souvenir d’un texte que nous avons écrit il y a quelques semaines « blessure d’euro n’est pas mortelle ».

Bruno Bertez : Blessure d’euro n’est pas mortelle (cliquez sur le lien)

Le point de départ de notre réflexion a donc été l’euro. Est-ce que nous nous sommes trompés dans notre analyse de la crise de l’euro. Est-ce que, finalement, contrairement à ce que nous avons soutenu, la blessure d’euro pourrait être mortelle ? Vous remarquerez que nous sommes déjà un peu plus à l’aise. Nous retombons sur nos pieds et sur notre terrain habituel !

Dans le texte précité « blessure d’euro n’est pas mortelle », nous nous sommes engagés sur le terrain de l’adversaire.Nous avons admis que la thématique était correcte et que les gouvernements et les Banques Centrales, les Pouvoirs donc, ne nous fourvoyaient pas. Nous nous sommes placés, comme nous le disons souvent, sur le terrain délimité par les gouvernements. Pas un instant nous n’avons soupçonné qu’il s’agissait d’une mystification et d’une manipulation.

Nous avons admis

1) que les problèmes étaient économiques et fiscaux du genre déficits excessifs, pertes de compétitivité, rigidité des appareils de production, erreurs de politique économique, etc.

2) que les approches européennes, prudentes, fondées sur une relative rigueur, bref, des approches anti-anglo-saxonnes, étaient meilleures et plus adaptées que celle des Américains. Nous avons soutenu l’approche de la BCE et sa réticence à monétiser à tout-va. Nous avons apprécié la voie allemande inspirée par les priorités à la production , l’investissement, l’épargne, l’effort.

Tout ceci nous a conduit à notre optimisme. Un optimisme que l’on peut résumer de la façon suivante : l’Europe est en difficulté, l’euro chute contre le dollar, mais les problèmes américains sont bien plus graves que ceux des Européens et on le constatera lorsque la croissance outre-Atlantique ralentira et que l’on parlera là-bas de nouvelles mesures de stimulation monétaires et fiscales.

Reconnaissez que nous ne nous sommes pas trompés. L’euro a fortement remonté après la crise grecque. La hausse s’est accélérée dès que le pouvoir américain a reconnu le ralentissement et qu’il a évoqué la perspective d’une nouvelle monétisation, Quantitative Easing n°2.

Nous n’avons eu raison que temporairement.

La hausse de l’euro s’est interrompue, la baisse du dollar voulue et attendue n’est pas venue.

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Les raisons apparentes de ce contre-pied sont :

1) des indicateurs économiques US meilleurs que prévu ; pas de double-dip et même une tendance modeste à la ré-accélération

wealth pyramid

2) des indicateurs européens faibles pointant au contraire dans le sens du ralentissement

«Selon Eurostat, le déficit budgétaire agrégé des 16 membres de la zone euro a atteint 6.3% duPIB en 2009 contre 2.0% en 2008; le déficit de la Grèce a été révisé àla hausse à 15.4% du PIB. Le HCPI de la zone est en hausse de 0.4% en octobre, +1.9% sur un an; pas de quoi inquiéter la BCE. Par contre,en Grande-Bretagne, l’inflation sur un an atteint 3.2% en octobre, avec un risque de 3.5% en début d’année prochaine »

3) des signaux de marché oranges en Europe avec des credit default swaps en hausse et des spreads de risques allant s’élargissant.

(cliquez sur les graphiques pour aggrandir)

source Zero hedge

Au fil des jours, les signaux de tension sur les marchés européens se sont précisés. Les indicateurs aussi bien sur le crédit souverain que sur la santé du secteur bancaire se sont mis au rouge. Entraînées par la déconfiture du secteur financier, les bourses ont pris une orientation négative.

Tout ceci a débouché sur la crise irlandaise, sur les pressions européennes pour imposer un bail-out à ce pays, sur le bail-out laborieux… et l’échec du bail-out.En effet, au lendemain de l’annonce du plan de sauvetage irlandais, les marchés n’ont manifesté aucun soulagement.

L’euro a cassé des seuils critiques, des moyennes mobiles longues ;

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les taux sur les emprunts souverains du Club Med n’ont pas baissé et surtout les taux du core européen, les taux allemands, ont monté.

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 En tant que plan destiné à ramener le calme sur les marchés, le sauvetage est un échec. A un point tel qu’à peine décidée, la résolution d’imposer un partage des pertes, un haircut, au secteur privé et au secteur bancaire à partir de 2013, cette décision a été rapportée. On est revenu quasi immédiatement à la situation antérieure, c’est à dire une situation de type FMI avec discussions politiques et traitement cas par cas. En gros et pour simplifier, l’abandon du haircut, c’est l’abandon de la voie des restructurations des endettements.

C’est par ce reniement, par cette pirouette, cette volte-face que se révèle la vérité. A savoir que toute cette question du crédit souverain, des PIIGS, du Club Med, est de la poudre aux yeux. Le problème n’est pas là. Il n’est pas là où l’on voudrait que l’on regarde, il est dans ce qui est escamoté.

Le vrai problème, c’est la situation du secteur bancaire. Le problème du crédit souverain n’est qu’un révélateur d’une part et un alibi d’autre part. Il faut renverser la perspective, cesser de marcher sur la tête et remettre l’édifice analytique sur ses pieds.

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La crise du crédit souverain en Europe est l’équivalent de la crise des subprimes aux Etats-Unis avec des similitudes frappantes. A la faveur d’une liquidité excessive, motivé par des recherches de profits exagérés, le secteur bancaire a octroyé des prêts pourris, le caractère « pourri » de ces prêts étant dissimulé par le rating, c’est à dire en fait par l’illusion de la convergence européenne. La politique des banques européennes a été autant à courte vue et autant critiquable que celles des banques américaines. On s’interroge sur la gestion de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne, pourquoi ne pas s’interroger sur les raisons qui ont poussé les banques à leur accorder les crédits qui, maintenant, constituent problème.  Cette crise des subprimes européens révèle que le secteur bancaire a commis des erreurs colossales, des imprudences inexcusables, dont les montants sont disproportionnés, non seulement en regard de leurs fonds propres, mais aussi en regard de la taille de leur pays d’origine. Les banques allemandes ont 140 milliards d’euros de créances sur l’Irlande, soit 4,2% du GDP allemand. Et la même chose pour les banques britanniques, françaises, belges, etc. Nous vous renvoyons aux chiffres publiés par la BRI, vous y trouverez non seulement les chiffres des engagements sur l’Irlande, mais ceux absolument effrayants sur le Portugal et l’Espagne

Quelles sont les banques potentiellement les plus affectées par la crise de la dette européenne? (cliquez sur le lien)

Le problème fondamental, le problème qui est à la racine de la crise, ce n’est pas l’insolvabilité des PIIGS, du Club Med et autres, c’est le fait que les solutions habituelles pour résoudre le problème sont impossibles à mettre en œuvre. C’est le fait que les banques ne peuvent plus faire face. Elles ne peuvent continuer à empiler les créances sur les Etats souverains et elles ne peuvent pas non plus accepter de les restructurer.

Paradoxe majeur, alors que dans la présentation qui en est faite par les gouvernements, dans la crise européenne, l’Allemagne apparaît comme un pôle de solidité, dans la réalité, elle est le maillon faible, elle est le mauvais élève. Avec un peu d’humour, nous dirions le mauvais élève qui essaie de jouer au professeur. Dès lors que l’on rétablit le problème dans sa nudité, dans toute sa clarté, l’Allemagne est non pas la solution, mais le problème : le colosse aux pieds d’argile, le château de cartes. Le core européen est gangrené. Le Centre est miné, rongé par les dettes « pourries ».

Tant que la mystification et les mensonges persisteront, ne vous attendez pas à ce que les « solutions » donnent des résultats positifs. C’est normal puisque les solutions s’attaquent à l’apparence du mal et non à sa réalité profonde.

Les marchés sont plus informés et plus intelligents que les gouvernants car ils bénéficient de la dissymétrie de l’information. Les banques qui dominent les marchés connaissent leurs situations réelles et celles de leurs confrères ou consœurs. Contrairement aux affirmations des politiques, elles ne spéculent pas, elles prennent des décisions de gestion, les décisions de gestion qui s’imposent pour leur survie : elles réduisent leurs risques, elles achètent des protections, elles refusent de continuer à financer malgré les cadeaux de la BCE. Ce qui apparaît comme des dysfonctionnements de marché ou des comportements immoraux n’est en réalité que de la gestion sous contrainte. Sous contrainte de survie.

Ce renversement de perspective qui reconstitue les chaînes de causalité et les remet dans le bon ordre est essentiel. Il permet de comprendre

1) que l’Allemagne ne peut sauver l’Europe puisque c’est elle qui est la plus atteinte

2) que les plans type FMI, fonds de soutien et autres ne servent qu’à aggraver la situation car ils réduisent la solvabilité globale et augmentent la masse des endettements

3) que l’Europe est condamnée à rester unie, que l’éclatement est impossible.

 Les débiteurs tiennent les créditeurs par la barbichette. Pire, les débiteurs ont presque plus intérêt à sortir de l’Europe que les créditeurs. L’Allemagne ne peut sortir, ce serait précipiter la perte de son secteur bancaire et accessoirement, il faut le dire en passant, celui de son secteur exportation.

L’euro va continuer, les bail-out vont se multiplier. Les mensonges aussi. Les Pères Fouettard rigoureux allemands vont manger leur chapeau, nécessité fait loi. Les défauts sont impossibles, les éclatements de la zone euro sont hors de propos. La seule perspective est celle de la monétisation.

Quel est le rapport avec notre introduction ? Il est évident.

 Vous l’avez compris. Tout tourne autour de la pratique politique fondée sur l’opacité, la non-transparence, la manipulation, la mystification, l’inversion des causes et effets, etc.

Wikileaks au plan du contenu de ses révélations est très décevant. Nous n’avons rien appris que nous ne soupçonnions.

Les débats sur Wikileaks non plus ne nous ont rien appris avec toutes ces fausses questions sur la nécessité du secret, les bienfaits de la transparence en démocratie, le cynisme américain, la complaisance et la veulerie des satellites et des vassaux, etc. Tout ceci en fait, le public, le peuple, le souverain, le sait. Et s’il ne le sait pas, au fond de lui-même, il s’en doute.

L’effet de Wikileaks est ailleurs.

Il est dans le basculement qui fait chuter le Pouvoir.

Dans le dévoilement de ce qu’il est réellement, c’est à dire un menteur, un manipulateur non crédible. La parole de Pouvoir, au-delà de son contenu, qui peut être vrai ou faux, a une caractéristique essentielle : elle a un poids. Et c’est ce poids qu’elle est en train de perdre avec les révélations de Wikileaks, avec les erreurs de Bernanke, avec les contorsions européennes. Ce qui est en cause, ce qui constitue l’unité de nos propos disparates, ce ne sont ni les vessies, ni les lanternes, mais le pouvoir de faire prendre les vessies pour des lanternes.

Buno Bertez 30 novembre 2010

BILLET PRECEDENT :

Le temps des grandes réformes est venu par Bruno Bertez

EN COMPLEMENT : Wikileaks alimente la spéculation sur Wall Street

Julian Assange en entrevue avec Forbes.

Un autre type de spéculation débarque sur Wall Street aujourd’hui: est-ce que la prochaine cible de Wikileaks est Citigroup, Bank of America ou Goldman Sachs?

Dans une entrevue qu’il vient d’accorder au magazine Forbes, le créateur de Wikileaks dit qu’il va révéler au début de la prochaine année des milliers de documents confidentiels sur une grande banque américaine.

La transcription de l’entrevue avec Julian Assange est ici. Ce dernier affirme notamment que «des pratiques contraires à l’éthique vont être dévoilées».

Ça ne veut absolument pas dire que la nouvelle cible de Wikileaks est Bank of America.

N’empêche que le mois dernier, l’agence Bloomberg rapportait ici qu’un ex-employé de Bank of America était accusé par la banque d’avoir volé à la veille de son congédiement en septembre une vingtaine de documents confidentiels.

Bank of America soutient dans sa poursuite que l’ex-employé, Rao Chalasani, aurait transféré par courriel des documents sur les profits et les pertes de la banque, sur les positions de «trading» en Bourse et sur l’évaluation du niveau de risques chez Bank of America dans le but de causer des dommages et de porter atteinte à la réputation de la banque

Richard Dufour/ la presseaffaires nov10

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Une Allemagne hypocrite par Michel Santi

  • Les responsables politiques Allemands font preuve d’indécence quand ils critiquent et font la leçon aux Etats-Unis. Que penser en effet de l’attitude de leur infaillible Ministre des Finances Schauble qui, émettant tout récemment des réserves vis-à-vis du programme de baisses de taux quantitatives Américain, fit valoir que les USA n’aidaient vraiment pas leurs partenaires…? Ecoutons le:  » Les succès Allemands à l’exportation sont basés sur l’augmentation de la compétitivité de nos entreprises et non sur des manipulations monétaires. Le modèle de croissance Américain est, en comparaison, paralysé dans une crise profonde … Les USA ont vécu trop longtemps à crédit tout en agrandissant leur secteur financier et en négligeant leur base industrielle. Les problèmes US ont plusieurs sources, les surplus Allemands ne sont pas une de ces sources… ». 

 Imbus par leurs excédents, les Allemands ignorent manifestement les règles élémentaires car la corrélation entre leur propre modèle de croissance orienté entièrement sur l’export et leurs partenaires commerciaux est pourtant incontestable. N’est-il pas pour le moins hypocrite que l’Allemagne s’érige en donneuse de leçons vis-à-vis de nations comme les Etats-Unis (mais aussi de pays Européens comme la Grèce et bien d’autres…) alors même que c’est grâce aux déficits de ces pays et du fait même de leur propension à vivre au-dessus de leurs moyens qu’elle-même (l’Allemagne) peut dès lors bénéficier de confortables surplus? 

La comparaison est en fait encore plus choquante au sein même de l’Union Européenne qui, en tant que bloc, offre une balance des paiements relativement équilibrée vis-à-vis du reste du monde. En effet, les comptes de l’Union étant précisément un jeu à somme nulle, les excédents d’un pays membre sont systématiquement contre balancés par les déficits d’un autre… Ainsi, l’Allemagne étant le partenaire commercial (de loin) dominant (et dominateur) en Europe du point de vue de ses excédents commerciaux, il va donc de soi que les nations pauvres de l’Union et autres laissés pour compte de ce bloc monétaire ne pourront jamais espérer renouer avec des surplus salutaires dont ils auraient néanmoins un besoin vital.

Que l’Allemagne soit reconnaissante à la BCE qui, grâce à ses interventions, est pour le moment parvenue à sauver l’Euro … car les PIGS auraient aujourd’hui complètement sombré si l’on devait suivre les directives du Gouvernement Merkel.

Michel Santi gestionsuisse.com 28nov 2010

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Tempête sur l’Irlande par Martin Wolf

Si quelque bien peut résulter du désastre irlandais, ce sera de faire comprendre que la vision allemande des problèmes de la zone euro est erronée.

La vision dominante, à Berlin, consiste à penser que les problèmes de fond de la zone euro sont à chercher du côté de l’incontinence budgétaire et de la rigidité économique, et que les solutions à lui apporter se nomment donc discipline budgétaire, réforme structurelle et restructuration de la dette.

L’Irlande, toutefois, ne se trouve pas en difficulté à cause de défaillances budgétaires, mais en raison d’excès financiers ; l’Irlande a eu besoin d’aide alors même que son économie est d’une extrême flexibilité ; et c’est justement l’évocation insistante d’une restructuration de la dette qui a déclenché une crise.

L’Irlande n’a rien à voir avec la Grèce. En 2007, la dette publique nette de l’Irlande s’élevait à 12 % de son produit intérieur brut (PIB), alors qu’elle était à 50 % du PIB en Allemagne et à 80 % en Grèce.

De même, la dette de l’Espagne ne s’élevait, en 2007, qu’à 27 % de son PIB.

Si les règles budgétaires avaient été appliquées avec la même brutalité que ce que réclament aujourd’hui les dirigeants allemands, elles auraient affecté plus de deux fois plus souvent la France et l’Allemagne que l’Irlande ou l’Espagne entre la création de la zone euro et les crises actuelles.

Ce n’est pas le secteur public mais bien le secteur privé qui, en Irlande comme en Espagne, a perdu la tête. Dans un contexte de faible taux d’intérêt, dû principalement à une faiblesse chronique de la demande dans les pays du coeur de l’Europe – la demande intérieure réelle de l’Allemagne n’a augmenté que de 5 % entre 1999 et 2008 -, le crédit et le prix des actifs ont explosé dans plusieurs pays de la périphérie, notamment en Irlande.

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De surcroît, jusqu’en novembre 2007, les écarts de taux entre les dettes publiques espagnole et irlandaise d’une part, allemandes d’autre part, étaient proches de zéro. Il n’est guère étonnant non plus que les fournisseurs privés de crédit aient échoué à discipliner le boom : ils l’ont provoqué.

Puis est arrivé le « moment Minsky », moment où une bulle financière éclate et génère la panique. Les prix des actifs se sont effondrés, la masse des prêts consentis est apparue dans toute sa redoutable ampleur et le gouvernement irlandais a dû en toute hâte garantir ses banques.

La combinaison de ces garanties et des énormes déficits budgétaires creusés par la compression des dépenses du secteur privé – d’après le Fonds monétaire international (FMI), le secteur privé irlandais devrait cette année présenter un excédent financier équivalant à 15 % du PIB – a entraîné une explosion de l’endettement public. Mais cette dernière calamité est la conséquence de la crise, non sa cause.

Voilà pour les causes. Examinons à présent les solutions. L’Irlande ne manque pas de flexibilité. Au contraire, les coûts unitaires de sa main-d’oeuvre se sont effondrés par rapport à ceux de l’Allemagne. A long terme, cela représente un atout pour sortir de l’ornière. Mais sur le court terme, la chute des salaires et des prix aggrave le poids de l’endettement libellé en euros.

Sous la pression, l’Irlande a aussi imposé la rigueur budgétaire. Or, tenter de déflater une économie frappée par l’éclatement d’une bulle des prix des actifs se solde souvent par un échec, même si l’Irlande, petite économie ouverte, a de plus grandes chances de s’en sortir grâce aux exportations que d’autres membres de la zone euro.

Malheureusement, alors même que l’Irlande tentait précisément de faire cela, les membres de la zone euro ont décidé, sous l’impulsion de l’Allemagne, de mettre en place un mécanisme de restructuration de la dette souveraine. L’accord conclu le 18 octobre entre la chancelière allemande, Angela Merkel, et le président français, Nicolas Sarkozy, pour demander une révision du traité de Lisbonne permettant d’introduire un tel mécanisme a déclenché un mouvement de vente d’obligations en Grèce, en Irlande et au Portugal. Ce qui, à son tour, a contribué à alimenter un nouvel accès de panique.

Comme le remarque Paul de Grauwe, de l’université de Louvain, dans un article rédigé pour le Centre for European Policy Studies, la légitimation d’une restructuration de la dette souveraine ne peut qu’entraîner des offensives spéculatives. Il recommande pour sa part la création d’un vaste fonds monétaire européen capable de financer l’indispensable ajustement.

Le principal argument en faveur d’une telle initiative est que le secteur privé provoque des excès qui s’auto-alimentent. En laissant la voie ouverte au pire, les désastres deviennent quasi inévitables. C’est ce qui justifierait la mise en place d’un prêteur en dernier ressort.

Cela n’empêcherait pas de procéder à une éventuelle restructuration de la dette, mais seulement dans les cas où l’ajustement est impossible. Sans soutien en liquidités, toutefois, la seule rigueur échouera trop souvent à dissiper le pessimisme, car les investisseurs ont du mal à croire à la perspective d’une austérité encore plus rigoureuse. Le défaut de paiement peut alors se révéler inévitable, même s’il eût été inutile avec des conditions d’emprunt moins onéreuses.

La grande question, cependant, reste de savoir si une union monétaire gérée selon les exigences formulées par Berlin a quelque chance de fonctionner.

Au mieux, s’en remettre à la discipline budgétaire et à la restructuration de la dette ne peut que générer une politique essentiellement procyclique. Au pire, cela entraînera aussi dépressions et défauts en série dans les pays membres. Le problème est aussi mondial : exiger l’ajustement inflationniste dans les pays les plus faibles risque de transformer la zone euro en une immense Allemagne, dépendant de l’importation de la demande du reste du monde.

Comme l’a souligné Philip Whyte dans un article pour l’organisme proeuropéen Centre for European Reform, la zone euro pèse d’un poids trop grand pour jouer un tel rôle dans l’économie mondiale. Aussi, la question des déséquilibres dans la zone euro est incontournable, quelle que soit la réticence de l’Allemagne à aborder ce débat.

La crise représente un immense défi pour l’Irlande, qui aurait sans doute grand intérêt à convertir les dettes de ses banques non assurées en capitaux propres plutôt que d’obliger ses citoyens à voler à la rescousse de tous les prêteurs imprévoyants.

Mais le cas irlandais montre aussi que la conception allemande de la façon dont devrait fonctionner la zone euro est erronée : l’insouciance budgétaire n’est pas le problème essentiel ; rigueur budgétaire et restructuration de la dette ne sont pas les seules solutions. On ne peut tirer aucun enseignement de l’histoire si on ne la comprend pas.

Martin Wolf  /FT/LE MONDE ECONOMIE | 29.11.10 |

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Cette chronique est publiée en partenariat exclusif avec le « Financial Times ».  (traduit de l’anglais par Gilles Berton.)

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WSJ :  L’Allemagne, l’inflation et la crise de la dette

  L’avenir de l’Union européenne dépend peut-être de la capacité de l’Allemagne à accepter une inflation nationale plus forte.

En effet, pour retrouver une compétitivité équilibrée au sein de la zone euro, il faut soit que les pays situés à sa périphérie réduisent leurs coûts de production, et notammment le coût du travail, soit que l’Allemagne devienne moins compétitive par rapport au reste de l’Europe en augmentant ses propres salaires et autres coûts de production.

Tout cela semble simple.

C’est d’ailleurs ce qui est en train de se produire pour l’autre grande zone monétaire que constitue le bloc dollar-yuan. En dépréciant le dollar, la réserve fédérale américaine essaie de générer un peu plus d’inflation sur son territoire, et beaucoup plus en Chine. Au bout du compte, soit cette dernière ne pourra faire autrement que de réévaluer le yuan par rapport au dollar, soit elle verra son avantage concurrentiel diminuer.

La zone euro ne permettant pas les réévaluations, le retour à l’équilibre ne peut se faire qu’en jouant sur les taux d’inflation en son sein.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là: l’inflation dégrade la valeur de l’épargne liquide. Si l’on considère celle-ci comme des obligations d’État à coupon zéro et échéance immédiate, l’inflation représente une perte pour les épargnants. Mais pourquoi certains porteurs d’obligations devraient-ils être sacrifiés quand d’autres seraient secourus?

Une inflation plus forte en Allemagne pénaliserait les détenteurs allemands de liquidités et de dette souveraine tandis que dans des pays comme l’Irlande, la Grèce et le Portugal, où l’inflation est faible – même s’il n’y est plus question de déflation -, les obligataires seraient avantagés.

En outre, la pilule serait certainement dure à avaler pour les épargnants allemands, qui développent une véritable allergie à la seule évocation du mot « inflation » depuis le milieu des années 1920.

Par ailleurs, les détenteurs d’emprunts d’Etat grecs, irlandais et portugais risquent d’avoir à accepter des pertes substantielles. Selon une étude associant le MIT à la London School of Economics, des pertes de 80 à 90% seraient nécessaires pour permettre d’abaisser l’endettement de ces pays sous le seuil de 80% du PIB, au-delà duquel la dette est difficilement soutenable lorsqu’une majorité des créanciers est étrangère.

Et sauver des banques mises en difficulté par la dépréciation de titres grecs, irlandais ou portugais constituerait un lourd fardeau pour des pays comme la France ou l’Espagne.

Qu’elles soient liées à l’inflation ou à des défauts de paiements, des pertes seront inévitables pour les obligataires.

Comme l’explique John Hussman, du fonds d’investissement Hussman Funds,

 « la meilleure solution pour gérer une grande crise de l’endettement – ou plutôt, la seule solution efficace que les nations aient jamais trouvée pour gérer ce genre de crises – est d’échanger les créances contre des actifs, et de procéder à des restructurations et à des dépréciations ».

Cela vaut pour les prêts hypothécaires, les dettes des banques et les dettes souveraines.

Les créanciers, qui ont jusqu’à présent été protégés, finiront bien par être touchés par cette crise avant qu’elle ne s’achève. Et parmi eux se trouvent des détenteurs de liquidités et autres placements « sans risque », tels que ceux tant appréciés par les Allemands.

Alen Mattich, Wall Street Journal nov10

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Soft law ou la loi du plus fort par Henri Schwamm

Le gouvernement a cédé la place à la gouvernance sans légitimité démocratique.

Là où autrefois des politiciens élus adoptaient des lois et signaient des traités pour façonner l’avenir, des experts non élus élaborent aujourd’hui des règles que l’on qualifie de molles (soft law).  Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, a décidé avec ses collègues du Conseil des gouverneurs de la première réponse à la crise des subprimes. Il n’a aucune légitimité démocratique.

Jacques de Larosière, ancien directeur général du FMI, est l’auteur d’un rapport préconisant des solutions à plus long terme à la crise financière. Il a été mandaté par la seule Commission européenne et n’a aucune autre légitimité. Son rapport doit pourtant être considéré comme la réponse de l’Europe à la crise.

 Le G20 s’est autoproclamé gouvernement économique du monde. Il n’a pas de charte. Aucun traité ne fixe les règles de son fonctionnement. Le nombre de ses membres est fluctuant.

Qui décide si les banques sont correctement capitalisées ou non? Les Accords de Bâle, un autre produit soft law.

 Quand la crise est passée des banques au marché et qu’est apparue la dette souveraine, qui, en Europe, a pris le relais des banques centrales ?, Le Pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne création hybride entre la loi dure et la loi molle.

Voilà deux exemples de mesures prises en temps de crise. En temps normal aussi, les accords tacites et les conventions verbales (gentlemen’s agreements), dépourvus de tout caractère légalement contraignant, ont tendance à se multiplier. Graham Mather, président du European Policy Forum de Londres, en a fait la démonstration l’autre jour à Zurich, devant les membres de la Progress Foundation.

Non seulement ces pactes informels manquent de bases légales, mais ils se prétendent exécutoires en vertu d’une certaine forme de responsabilité internationalement partagée. Ils sont souvent opaques et ne doivent rendre de comptes à personne. L’OCDE est à l’origine d’un certain nombre de ces arrangements dans le domaine fiscal. Même des organisations non gouvernementales (ONG) élaborent des codes de conduite qu’elles cherchent à imposer le plus largement possible dans le monde. Les pays récalcitrants découvrent un beau matin qu’ils figurent sur une liste grise ou noire. Les entreprises récalcitrantes connaissent le même sort.

D’une manière assez répandue, en Europe et aux Etats-Unis tout au moins, ces accords tacites en tous genres expriment la volonté des grands pays. Ils négligent le plus souvent les intérêts des petites nations quand ils ne les rejettent pas carrément. La soft law est la loi du plus fort.

Graham Mather ne la condamne pas pour autant complètement. Elle peut avoir son utilité en permettant de tester des politiques dans un monde de plus en plus complexe. Elle peut accélérer le processus de décision, faciliter l’expérimentation et la coopération.

Elle connaît pourtant assez vite ses limites : elle n’offrira jamais de base stable à la société civile, elle est incapable de servir de fondement à un ordre constitutionnel. Elle peut cacher des désaccords profonds, des incompatibilités, comme dans le cas de la zone euro qui est une union monétaire non optimale. Le pacte européen de stabilité et de croissance, en essayant de mélanger loi dure et loi molle, provoque la confusion et est loin de satisfaire tous ses membres.

Le président du European Policy Forum estime que le moment est venu de repenser la manière dont nous fabriquons la soft law. Faut-il n’y voir qu’une parenthèse ou s’agit-il d’une forme indépendante de législation et de réglementation? Devons-nous nous accommoder de l’hybridité? Ne devrions-nous pas chercher à formaliser des sauvegardes pour nous prémunir contre les conséquences perverses de cette manière non traditionnelle de légiférer? Si les protocoles d’accord (memoranda of understanding), codes de conduite et autres principes directeurs sont de qualité, nous devrions sans doute les transformer en lois, tout en prenant soin d’y introduire une clause de caducité (sunset clause). S’ils sont mauvais, nous serions bien inspirés de les abandonner.

henri schwamm Université de Genève nov10

EN BANDE SON :

4 réponses »

  1. Que s’est-il passé depuis le 20 octobre 2010 au Portugal ?

    Réponse : le Portugal a emprunté sur les marchés internationaux.

    Mercredi 20 octobre 2010 : pour un emprunt à un an, le Portugal a dû payer un taux d’intérêt de 2,886 %.

    Deux semaines plus tard, mercredi 3 novembre 2010 : pour un emprunt à un an, le Portugal a dû payer un taux d’intérêt de 3,260 %.

    Quatre semaines plus tard, mercredi 17 novembre : pour un emprunt à un an, le Portugal a dû payer un taux d’intérêt de 4,813 % !

    Six semaines plus tard, mercredi 1er décembre, le Portugal a dû payer un taux d’intérêt de … 5,281 % !

    (Par comparaison, pour un emprunt à un an, la France doit payer un taux d’intérêt d’environ 0,861 %, l’Allemagne doit payer un taux d’intérêt d’environ 0,701 %.)

    Plus les jours passent, plus le Portugal emprunte à des taux d’intérêt de plus en plus exorbitants.

    Plus les jours passent, plus le Portugal se surendette.

    Plus les jours passent, plus le Portugal se rapproche du défaut de paiement.

  2. Cela fait plus de 40 ans que je lis la même chose dans la presse francophone : « les finances allemandes et leur économie sont au plus mal ». Vous vous en souvenez si vous êtes assez âgé pour cela. Moi, je me souviens de ces épisodes qui étaient à chaque fois suivis par une dévaluation ou une déroute du franc français !
    Alors, que vous soyez Français français ou Fraçais international qui déteste les Allemands, je trouve que vous continuez à vous gober et toujours de la même manière : vous prenez vos désirs pour des réalités comme le nain de jardin.

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