Art de la guerre monétaire et économique

Pour Robert Kagan, «l’Amérique n’est pas en déclin»

Pour Robert Kagan, «l’Amérique n’est pas en déclin»

Le néo-conservateur Robert Kagan pense que «les Etats-Unis ne sont pas en déclin» L’Amérique ne semble plus être la puissance qui dominerait un monde unipolaire. Ex-chef de file des néo-conservateurs, Robert Kagan réfute cependant cette thèse. Il a ainsi inspiré le discours sur l’état de l’Union tenu par Barack Obama en janvier dernier

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A Chaud!!!!! du Samedi 11 février 2012 : ”Géopolitique: quand Gribouille gére l’Europe” par Bruno Bertez

Montée de la Chine, du Brésil, de la Turquie ou de l’Inde, blocage du Congrès, dette publique de 15 000 milliards de dollars: le thème du déclin américain n’est pas nouveau. Mais, depuis la crise financière de 2008-2009, il retrouve une nouvelle jeunesse. Quelques chiffres semblent l’illustrer: l’Amérique détenait encore 36% du PIB mondial en 1969, 31% en 2000, avant de tomber à 23,1% en 2010. Chercheur à la Brookings Institution, Robert Kagan n’est pas du genre à se rallier à cette vision pessimiste de l’Amérique.

Pour cet ex-chef de file des néo-conservateurs américains, le déclin est un mythe. L’ordre mondial actuel, où le nombre de démocraties a explosé, relève en bonne partie de la puissance politique, économique et militaire américaine, avance-t-il. Robert Kagan, qui conseille le candidat républicain Mitt Romney en matière de politique étrangère, vient de sortir un livre* qui remet l’église américaine au milieu du village global.

 Propos recueillis par Stéphane Bussard new york /le temps avril12

PLUS DE KAGAN EN SUIVANT :

Le Temps: Qu’est-ce qui vous pousse à contrer les apôtres du déclin de l’Amérique?

Robert Kagan: Il suffit d’appliquer des critères simples pour le mesurer. La puissance militaire des Etats-Unis reste nettement supérieure à celle de ses concurrents. Même si le PIB n’est pas la seule mesure pertinente, l’Amérique représente toujours entre 20 et 25% du PIB mondial, ce depuis environ quarante ans. Cette situation peut changer à l’avenir, mais je suis sceptique quant à un changement brutal de tendance. Les Etats-Unis sont aussi influents aujourd’hui qu’ils l’ont été dans le passé. Les gens font une erreur fréquente: ils ont une image très irréaliste du passé. Ils pensent que désormais l’Amérique ne peut plus être le gendarme du monde. Cela n’a jamais été le cas.

Récemment, un soldat américain a tué 16 civils afghans et les talibans n’attendent que le départ des Américains pour reprendre le pouvoir. L’aventure afghane semble être un cuisant échec.

Oui, et alors, qu’y a-t-il de nouveau? Ce n’est pas la première fois que les Etats-Unis échouent à imposer leur puissance militaire.
Il y a eu, plus tôt, la guerre du Vietnam, l’intervention dans le cadre de l’opération Restore Hope en Somalie en 1993. Au cours du dernier siècle, les Américains ont un bilan mitigé en matière de recours à la force. Mais la question n’est pas de savoir si l’Amérique utilise toujours la force de façon efficace et atteint toujours ses objectifs. La question est de savoir si elle est en déclin relatif par rapport à d’autres puissances. A ce stade, je ne vois pas par rapport à quel pays les Etats-Unis seraient en déclin.

Quand on parle de déclin relatif, on pense à la Chine, à son armement qui explose,à sa puissance économique…

– La montée de la Chine est clairement un défi, non seulement pour les Etats-Unis, mais aussi pour d’autres puissances en Asie de l’Est et ailleurs dans le monde. La puissance militaire chinoise doit être prise très au sérieux. Mais la Chine devra franchir de très difficiles obstacles pour s’approcher de l’Amérique d’un point de vue géopolitique. Contrairement aux Etats-Unis qui n’ont pas de contradicteur majeur à leurs frontières, la Chine est entourée de grandes puissances allant de la Corée du Sud au Japon en passant par l’Inde. Des puissances qui peinent à cacher leur nervosité par rapport à la montée de la Chine et qui, depuis deux ans, se tournent de plus en plus vers l’Amérique pour lui demander de l’aide. Stratégiquement, c’est très inconfortable pour les Chinois. De plus, la Chine va au-devant de défis économiques et politiques d’envergure au plan interne, et il serait naïf de croire qu’elle va simplement croître sans le moindre écueil.

La Chine n’en détient pas moins une part importante de la dette américaine.

Ce n’est pas un levier si important pour la Chine, même si cet état de fait produit un effet psychologique non négligeable auprès des Américains. On m’a toujours dit que si vous devez 10 dollars à la banque, la banque vous contrôle, mais que si vous lui devez 10 milliards de dollars, c’est vous qui la contrôlez. Les Chinois n’ont pas intérêt à faire de la question de la dette une arme contre l’Amérique. Ils ne l’ont d’ailleurs jamais utilisée. Car la Chine est très dépendante de la prospérité de l’économie américaine et ne veut pas que ses bons du Trésor américain perdent toute leur valeur. En revanche, le déficit budgétaire des Etats-Unis est un vrai problème qui doit être résolu.

La dette américaine, précisément, s’élève à plus de 15 000 milliards de dollars. Cela ne réduit-il pas la marge de manœuvre
du pays?

– D’un point de vue politique, oui. Quand on parle de coupes budgétaires, on pense en premier lieu au budget de la Défense. Ce serait une erreur de trancher dans ce budget. Les déficits budgétaires ne sont pas générés par les budgets de la Défense, mais par les dépenses liées aux subventions et aux prestations sociales. Si les Etats-Unis n’arrivent pas à dompter leurs déficits, cela peut avoir de fâcheuses conséquences. Mais, même en réduisant le budget militaire de 100 milliards de dollars, celui-ci reste bien supérieur à ce que dépensent les autres.

– Le débat sur le rehaussement du plafond de la dette a révélé la paralysie du Congrès. N’est-ce pas inquiétant pour
le fonctionnement du pays?

– Ces blocages ne me préoccupent pas plus que d’autres. Les Etats-Unis ont déjà connu ce type de problème interne. Si les gens pensent que la politique partisane produit pour la première fois de tels effets, ils ont la mémoire courte. La période la plus partisane que le pays ait connue remonte à la première décennie suivant la création de la nation américaine, dans les années 1790. Il y a aussi eu d’autres périodes où l’Amérique était dans une impasse politique. Le système américain a de la peine à produire les changements radicaux nécessaires, car les Américains qui ont élaboré la Constitution ont créé un système complexe et lent. A dessein. A plusieurs occasions, ce système n’a pas réussi à aborder les problèmes sérieux qui minent le pays. Mais les gens qui s’inquiètent de la forte polarisation de la politique et des difficultés des institutions actuelles à coopérer ont une mémoire sélective de l’Histoire américaine.

– La crise libyenne a montré la France et la Grande-Bretagne au premier plan et les Etats-Unis au second. N’est-ce pas un signe?

– Je suis la politique étrangère des Etats-Unis depuis près de quarante ans. Je crois qu’elle a toujours eu pour objectif d’inciter les alliés de l’Amérique à en faire plus. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un signal de déclin. Au contraire. Dans le cas de la Libye, il est positif que des alliés soient prêts à assumer leur part de responsabilité dans un conflit qui implique un pays proche de l’Europe. Mais il ne faut pas oublier que, quoi qu’aient fait la France et le Royaume-Uni, le rôle des Etats-Unis a été très important. Ces deux pays n’auraient jamais pu réaliser ce qu’ils ont accompli sans l’appui de moyens militaires américains.

Certains experts estiment que l’Amérique est le pays où la mobilité sociale est désormais l’une des plus faibles. Ils redoutent le renforcement d’une éducation à deux vitesses.

– Il y a beaucoup d’aspects dans la société américaine qui sont problématiques et qui méritent des solutions. Mais je ne vois pas en quoi la mobilité sociale a une quelconque corrélation avec la puissance géopolitique. Je suis surpris de constater que les gens mentionnent des problèmes internes en pensant qu’ils ont forcément des implications sur le rayonnement géopolitique des Etats-Unis. Peut-être l’Amérique n’est-elle plus ce qu’elle a été au plan interne – même si je n’y crois pas –, mais cela ne rend pas le pays moins apte à agir sur la scène internationale. Je pense qu’en termes de compétitivité économique les Etats-Unis sont toujours en bonne position. Les plus grandes universités du monde sont toujours sur sol américain, et tout le monde souhaite pouvoir y étudier, en particulier dans le domaine technique. L’Amérique reste à la pointe en termes d’innovation et de réseaux. Elle demeure capable de prospérer dans le cadre de l’économie mondiale. Si vous jetez un regard historique sur les sévères crises économiques qu’ils ont connues dans les années 1890, 1930, voire 1970, les Etats-Unis ont toujours réussi à remonter la pente et à se renforcer dans la décennie suivante.

Le vrai pouvoir des Etats-Unis aujourd’hui, n’est-ce pas le «soft power», ces moyens non militaires d’influer sur la scène internationale?

Il va sans dire que c’est un élément important de la puissance américaine. Mais ce n’est pas suffisant et cela ne l’a jamais été. L’aptitude des Etats-Unis à maintenir un ordre international fondamentalement démocratique, ouvert au libre marché et au libre-échange, un ordre qui préserve la paix entre les grandes puissances et la liberté de navigation, dépend surtout de leur puissance coercitive (hard power). Quant au soft power américain, plusieurs pays y recourent quand ils se sentent menacés. C’est le cas de pays asiatiques qui sont inquiets de la montée de la Chine ou de pays du Moyen-Orient qui redoutent l’Iran. Le hard power et le soft power sont deux faces de la même pièce.

* Robert Kagan, The World America Made, Ed. Alfred A. Knopf, 2012, 149 p.


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1 réponse »

  1. Mouai, pas vraiment convaincu par le Kagan.
    Ses arguments sont intéressants, mais il reste sur des positions de principes et frôle le sophisme parfois.

    Déjà il y a l’Europe qui peut contester la place des USA. Niveau militaire, ils ne sont plus crédible après les débacles Irak/Afganistan et le fiasco JSF.
    Coté monétaire Kagan oublie la contestation grandissante (exponentielle pourrait-on dire) du rôle du dollar, qui est, bien plus que l’armée décadente (un militaire avait besoin de 6 litres d’eau dans les années 60 et plus de 200 aujourd’hui) la vraie force des USA.
    Il oublie que les BRICS sont en train de créer leur propre banque et s’émancipent progressivement du dollar.

    Il passe sous silence qu’en dehors de quelques villes/états riches, les USA sont un pays du tiers monde en terme de structure sociale.

    Il oublie que le pétrole va manquer, que les gaz de schistes ne sont qu’une bulle d’investissement et de la com pré-électorale, et que sa belle armée s’inquiète beaucoup de comment faire tourner ses avions ultra high tech sans pétrole bon marché.

    Il oublie que les USA ne sont plus a la pointe, ni de la finance, ni des universités et que les « cerveaux » refluent pour partir en chine (Hon Kong) qui est la championne des énergies renouvelables ! (hé oui il faut le savoir).

    Conclusion : si les USA sont toujours la puissance dominante (c’est indéniable), dire qu’ils ne sont pas sur le déclin, pourquoi pas, mais pas avec ces arguments la, il faut répondre aux objections « courantes » sur le sujet qui n’ont rien a voir avec cette rhétorique lénifiante. Mais bon, il faut rassurer en plein élections 😉

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