La France perdra son AAA par Nicolas Baverez
Le 5 août 2011, Standard & Poor’s annonçait la dégradation de la notation financière des Etats-Unis en raison de la perte de contrôle des finances publiques et, plus encore, du blocage du système politique autour du déplafonnement de la dette.
Cette décision, si elle n’a que peu d’incidences financières à court terme, acte la perte de leadership des Etats-Unis et la fin du droit de seigneuriage du dollar.
La France, loin d’y voir un ultime avertissement pour rétablir l’ordre de ses comptes publics – tant il paraît improbable qu’elle puisse conserver durablement une notation supérieure à celle des Etats-Unis – a voulu y voir un satisfecit. Mais tout montre que notre pays risque de perdre à brève échéance son triple A.
PLUS DE BAVEREZ EN SUIVANT :
UN DÉFICIT DE 5,7 % DU PIB
La France cumule une dette publique de 85 % et un déficit de 5,7 % du PIB – le plus élevé après les Etats-Unis et le Royaume-Uni -, le record des dépenses (56 % du PIB) et des recettes publiques (47 % du PIB).
Cette situation est appelée à se dégrader en raison des pertes constatées sur les aides à la Grèce (8 milliards aujourd’hui) et surtout de la dégradation de l’économie, caractérisée par une croissance molle autour de 1,5 %, un chômage touchant 10 % de la population active et un déficit de la balance commerciale atteignant 75 milliards d’euros.
Par ailleurs, la dette française présente une vulnérabilité particulière du fait de son financement à très court terme et de sa détention à 70 % par des investisseurs internationaux.
Enfin, la divergence économique et sociale avec Berlin sape la crédibilité du couple franco-allemand, qui a longtemps joué en faveur de la notation française.
Le pseudo-plan de réduction du déficit témoigne de l’absence de prise de conscience de la gravité de la situation. L’effort est limité à 11 milliards d’euros quand l’Espagne et l’Italie mettent en oeuvre des économies d’un montant de 50 à 80 milliards. Il porte en quasi-totalité sur des hausses d’impôts et peine à annuler 1 milliard sur les quelque 1 050 milliards de dépenses publiques.
L’augmentation de la fiscalité est supportée à 45 % par les entreprises quand le secteur privé ne représente plus que 44 % de la richesse nationale.
LA PROTECTION SOCIALE S’ENVOLE
Dans le même temps, le déficit de la protection sociale s’envole pour atteindre 36 milliards d’euros. Tout cela sur fond d’une campagne présidentielle qui conjugue paralysie de la décision publique et démagogie, où l’on fustige la dette… tout en multipliant les dépenses.
La dégradation de sa notation aura pour la France des conséquences plus douloureuses que pour les Etats-Unis, qui bénéficient du statut du dollar et de la profondeur unique de leur marché obligataire.
La tension actuelle entre les taux français qui restent bas et l’ascension de la prime de risque mesurée par les CDS annonce une envolée des taux en cas de dégradation.
La France entrera alors dans la spirale infernale qui voit la charge de la dette (3 milliards supplémentaires par point de taux d’intérêt) progresser plus rapidement que la croissance et les recettes fiscales.
Enfin, le Fonds de stabilité européen sera également affecté en n’étant plus adossé qu’au triple A allemand. D’un point de vue stratégique, le déclassement de la France, notamment vis-à-vis de l’Allemagne, sera consacré.
SEDAN FINANCIER
Ce Sedan financier peut encore être évité à la condition d’engager sans attendre l’issue de l’élection présidentielle un plan d’action qui s’inspire des politiques mises en oeuvre par le Danemark, le Canada, la Suède ou la Finlande.
Toutes ces nations ont diminué leur dette – respectivement de 53, 38, 36 et 25 points de PIB en dix ans – tout en améliorant leur compétitivité et en préservant la solidarité grâce à 80 % de baisses de dépenses et 20 % de hausses d’impôts.
La France doit fournir d’ici quatre ans un effort de l’ordre de 120 milliards d’euros, réparti entre une centaine de milliards de baisses des dépenses publiques improductives et 20 à 25 milliards de fiscalité supplémentaire sur les ménages (TVA, CSG, tranches à 45 et 50 % pour l’impôt sur le revenu).
Il devrait être accompagné de privatisations à hauteur d’une dizaine de milliards d’euros et de l’encouragement de l’épargne, vitale pour stabiliser le financement de la dette et financer l’investissement productif. Enfin doit être engagée la reconstruction d’une offre nationale compétitive dans la mondialisation.
La dégradation de la notation française sanctionnera trois décennies d’un modèle économique et social insoutenable où la dette publique a été substituée à l’inflation pour distribuer des revenus fictifs, et d’incapacité de la Ve République à moderniser le pays pour répondre aux crises et aux bouleversements de l’histoire.
Comme en 1983, lorsque fut effectué le tournant de la rigueur pour tenir les engagements européens et échapper à l’intervention du FMI, elle contraindra la France à effectuer le choix majeur qu’elle occulte depuis des années : réformer l’Etat et libérer la production privée, ou accepter sa relégation.
Nicolas Baverez, économiste et historien Article paru dans l’édition du Monde du 27.09.11
EN COMPLEMENT : Douce France : Le coût de la dette entame le budget
Le déficit public doit passer de 5,7% du PIB à 4,5% l’an prochain Les intérêts de la dette deviennent le premier poste du budget.
Comme prévu, le déficit public doit passer de 5,7% du Produit intérieur brut (PIB) cette année à 4,5% l’an prochain puis 3%, le plafond fixé par les traités européens, en 2013. Il devrait ensuite refluer à 2% en 2014 et tomber à 1% l’année suivante.
Le tour de vis ne suffira pas à contenir la dette publique, qui continuera de s’alourdir en 2012 pour atteindre 87,4% du PIB, après 85,5% prévus cette année.
Conséquence directe: pour la première fois, la charge de la dette, autrement dit le montant des intérêts que l’Etat versera pour se financer, sera le premier poste budgétaire l’an prochain.Selon les projections du gouvernement, elle s’élèvera à 48,77 milliards d’euros en 2012, sensiblement au-dessus des crédits de l’Enseignement scolaire (45,52 milliards, hors pensions).
Tout l’édifice budgétaire repose sur une hypothèse de croissance de 1,75% en 2011 comme en 2012, jugée très optimiste par les économistes, alors que l’Insee a confirmé mercredi une croissance nulle au deuxième trimestre.
En termes de recettes, le taux de prélèvements obligatoires, Sarkozy avait promis de réduire de quatre points avant son élection, atteindra 44,5% du PIB en 2012, dépassant le niveau du début du quinquennat. Il devrait même continuer de croître pour culminer à un taux record de 45,4% en 2015.
Au palmarès des ministères les mieux lotis, la mission Immigration verra ses crédits augmenter de 14,1%. La Justice, dont l’enveloppe progresse de 3,56% «est le seul ministère à bénéficier de créations nettes d’emplois», a souligné Valérie Pécresse. La Défense voit ses crédits augmenter de 1,59% pour financer les opérations extérieures, chroniquement sous-évaluées.
Hors pensions et charge de la dette, les dépenses de l’Etat devraient être contenues à 275,6 milliards d’euros, comme en 2011 et à l’euro près, selon Bercy.
source afp sep11