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Affaire Strauss-Kahn : La justice américaine révélée à la France

Affaire Strauss-Kahn : La justice américaine révélée à la France

Les méthodes juridiques et les images d’outre-Atlantique choquent. Dominique Strauss-Kahn, d’ores et déjà «cramé», en fait les frais

Revue de Presse

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Les images ont déjà eu un impact terrible pour Dominique Strauss-Kahn: celles, diffusées lundi matin, le montrant menotté. «Des images très fortes, qui ont choqué la classe politique. A gauche, particulièrement, mais aussi à droite», écrit Libération. Et «celles, diffusées plus tard dans la journée, le montrant au tribunal…»: elles stupéfient, ces images, à l’instar du site de TF1, et DSK pourrait se heurter à un obstacle juridique de taille, vu de Paris: «Les jurés, la plupart du temps issus de classes ouvrières et multiethniques. «Toute cette histoire va paraître très classique, l’homme riche blanc qui profite d’une jeune immigrée», souligne Frank Bress», qui est professeur à la New York Law School. Pour l’Agence France-Presse, «une telle mise en scène est tout à fait habituelle aux Etats-Unis. En revanche elle a choqué en France, où les personnalités ayant maille à partir avec la justice s’éclipsent généralement par une porte dérobée.»

«Ce qui frappe, c’est surtout de voir un homme qui a quasiment rang de chef d’Etat dans la position d’un criminel ou d’un vulgaire délinquant, c’est ce décalage qui donne la force et la violence de l’information renvoyée par cette image», souligne dans Le Républicain lorrain un photographe familier des grands événements. Et après ça, estime La Tribune d’Alger, citée par Courrier international, «quelle que soit l’issue juridique de cette affaire américaine, à côté de laquelle le scandale Monica Lewinsky apparaît comme un innocent caprice de collégiens acnéiques, la réputation de DSK et son image sont d’ores et déjà cramées». Il suffit, pour s’en faire une idée, de voir la vidéo de la comparution.

D’où la question, posée par Le Monde, qualifiée de «grave»: «Faut-il que la célébrité d’un homme le prive de sa présomption d’innocence médiatique? Car s’ils doivent assurément être à égalité devant la justice, tous les hommes ne le sont pas face à la presse… Dans cette affaire, les médias sont tous coupables. Et la mise en scène de la justice américaine est une manière d’organiser à l’avance une première condamnation – médiatique, celle-là – de tout suspect appartenant au monde des gens connus.»

DSK, remarque, outré, France-Soir, «est devenu le numéro 1 225 782 pour la justice américaine. Un numéro comme un autre dans cette journée de justice ordinaire. Après l’affaire 663, un certain James Bishop, qui comparaissait pour consommation de produits illicites. Avant une affaire de jet de bouteilles, une autre de délit de fuite. Bagarres, vols, courses de taxis impayées…» Ces prévenus «anonymes», indiquent Les Echos, «assis à ses côtés ne semblaient pas vraiment mesurer la notoriété de leur voisin de banc». Ont-ils eu tort? Pour le journal à sensation polonais Fakt, qu’a traduit le site Eurotopics, Dominique Strauss-Kahn a été arrêté aux Etats-Unis malgré sa fonction de patron du FMI, scène inimaginable en Europe: «C’est une femme de ménage d’un hôtel qui a porté plainte pour agression sexuelle contre Strauss-Kahn – une simple femme de ménage. Mais pour la justice américaine, peu importe qui est la victime ou quel est le statut de l’auteur. On arrête tout le monde avec la même sévérité.»

C’est la même opinion qu’on trouve dans un blog roboratif du Nouvel Observateur: «Nous avons été choqués par la brutalité de la justice américaine. Nous devons ne pas l’être car nous sommes au cœur d’une justice égalitaire qui traite les puissants comme les pauvres de la même façon. Voici la vraie démocratie. Chez nous en France, Monsieur Strauss-Kahn aurait bénéficié d’un régime de faveur. Les Américains ont tous les défauts du monde, comme on aime bien le voir depuis notre bon pays la France. Il est de bon ton de critiquer les Américains, sauf qu’ils sont très républicains, même si les politiques juridictionnelles dans les différents Etats ne sont pas semblables. C’est une leçon de maintien et de juridiction que les Américains nous livrent.»

Après que le Français a été mis en détention à Rikers Island – «la prison la plus grande au monde. Pour beaucoup, là-bas, c’est l’enfer sur Terre», décrit Le Point – c’est donc la justice version US qui suscite les critiques les plus acerbes: «Contrairement au système inquisitoire français, explique le site Atlantico.fr, dans lequel un juge d’instruction met en examen le prévenu, puis décide ou non de le renvoyer devant un tribunal à l’issue d’une longue enquête à charge et à décharge, la justice américaine repose sur un système accusatoire. Autrement dit, le procureur rassemble les preuves pour démontrer l’éventuelle culpabilité de l’accusé. A la défense de fournir les preuves de l’innocence de son client. Une procédure jugée particulièrement «violente» par l’ex-magistrate Eva Joly, ce matin au micro de France Info», qui publie par ailleurs une bien intéressante revue de la presse française sur le sujet: «En France, on fait plus attention», dit-elle.

L’Express donne le détail: «Sept chefs d’accusation pèsent contre Dominique Strauss-Kahn. S’il devait être condamné à New York pour l’ensemble des chefs d’accusation, il risque entre 15 ans et demi et 74 ans et trois mois de prison. En France, en cas de condamnation pour l’ensemble des charges, la peine ne peut excéder la peine maximale pour la charge la plus lourde. Aux Etats-Unis, les peines sont cumulables.»

Autre son de cloche: au Québec, Le Devoir juge pour sa part que «la présomption d’innocence est un principe essentiel en justice, à condition qu’elle serve précisément à laisser la justice agir, déposer les preuves, entendre les témoins. Lorsqu’elle est brandie en lui accolant des mots comme «invraisemblable», «coup monté», «complot», on est déjà au-delà de la description des faits. Quand, de surcroît, face à une accusation d’agression sexuelle, on évoque le tempérament «libertin», «séducteur», «chaud lapin» de l’accusé, c’est comme si le jugement était déjà passé. Et que la victime traversait dès lors dans le camp des menteuses ou des saintes nitouches.»

Le journal montréalais estime que «c’est une victoire encore récente du féminisme que dans quelques endroits, dont l’Amérique du Nord, on prenne maintenant les plaintes des femmes au sérieux». Reste qu’en revanche, «il faudrait écarter de l’analyse la personnalité du suspect, «séducteur insistant», comme le veut un euphémisme commode, à qui rumeurs et faits prêtent des frasques sexuelles en tout genre, parfois avec consentement des dames, parfois sans. Que l’on en appelle à la prudence, soit. Mais encore faut-il que cela s’applique aux deux camps. Ici, à moins de pratiquer l’aveuglement volontaire, il est clair que les apparences et la description des événements sont pour le moment contre M. Strauss-Kahn. L’acte d’accusation, faisant état de gestes graves, et la possibilité réelle que l’homme puisse quitter les Etats-Unis justifient la rigueur judiciaire exercée à son endroit.»

 Mais comment en est-on arrivé là?

Le «New York Times», en pointe dans l’affaire, a interrogé un de ses correspondants à Paris pour comprendre l’omerta qui règne en France sur la vie privée des hommes publics. Citant la double vie de François Mitterrand, les frasques de Roland Dumas et d’autres, le texte se demande si la France, si longtemps abonnée au silence, n’est pas enfin à un vrai tournant, qui coïnciderait avec une vie politique bien plus personnalisée depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir. Le quotidien reprend des arguments de Pierre Haski, cofondateur du site Rue89: «Tout ce qui est privé n’est pas privé.»

La presse britannique n’est pas en reste. «Courtois, bronzé en permanence et jamais à court d’argent… Strauss-Kahn reste presque la caricature du «socialiste champagne», écrit le Guardian. «Une réputation d’homme à femmes ne constitue un obstacle pour réussir en politique en France, en fait c’est tout le contraire. Mais condamné pour agression sexuelle et tentative de viol, c’est une tout autre histoire.» Ce qui pose «la question gênante dans les médias français et la politique de deux mondes parallèles: ce qui est imprimé, et ce qu’il y a derrière, les commérages, et ce qui doit rester officiellement les non-dits.»

Beaucoup plus incisif, le très conservateur Daily Mail, titre crûment: «Un satyre sexuel, une conspiration du silence et c’est pourquoi on ne doit JAMAIS avoir des lois sur la vie privée comme en France.»

Conséquences

C’est dans la prison de Rikers Island que DSK a passé sa première nuit de détenu. La dernière fois qu’il avait dormi à New York c’était deux jours plus tôt, dans une suite à 3000 dollars d’un Sofitel de Manhattan. (Le Figaro indique d’ailleurs qu’il avait obtenu une ristourne sur ce prix, la suite lui ayant été proposée dans un 2e temps parce qu’elle était inoccupée et que c’était un bon client).

La prison de Rikers Island se trouve sur une île de l’East River, au nord du quartier du Queens, au large de l’aéroport La Guardia, elle occupe toute l’île. C’est l’une des plus grandes prisons américaines voire du monde, avec des bâtiments de tailles variables, accueillant entre 13 000 et 14 000 détenus. Elle a inspiré plusieurs morceaux de rap.

Cette ville dans la ville qui s’étend sur 1700 km2, une surface qui représente la moitié de Central Park, est accessible à partir du Queens grâce à un pont. Elle a longtemps été célèbre pour sa violence entre les détenus eux-mêmes et entre les prisonniers et leurs gardiens, mais «depuis le début des années 1990, le taux de criminalité à Rikers Island a chuté drastiquement et l’endroit est loin d’être aussi dangereux qu’il l’a été», est-il écrit sur le site internet d’un cabinet d’avocats new-yorkais.

DSK est dans une cellule individuelle, il a droit à une heure d’exercice à l’extérieur par jour

Plusieurs ministres européens prennent leurs distances avec DSK

Deux ministres européennes des Finances, l’Autrichienne et l’Espagnole, ont pris leurs distances mardi avec le patron du FMI, respectivement en l’appelant à envisager une démission, et en prenant parti pour la femme que Dominique Strauss-Kahn est accusé d’avoir agressée. «Compte tenu du rejet de la remise en liberté sous caution (de Dominique Strauss-Kahn), il doit réfléchir aux dommages qu’il cause sinon à l’institution» en restant en poste, a déclaré la ministre autrichienne, Maria Fekter, à propos de l’éventualité d’une démission du directeur général du Fonds monétaire international. Elle s’exprimait en marge d’une réunion avec ses homologues européens à Bruxelles.

La ministre espagnole s’est également montrée ferme à l’égard du Français. «Les crimes dont on l’accuse sont d’une gravité extraordinaire, a-t-elle dit à des journalistes. La solidarité, au moins la mienne, est pour la femme qui a souffert d’une agression si cela a été le cas», a-t-elle ajouté à propos de l’employée de l’hôtel de New York que Dominique Strauss-Kahn est accusé d’avoir agressée.

Les ministres européens sont partagés sur l’attitude à adopter dans cette affaire. La plupart ont souligné la nécessité de respecter la présomption d’innocence, et le chef de file des grands argentiers de la zone euro, Jean-Claude Juncker, s’est emporté lundi soir contre les gouvernements européens qui commencent à engager le débat sur la succession de M. Strauss-Kahn à la tête du FMI alors qu’il vient seulement d’être inculpé. 

I seduced and she said Oui Oui”, titre le New York Post. La ligne de défense de DSK se baserait sur une relation consentie entre l’homme fort du FMI et la femme de chambre du Sofitel….

source AFP mai11

 EN COMPLEMENT : Retour sur sept scandales sulfureux.

  •  Gary Hart, grand espoir du parti démocrate américain, annonce officiellement en mai 1987 sa candidature à Maison Blanche. Mais quand le Miami Herald révèle qu’il a passé une nuit en compagnie d’un jeune mannequin, à l’insu de sa femme, il commence par nier, puis déclare que la vie privée des hommes politiques ne regarde personne. Le scandale est toutefois tel qu’il retire sa candidature.
  • Bill Clinton. En janvier 1998, le procureur indépendant Kenneth Starr commence une enquête sur des allégations concernant la liaison qu’aurait entretenue le président Clinton dans le passé avec une jeune femme, Paula Jones. Mais l’affaire se centre sur une autre liaison, que M. Clinton aurait eue, alors qu’il était président, avec une stagiaire de la Maison Blanche, Monica Lewinsky. Le 17 août, Clinton reconnaît avoir eu une “relation déplacée” avec Monica Lewinski. Selon le rapport de la Commission mise en place par M. Starr, M. Clinton a “menti sous serment” dans l’affaire Paula Jones, et a fait entrave à la justice dans l’affaire Lewinksy. Une procédure d'”impeachment” contre M. Clinton est repoussée par les sénateurs le 12 février 1999.
  • Le président israélien Moshé Katzav a démissionné en juin 2007 à la suite d’un scandale sexuel. Il a notamment été reconnu le 30 décembre 2010 coupable de deux viols sur une de ses subordonnées à l’époque où il était ministre du Tourisme dans les années 1990. Condamné le 22 mars 2011 par un tribunal de Tel-Aviv à sept ans de prison ferme et deux ans avec sursis, il a interjeté appel.
  • L’ancien président zimbabwéen Canaan Banana a été condamné à un an de prison en mai 2000 pour “sodomie et autres crimes sexuels” perpétrés à l’encontre de collaborateurs, alors qu’il était président de 1980 à 1987. Il a été libéré le 30 janvier 2001, sa peine ayant été écourtée.
  • L’ancien vice-Premier ministre malaisien, devenu chef de l’opposition, Anwar Ibrahim, risque une peine de 20 ans de prison s’il est reconnu coupable de sodomie à l’encontre d’un ex-conseiller en juin 2008. Une décision du juge est attendue le 16 mai.
  • L’actuel président sud-africain Jacob Zuma élu en mai2009, a été acquitté des accusations de viol d’une jeune femme séropositive le 8 mai 2006.
  • Le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi est accusé de recours à la prostitution de mineure et abus de pouvoir dans l’affaire du Rubygate. Le procès, entamé le 6 avril 2011, doit reprendre le 31 mai.

 source l’echo mai11

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