Charles Gave et Jean Marc Daniel sur le bilan de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE ?
Le Point.fr a interrogé Jean-Marc Daniel, économiste libéral et défenseur du bilan de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE. Il est confronté au point de vue de Charles Gave, fondateur d’une société de recherche et de conseil en gestion de portefeuille, membre du conseil d’administration de l’Institut Turgot, un think tank libéral, très critique vis-à-vis de la BCE.
PLUS DE GAVE ET DANIEL EN SUIVANT :
Le Point.fr : Quel bilan faites-vous du mandat de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE ?
Jean-Marc Daniel : Un bilan globalement positif. Jean-Claude Trichet a d’abord rempli son objectif d’inflation de 2 % fixé par les traités et les statuts de la BCE. Pendant son mandat, la valeur moyenne de l’inflation a atteint 1,9 %. Il a ensuite répondu à la crise du système bancaire de 2008-2009 en assurant la liquidité grâce à sa coordination avec la Banque d’Angleterre et celle des États-Unis à une époque où la classe politique était plutôt dans le désarroi. Il a enfin affronté la crise des dettes publiques en annonçant qu’il assumerait pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort (achat de la dette publique sur le marché interbancaire), et ce, alors même qu’il avait au sein de son conseil des gens qui réclamaient des défauts organisés d’États.
Charles Gave :La grande responsabilité de Trichet, c’est d’avoir poussé depuis vingt ans, quand il était à la Banque de France, au Trésor, à la création de l’euro, qui est une construction totalement artificielle. La monnaie unique ne peut pas survivre. Depuis ses débuts, il y a trop de maisons en Espagne, trop de fonctionnaires en France et trop d’usines en Allemagne. Tout le monde se rend compte aujourd’hui que l’euro est un monstre. En tant que technicien, je donne à Trichet la moyenne, en tant que concepteur, il est responsable d’un vrai désastre.
N’a-t-il pas trop privilégié son objectif d’inflation au détriment de la croissance et de l’emploi et du taux de change de l’euro ?
J.-M. D. : C’est une vieille erreur de considérer que plus d’inflation permet plus de croissance. En pratique, cela ne marche pas. On reproche aussi à Jean-Claude Trichet d’avoir trouvé un euro en dessous d’un dollar et de l’avoir laissé monter jusqu’à 1,60 dollar. Cela part de l’idée qu’un euro faible, c’est plus d’exportation, donc plus de croissance. Ce qu’on ne voit pas, c’est qu’à l’époque le prix du pétrole augmentait et qu’un euro fort permettait de le payer moins cher. Il s’agissait d’une stratégie d’amélioration des termes de l’échange.
C. G. : Le seul objectif fixé par le traité est l’inflation. Si la politique menée dans les différents pays est imbécile, comme en Italie et en France, la BCE n’y peut rien. Les taux d’intérêt ont même été trop bas pendant les cinq ou six premières années de l’institution, quand Trichet n’était que membre du Conseil des gouverneurs, parce que l’Allemagne n’allait pas bien. Ça a été une erreur considérable à l’origine de la bulle immobilière en Espagne et en Irlande. Et en ce qui concerne le taux de change, il ne dépend pas de la Banque centrale. La valeur de l’euro est influencée par la Chine, la Russie, et surtout par les États-Unis, qui ont mené une politique de taux d’intérêt réels (une fois prise en compte l’inflation, NDLR), négatifs… Dans ce contexte, difficile de faire baisser l’euro…
On lui a beaucoup reproché d’avoir brutalement augmenté le taux directeur en 2008, peu avant l’effondrement de Lehman Brothers…
J.-M. D. : Je ne partage pas tout à fait ce reproche. À l’époque, tout le monde lui disait qu’il avait une interprétation absurde de la hausse des prix, car l’inflation était d’abord liée au niveau du pétrole. Mais si l’euro montait très vite, c’est parce qu’un certain nombre d’opérateurs de marchés asiatiques, notamment la Banque centrale de Chine, essayaient de se débarrasser de leurs dollars.
C. G. : C’était une imbécillité foudroyante, alors que tout le monde savait qu’on entrait dans une crise financière massive. Mais il a fait une autre erreur majeure : il a remonté les taux en avril et en juillet 2011 alors que l’on entrait dans une nouvelle crise ! J’ai toujours considéré que Trichet était mauvais, il l’a été du début à la fin.
Jean-Claude Trichet n’a-t-il pas bloqué pendant des mois la solution à la crise de la dette qui est en train de se dessiner, à savoir une restructuration forte de la dette grecque ?
J.-M. D. : Si les Européens s’engagent vers un défaut grec, cela ne sera pas sans conséquence. Car le Portugal est dans une situation de finances publiques qui est tout aussi détériorée que celui de la Grèce. Dans cette histoire, Jean-Claude Trichet a raison depuis le début. Il a eu raison de s’opposer à l’intervention du FMI pour aider la Grèce. Le FMI a été créé pour financer le déficit extérieur, et pas les déficits intérieurs d’un État. Il avait aussi prévenu qu’une politique d’austérité trop brutale casserait la croissance et demandait des réformes structurelles aux pays en difficulté.
C. G. : M. Trichet est inspecteur des finances, son seul rôle, c’est de mettre des inspecteurs des finances à la tête des banques françaises. À la tête de la Banque centrale, Jean-Claude Trichet a protégé les banques hexagonales, contre leurs propres erreurs (acheter de la dette souveraine de pays en difficulté) et la punition du marché.
Il a longtemps nié la nécessité de recapitaliser les banques, alors que cette solution est aujourd’hui jugée indispensable…
J.-M. D. : Tout dépend ce qu’on appelle recapitalisation. La situation ne réclame pas d’introduire des capitaux publics comme on l’a fait en Suède en 1992. D’autant moins que, pour sauver des banques, qui auraient trop de dette publique, on se propose de créer de… la dette publique ! C’est un processus autodestructeur. Par ailleurs, il faut faire attention à ne pas étouffer le crédit bancaire en exigeant trop de fonds propres des banques. Une banque a pour rôle de créer des crédits qui alimentent l’activité économique.
C. G. : En Suède, en 1992, l’État était en faillite, comme notre État et comme nos banques aujourd’hui. L’État suédois a infligé une perte de 100 % aux actionnaires et aux détenteurs d’obligations des banques. Il a en revanche garanti tous les dépôts, a nationalisé les établissements, et les a réintroduits en Bourse trois ans après à un cours quatre fois supérieur ! Là, nous faisons comme au Japon, où les banques ont été protégées de la crise. Résultat, vingt ans après, le pays n’en est toujours pas sorti. Il aurait fallu nationaliser les banques françaises et virer leurs dirigeants.
Jean-Claude Trichet n’aurait-il pas dû s’engager à racheter autant que nécessaire la dette des pays en difficulté ?
J.-M. D. : Bien sûr que si, c’est ce qu’il fallait faire. C’est ce qu’il voulait faire en mai 2010. Mais il en a été empêché par les membres de son conseil de politique monétaire, notamment les Allemands, les Néerlandais, les Autrichiens et, accessoirement, les Finlandais qui voulaient punir la Grèce pour lui montrer qu’une gestion laxiste des finances publiques ne peut rester sans conséquence. Je reconnais que la communication sur le rachat des dettes souveraines des pays en difficulté sur le marché secondaire a été mal conduite.
C. G. : Le rachat des dettes souveraines est interdit par le traité ! Il l’a fait en assurant que c’était pour le compte du FESF (le fonds de stabilité de la zone euro). Mais le problème fondamental de l’Europe n’est pas un problème de dette. Le problème, c’est qu’un certain nombre de pays – le Portugal, l’Italie, et même la France – ne sont absolument pas compétitifs. C’est ce qui crée le déficit budgétaire et la dette. S’attaquer à la dette revient à traiter le symptôme, mais pas au mal lui-même ! La croissance italienne depuis dix ans est à zéro… Comment voulez-vous qu’elle puisse rembourser sa dette ? On ne peut tout simplement pas maintenir un taux de change fixe pour des pays qui ont une productivité du travail si différente ! Sauf à faire un transfert fiscal massif de l’un à l’autre. Mais aucun peuple n’en veut.
Source Le Point.fr – Publié le 28/10/2011
En réalité il me semble que la modération relative de l’indice des prix depuis la naissance de l’euro est due très largement à l’irruption de la Chine dans le commerce international, et à la modération salariale allemande, et que JC Trichet n’y est pour rien, bien qu’il se glorifie de son “impeccable delivery” d’un indice inférieur à 3% . Les biens qui ne dépendent pas de deux paramètres précités (l’alimentation, le logement, l’énergie) ont connu une hausse de prix très importante depuis 10 ans.
Sur JC Trichet, je partage l’avis de Charles Gave: technocrate, éloigné du réel, assez prétentieux (ce qui l’éloigne encore du réel en l’empêchant d’écouter ceux qui ne pensent pas comme lui), totalement inféodé au lobby bancaire … obsédé à contre-temps par l’inflation (donc par les intérêts des créanciers), alors que c’est la déflation qui nous menace, et que c’est la déflation qui a amené la désolation et la guerre en Europe dans les années 30, et non l’inflation. Manque de culture historique, manque de culture politique…
Trichet est fidèle à l’explication monétariste de l’inflation. Qu’il y ait une relation entre la masse monétaire et l’inflation, c’est évident. Dire que l’on peut jouer sur l’un pour corriger l’autre est différent. Le phénomène inflationniste affecte la masse monétaire.
La masse monétaire vient s’articuler sur les marchandises pour permettre à celles-ci de s’échanger. Le rôle essentiel de la monnaie est d’être circulatoire. A un moment donné, dans un espace qu’il soit national ou européen, on doit avoir les marchandises en valeur qui demandent l’ajustement d’une monnaie en masse.
L’inflation est la dépréciation du signe monétaire. L’économie ne progresse que par progrès technique. C’est dans la structure même de l’économie que se situe l’inflation, d’où sa référence constante pour justifier les politiques monétaires. Toute politique anti-inflationniste suppose une limitation du crédit qui freine légèrement le phénomène inflationniste, donc l’émission monétaire.
On ne peut avoir de politique anti-inflationniste sans une politique d’aggravation du chômage. La circularité entre inflation, croissance et chômage est d’ordre conjoncturel.
Ce n’est pas l’inflation qui est combattue mais l’écart des taux. Si les Etats-Unis avaient 20% d’inflation cela ne gênerait pas l’Europe si elle avait le même taux.
A morphologie économique identique, l’écart des taux ne peut s’expliquer que par des écarts de productivité. Ce qui fait l’écart entre les taux , ce sont les différences de productivité (K/L).