Site icon Le blog A Lupus un regard hagard sur Lécocomics et ses finances

Politique Friction du 5 Mars 2012 : Richesse, hauts revenus, la question de la confiscation Par Bruno Bertez

Publicités

Les Clefs pour comprendre : Richesse, hauts revenus, la question de la confiscation Par Bruno Bertez

 La légitimé perdue des riches

Nous avons abordé cette question à plusieurs reprises. D’abord sous l’angle systémique, en essayant de montrer que  la perversion de la financiarisation produisait structurellement des inégalités critiquables; ensuite sous l’angle de la fiscalité, en indiquant que la justice fiscale n’était pas forcément aussi simple qu’on le disait.

Dans le cas présent, nous resituerons cette question dans l’actualité du débat électoral français.

 

  Le débat électoral français ne vole malheureusement pas très haut. L’honnêteté oblige à reconnaître qu’à l’étranger ce n’est guère mieux. La perte d’audience de l’écrit qui facilite la réflexion et son remplacement par les mass medias audiovisuels qui excitent les émotions et les passions superficielles  ne vont  pas dans le sens du sérieux qui sied aux débats de fond.

On aurait tort cependant d’être totalement négatif, car étant honnête, attentif, on peut, derrière les petites phrases, derrière les affirmations péremptoires, trouver de la matière sérieuse et fondamentale.

Il suffit de se souvenir du fait que les choses importantes apparaissent souvent, en politique comme ailleurs, sous une forme vulgaire, terre à terre pour ne pas dire mesquines. Et que c’est en tirant sur le fil, patiemment, avec bonne foi, que l’on découvre ce qui se cache derrière l’apparent, le superficiel, le circonstanciel. L’idiotie d’une formule dissimule quelquefois une interrogation qui mérite plus que les rires et les quolibets.

 

PLUS DE BERTEZ EN SUIVANT :

François Fillon, homme raisonnable s’il en est, vient de qualifier la proposition de Hollande de taxer les revenus de plus de 1 million d’euros à 75% d’idiote. Tout simplement idiote. Réponse du berger à la bergère, Hollande s’est situé sur le terrain de l’imbécillité, Fillon lui a répondu en se plaçant sur le même terrain. A idiot, idiot et demi.

 Hollande s’est enfoncé en balbutiant que l’idée n’était pas de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat, mais de moraliser. Comme tous les socialistes constructivistes, Hollande détient les clefs de la vérité, de la morale, les clefs du paradis. Il sait ce qui est moral et ce qui ne l’est pas.

Pourquoi pas, laissons cela, car là ne se situe pas notre propos. Conscient d’avoir dit une bêtise supplémentaire, Hollande s’est à nouveau corrigé, la taxation à 75% n’est pas censée avoir un effet réel, en fait elle est censée faire réfléchir, dissuader. Réfléchir sur l’état du pays, la situation sociale, se poser la question de savoir s’il est bien opportun de verser pareils revenus ou salaires en ces temps difficiles. C’est déjà moins mal. Encore insuffisant, mais moins mal.

Pour être cohérent et sortir du ridicule, il faudrait aller jusqu’au bout et oser dire en ces temps difficiles: je pense qu’il faut mettre en place une politique des prix, des salaires et des revenus. Hollande a pointé le bout de son nez de ce côté en proposant le gel de prix sensibles comme les carburants, l’énergie, les loyers. Le tout en vrac, selon les moments et les audiences. Non seulement Hollande connaît ce qui est moral, mais il connaît comme chez But, le juste prix. On peut lui faire remarquer que si on refuse la discipline des prix, alors pour répartir la rareté, il faut réinstaurer le rationnement. A quand la queue aux stations-service ?

Ce n’est pas parce que Hollande dit n’importe quoi que Fillon  a symétriquement raison. Il aurait pu se grandir, s’élever en prenant la balle au bond et en dépassant ce qui était une parole de préau de cour d’école laïque pour faire sortir le vrai débat qui se dissimulait et qu’il fallait avoir le courage d’aborder, qu’il faut avoir le courage d’aborder.

 Le débat, c’est celui de la légitimité de la fortune, de la richesse, des hauts revenus et le rôle de la fiscalité dans ce débat. Par le petit bout de la lorgnette, Hollande a lancé un débat fondamental, central, dans la situation de crise ou de transition économique, comme l’on veut, qui est celle de l’Europe. Il fallait, compte tenu des qualités personnelles de Fillon, oser relever le débat, le formuler, le clarifier. Oser clarifier et sortir de la confusion honteuse dans laquelle la droite se réfugie.

Le secrétaire général de l’UMP, Copé, est excellent, il a certainement un grand avenir politique devant lui s’il est capable de sortir de sa ville de Meaux et de prendre l’air et la dimension du large. S’il amène un peu de réflexion, un peu de vision dans son excellente communication. Il a abordé la question de fond, à savoir comment se justifient les inégalités de richesse et de revenus, pourquoi il faut être prudent et non confiscatoire. En deux mots, il ne faut pas décourager ceux qui étudient, font des efforts, investissent, prennent des risques; si on le fait, ceux-là vont faire la grève, cesser de se fatiguer, in fine ils vont aller ailleurs, là où la règle du jeu est moins confiscatoire.

De fait, c’est une observation pratique, historique, géographique, les gens cessent de se dépenser si on les prive de la récompense, du produit qu’ils en attendent. Et à l’échelle d’un pays, cela se traduit par une baisse de l’esprit d’entreprise, une chute de l’investissement, moins de croissance, c’est le fondement de la théorie de l’offre.

Notre sentiment est que ce type d’argument et de raisonnement n’est pas recevable politiquement. De façon simplifiée et cynique, il revient à dire : tolérez tout cela, c’est un mal nécessaire sinon vous vous trouverez au chômage. Cet argument appelle peu à la masse de Français qui sont fonctionnaires, qui sont smicards ou encore au chômage. Son cynisme à peine voilé a quelque chose de révoltant qui le déqualifie. Il passe encore moins auprès de tous ceux qui n’ont rien à  perdre et il y en a beaucoup, ne serait-ce que du côté des jeunes.

Par ailleurs, il est historiquement dépassé depuis l’avènement incontestable du nouveau système économique et social qu’est la financiarisation avec ses sponsors ploutocrates et kleptocrates.

Le malaise est universel, il suffit de d’observer et de prêter attention au mouvement mondial épinglé sous le nom de révolte des 99% contre les 1%. Occupy-quelque chose est un phénomène mondial.

Même le parti communiste, pourtant toujours en retard dans ses analyses, l’a compris, lui qui dans la bouche de Mélenchon a abandonné la lutte des classes pour se rallier à la lutte contre la ploutocratie. Voir les différentes interviews du candidat du front de gauche sur ce sujet. Il se présente encore comme candidat anticapitaliste, mais son analyse et sa stratégie politique visent à constituer un front anti ploutocratie.

La mutation du système capitaliste, libéral, en système kleptocratique, dominé,  non pas par  les financiers, mais par la logique de la financiarisation, cette mutation a produit ce qui est, ce qui est ressenti comme un scandale, une injustice intolérable.

Pas besoin d’être expert en statistiques pour toucher du doigt le sens profond de ce qui se passe,  de ce qui se joue: dans la mondialisation et son avatar, la financiarisation, les profits, ont fait un bond historique; grâce aux largesses monétaires laxistes des banques centrales, ces profits ont été capitalisés sur les marchés, les riches et leurs gestionnaires  sont plus riches et les citoyens, la masse des citoyens, n’ont eu que quelques miettes. Et encore bien souvent à crédit. Et ces miettes, on veut, en plus, les leur reprendre.

C’est tout cela qui se cache derrière les 75% de Hollande. La volonté de confiscation fiscale est le mode d’apparaître simplet, démago, populiste, du vrai problème décortiqué ci-dessus. Un mode d’apparaître dangereux, idiot même, comme le dit Fillon, qui consiste à jeter le bébé avec l’eau du bain, qui consiste à ratisser des voix malhonnêtement. La preuve? Hollande est allé à Canossa à Londres, faire amende honorable auprès de la sociale démocratie fabienne, garante de l’exploitation financière qu’est la City. Hollande sait qu’il n’apporte pas de  réponse au vrai et terrible problème qui,  maintenant, se pose aux classes politiques.

Dans une optique révolutionnaire, le problème, cela peut être la richesse en elle-même, la propriété des moyens de production, le pouvoir du capital etc. Mais, nulle part,  la situation n’est révolutionnaire, personne n’a envie ou les moyens de faire la révolution. Le problème, c’est la dérive de nos sociétés depuis deux ou trois décennies. C’est cette dérive qui est inacceptable.

La richesse, les hauts revenus, la plus grande partie de nos sociétés l’accepte ou la tolère, mais encore faut-il qu’elle soit légitime. Légitime. Voilà le grand mot: la richesse actuelle, celle que nous avons devant les yeux, est considérée  comme illégitime.

Elle est illégitime parce qu’elle n’a pas su assurer la progression des niveaux de vie, parce qu’elle n’a pas su assurer l’emploi, parce qu’elle n’a pas  procuré la sécurité. Au lieu des promotions, elle a produit les déqualifications en masse. Au lieu de multiplier les ascenseurs sociaux, elle a mis les jeunes, même qualifiés et éduqués, au chômage.

Dans nos sociétés, qu’on le veuille ou non, être riche, gagner beaucoup d’argent, c’est être porteur d’une responsabilité sociale, celle de conduire la société vers un mieux-être, pas vers la régression et l’austérité. Qu’on le veuille ou non, être riche, c’est faire partie de l’élite, du fer de lance de la société, ce n’est pas être envié, mais respecté et admiré.

Si François Fillon, qui n’est pas un mauvais, avait saisi l’occasion des 75% pour montrer qu’il  avait compris ce qu’il y avait derrière, que l’enjeu était celui de reconstruire un nouveau pacte social, raccommoder le tissu social déchiré, alors il aurait eu une chance de rattraper les classes moyennes qui sont en train, une fois de plus, de se fourvoyer.

BRUNO BERTEZ Le 5 Mars 2012

 EN BANDE SON :

Quitter la version mobile