Alice et les banques centrales Par Michel Juvet
Le système bancaire européen est un âne!… Non, rien à voir avec les attitudes inadmissibles de traders ou de banques qui ont profité du cartel du taux Libor pour s’enrichir; ni avec la fausse pudibonderie des banquiers centraux qui découvrent tardivement le mécanisme de fixation de ce taux Libor, ou de celles et ceux qui ont largement profité de taux hypothécaires aplatis par les manipulations du taux Libor…
Le système bancaire est un âne car soit il n’a pas soif et refuse de prêter ses liquidités, soit il est assoiffé et ne quitte plus l’abreuvoir…
Ainsi les bonnes banques évitent les risques et déposent leurs liquidités à la ferme de la Banque centrale européenne, pendant que les mauvaises, qui subissent la fonte des dépôts de leurs créanciers, plongent leurs bilans dans l’abreuvoir BCE et empruntent jusqu’à la noyade.
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La BCE a donc tenté d’inverser ce cycle en abaissant à zéro la rémunération des dépôts effectués par les banques chez elle. Elle espérait ainsi que les énormes liquidités en dépôt (plus de 800 milliards d’euros) repartiraient vers d’autres banques, puis, dans une cascade merveilleuse, vers des Etats endettés, et les marchés en général. Hélas, un âne qui n’a pas soif… Les banques ont donc retiré 400 milliards d’euros de leur compte de dépôt et les ont transférés logiquement… sur leur compte courant lui aussi non rémunéré («réserves excédentaires»), auprès de la BCE. Face aux peurs bancaires, la tentative de «reliquéfier» les flux bancaires n’a pas encore fonctionné. La Banque nationale suisse a d’ailleurs le même problème: la recherche de sécurité des banques fait gonfler à son passif les comptes de virements des banques; mais, à la différence de la BCE qui recycle ces liquidités vers les banques espagnoles assoiffées (340 milliards d’euros), la BNS achète en contrepartie encore plus de devises et d’euros pour immobiliser le taux de change franc suisse/euro.
L’assainissement du secteur espagnol devrait contribuer à réduire ce cercle vicieux des liquidités en rétablissant une certaine confiance interbanques. Mais l’appétit actuel des créanciers pour des dettes étatiques allemandes ou suisses à taux d’intérêt négatifs montre que le chemin du regain de la confiance envers les autorités européennes sera encore long. Certes la BCE pourrait imposer des taux négatifs sur les dépôts pour renvoyer ces liquidités bancaires dans les marchés. Mais sans confiance, qui sait si les banques ne rapatrieraient pas ces liquidités pour les déposer sans frais sous forme de billets dans leurs coffres, asséchant alors vraiment les marchés monétaires?
Il y a des miroirs que les banques centrales ne devraient jamais traverser, sous peine, comme Alice, ne pas retrouver à temps le chemin de la sortie.
Source Bordier et Cie/Le Temps Juil12