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La dialectique des états d’âme

La dialectique des états d’âme

Religions et argent. L’éthique chrétienne conditionne-t-elle l’esprit du capitalisme? L’influence s’exerce en fait dans les deux sens.

Les religions influencent-elles significativement la création de la richesse, son usage et sa distribution? Qu’elle est la réputation, la place et la responsabilité des personnes riches au regard des croyants? Quelles attentions et quelles obligations sont dues envers les plus démunis, les pauvres? Quelles sociétés marchandes les religions favorisent-elles? Où la fierté de la réussite matérielle se loge-t-elle dans la quête spirituelle?

La fortune est-elle une bénédiction et une prolongation des merveilles divines ou est-elle une sorte d’obstacle infranchissable à l’élection, au salut? Quel serait le prix à payer pour la vie éternelle?

Les juifs, comme les sikhs, considèreraient que l’on peut, dans une seule vie, devenir très riche et faire faillite et redevenir riche. Cela suppose que l’on soit à la fois dans la réussite et dans l’échec tout en étant très solidaires, la solidarité permettant de passer de l’échec à la réussite et vice versa. Donc, parler d’argent dans les familles, en pertes ou en profits, n’est pas un problème, puisque l’individu et la communauté sont en dialogue constant sur cette dynamique de richesse et de précarité. L’argent est au cœur de la solidarité de ces croyants, sans problème.

Dans les communautés américaines, toutes religions confondues, il faudrait avoir réussi dans cette vie ici-bas, le temps n’étant pas le résultat d’une longue histoire à prolonger. Les héritiers n’héritent que peu, puisqu’ils doivent, à leur tour, faire la preuve de leur réussite. La communauté religieuse devient ainsi formatrice de l’identité concrète: donc la dîme, la participation financière, va de soi. Mon église, ma communauté croyante deviennent le berceau de ma place et celle de ma famille. Si je change de ville, il est possible que je change aussi de communauté religieuse…ma place reconnue dans une communauté étant plus importante que mes croyances personnelles. Si l’on tient compte que plus de 40% des citoyens américains du nord fréquentent un service dominical, il faut donc noter que le communautarisme-philanthropique est une façon de prier et de croire, d’être au monde. Mon argent, dans ce contexte religieux, me donne le droit d’être moi et de valoriser les miens dans une communauté.

En occident européen, la tendance protestante fondamentale aurait été de privilégier la réussite temporelle dans cette vie terrestre comme signe de l’élection pour l’éternel salut. (Saint Augustin. Luther et Calvin, sont enclins à privilégier la richesse comme une prédestination qui serait une sorte de signe probant de l’accès au salut éternel), mais à la condition expresse que cela point ne se montre! Donc l’argent, la réussite, manifesteraient le signe de mon salut à condition que cela soit une transaction entre mon créateur et moi, sans que personne ne puisse en avoir connaissance n’y m’en tenir rigueur. Cela implique une responsabilité citoyenne souvent exemplaire et, dans le même temps, fort discrète. Mon argent et moi sont une question personnelle entre mon sauveur et moi, circulez: il y a si peu à voir.

Le catholicisme semblerait, peut-être jusqu’à notre pape François, assez stalinien dans son approche. «Hors de l’Eglise point de salut!» Cela a pu impliquer que cette Eglise ait voulu monopoliser toutes les richesses à la fois temporelles, intellectuelles et spirituelles. Sa grandeur étant manifestée comme la garantie que les plus pauvres seront, dans la vie après la vie, sous strictes conditions, accueillis à leur juste place. On pourrait appeler cela une spéculation métaphysique: obéissez, croyez, souffrez: dans l’autre vie, après votre mort, si vous avez fait tout juste, vous aurez, en partage, la vie éternelle. Les œuvres concrètes de vos rachats de vos péchés, comptabilité culpabilisante, étant la monnaie d’échange pour votre vie après la vie. La richesse en ce monde n’est que collective, les grandes liturgies et les immenses basiliques n’étant que la monstrance de la vie éternelle pour tous, les pauvres inclus, même si une certaine nomenklatura pourrait en profiter aussi dès cette vie.

L’option préférentielle pour les plus pauvres, ou la théologie de la libération, a été, jusqu’à ce jour, jugulée. Peut-être, François brisera-t-il les privilèges de la hiérarchie au profit d’une rigueur faite de simplicité et d’humour jésuites. (A suivre).

Revenant récemment d’un périple sur la route de la soie, Tachkent, Kihva, Boukhara, Samarcande, me laissant porter avec Omar Khayyam en consonance poétique ironique sur le vin et les femmes, voyant des édifices reconstruits, certes, mais fabuleux, je me suis demandé quel serait le rapport argent-islam dans de telles contrées.

Un conquérant, Tamerlan ou Ouloug Beg son petit-fils, ont construit, systématiquement, des Médersas, des écoles de théologie et des observatoires, à côté des mosquées. La victoire et la richesse réclamant, dans cette vie, un investissement significatif dans le développement du savoir. Réflexe que nous trouvons aussi chez certains grands mécènes juifs de ma connaissance, et aussi, avec plus de retenue, chez certains protestants. Les catholiques sont peu portés sur une signature personnelle, donc: que le Seigneur y reconnaisse les siens! Pouvoir et richesse: oui, à la condition qu’ils génèrent du savoir pour les générations à venir.

Le Bouddhisme? Relisons le magnifique livre de Jack Kornfield, moine zen ordonné ayant pris ses distances, dont le titre est une invitation à l’éveil de l’humour: «Après l’Extase, la Lessive»! Le rapport à l’argent étant indifférent si ce n’est que l’expérience de la mendicité fait partie du bagage de l’initiation: la voie du milieu n’impliquerait ni une richesse ni une pauvreté absolues, mais la voie simple d’avoir à se nourrir, par le partage quotidien des oboles reçues. La prévoyance n’étant pas le mode d’être au monde! Donc le rapport au temps est a-temporel…le temps linéaire n’ayant pas de sens, ma libération possible brise mon rapport et au temps et à l’argent. Cela nous invite à explorer, en survol, les mystiques et leur rapport à la richesse et au pouvoir.

Pour les mystiques, l’injonction de l’apôtre des nations, Paul, fait sens: «en user comme n’en usant pas» (1 Cor, 7). La finalité sans fin de la quête mystique étant de se distancier du véhicule qui a permis sa libération, son salut. L’argent, la richesse ou la pauvreté, finissent par devenir indifférents: suis-je prisonnier de ma pauvreté, suis-je prisonnier des richesses que je trouve en Dieu lui-même? Se libérer de ce qui me libère est plus radical, avec un humour manifeste, que de se préoccuper de la richesse et de la pauvreté: tout passe. Qui je deviens, dans le divin chemin, outrepasse toutes les catégories. L’argent et son manque s’effacent. Pour un mystique, cet article que vous lisez serait sans objet! Lisez C. Trungpa, dans les «Pratiques de la voie tibétaine» qui invite à aller: «Au delà du matérialisme spirituel» pour afficher l’humour d’une vision panoramique et dé-paralysante qui ne donne aucune place à la richesse et à la pauvreté comme un bien ou un mal en soi. Dans la même veine, Jean-Claude Marol, dans «Le Rire du Sacré» démontre que la dérision est le ressort final du sacré dans toutes les quêtes mystiques des principales religions. La richesse et la pauvreté n’enfermeront pas les femmes et les hommes dans leur cheminement vers le salut, l’accomplissement, la libération ou l’illumination. L’économique, quel qu’il soit, à la frontière des frontières, vole en éclats.

«Ecoutez et comprenez! «Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur.» (Matthieu chapitre 15, versets 10-11). Jésus Christ radicalise l’approche: en simplifiant on pourrait extrapoler en disant que la richesse, en soi, n’est pas un problème, si ce n’est ce que nous en faisons. On pourrait s’en gaver mais qu’est-ce que nous allons dégurgiter? En ce sens, dans un monde où la réussite individuelle tient lieu de religion mondialisée, que seraient la conception de ma gestion de la richesse et les comportements consécutifs à promouvoir? Lorsque le 1% de la population possède presque l’entier des richesses et que le 10% de ce 1% possède le 80% des richesses, que devrions-nous pratiquer religieusement dans la cascade des richesses reçues et produites? La classe moyenne a réussi à faire sa place entre 1960 et 2007 en prenant une part du gâteau…mais cette place part en cannelle: une parenthèse de richesse partagée, dans l’histoire de l’humanité, se referme, sans parler du tsunami inflationniste qui pourrait se réveiller sous peu. (Prophétie que je souhaite vaine). Si je suis riche aujourd’hui, jusqu’où mon égoïsme peut-il aller?

J’aimerais, si vous le souhaitez, nous inclure dans la dynamique d’une parabole qui m’a ouvert les yeux. En Matthieu, chapitre 18, versets 23 à 35, Jésus, le Christ, nous fait entrer dans une histoire que je vous raconte à ma manière.

Un roi voulut régler ses comptes avec ses serviteurs. Celui qui était le débiteur le plus important fut amené en premier, était-il son ministre? L’homme en question doit une somme immense qui se rapproche du montant de la rémunération du travail d’une vie entière, si ce n’est deux vies. Le roi lui demande de rembourser son énorme dette. Le serviteur-ministre se jette à ses pieds et lui dit: «Donne-moi un délai et je te rembourserai ma dette?» Le roi, pris de compassion, de pitié, lui dit: «je te remets toute ta dette!», tu es libre! Le serviteur ministre, forcément heureux et léger, sort de la salle royale, descend, tout guilleret, plusieurs terrasses du palais et finalement, au détour d’une coursive obscure (je brode), il rencontre un petit serviteur qui lui doit une somme ridicule (une journée de travail). Le serviteur-ministre le prend à la gorge et lui dit: «rends-moi ce que tu me dois!». Le pauvre petit serviteur se jette à ses pieds et lui demande: «Donne-moi un délai et je te rembourserai ma dette!». Le serviteur ministre refusa et le fit jeter en prison. Le roi ayant appris ce comportement, fait venir le serviteur-ministre et lui dit: pourquoi n’as-tu pas eu pitié de ton débiteur comme j’ai eu de toi pitié? Et le roi le fit jeter, à son tour en prison. La parabole se termine avec un injonction: «c’est ainsi que mon Père, Dieu, vous traitera si vous ne remettez pas à votre frère sa dette du fond du cœur». Le texte, pour les pseudo-puristes parle de pardon. Il s’agit de dette. L’interprétation de ce texte ce trouve finalement dans le Notre Père. La séquence en latin dit: «et dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris». Remets nous nos dettes comme nous remettons les dettes à ceux qui ont des dettes envers nous! Interprétation à ciel ouvert… notre créateur nous a donné la vie, et celle-ci est impayable, on ne peut la rembourser, quel que soit le délai demandé.

Le créateur nous remet la dette, nous n’avons pas à rembourser le prix de la vie que nous avons reçue, toujours infiniment impayable…seule obligation consécutive au don de la remise de dette: que nous remettions les dettes qu’autrui pourrait avoir envers nous. 

Il s’agit d’une cascade: j’ai reçu la vie, un prix hors de prix, je n’ai pas à la payer. Le seul prix c’est de prolonger cette vie sans prix vers celles et ceux qui en auraient besoin. J’ai reçu un don, la vie, la richesse, le patrimoine, il me revient donc, non pas de faire de la comptabilité avec mon créateur, mais de prolonger, vers mes semblables les dons reçus. J’ai reçu des dons, à moi de par-donner.

En tant que leader comblé de réussite, il faut garder dans la lumière de son mental, une seule question: l’argent nous rend-il impitoyable, sans pitié, ou nous invite-t-il à prolonger, à par-donner les dons reçus? Dans une conception du pouvoir cela s’appelle rayonner et mettre en œuvre sa richesse pour que les autres puissent grandir, eux-aussi et devenir riches à leur tour

Maxime Morand Provoc-Actions, Genève/ Agefi Suisse  24.12.2013

http://agefi.com/une/detail/artikel/religions-et-argent-lethique-chretienne-conditionne-t-elle-lesprit-du-capitalisme%3F-linfluence-sexerce-en-fait-dans-les-deux-sens.html

2 réponses »

  1. Nul homme n’est satisfait de sa fortune, ni mécontent de son intelligence.

    Ceci dit, moi même ? Ben je trouve que je ne suis pas si riche que ça finalement ?

    Mais par rapport à quoi ? À qui ? Dans quelle perspective ? Avec quel avenir ?

    Ah ! L’argent est un maître bien exigeant. Le gagner ? Pas facile ?
    Le conserver ? Difficile ? L’investir ? Pfiouuuuuuuuuu !

    TOUT CECI EST BIEN COMPLIQUÉ ET EN PLUS, Y A LES IMPÔTS
    QUI SE POINTENT À L’HORIZON !

    Et quand je pense à tout le mal que je me donne ? C’est fou hein ?
    Ouais, ça c’est sur !

    BONNE ANNÉE À TOUS LES CAPITALISTES ….
    et bonne année (minuscule) AUX AUTRES !

    Ben quand même hein …..

    Au meilleur de ma connaissance, ce qui est souhaitable,
    ce n’est pas la fortune mais une solide aisance ?

    Genre JE GAGNE PLUS QUE CE QUE JE DÉPENSE.

    Ce sont là les balises et rampes de protection à ne pas oublier.
    Ensuite … vogue la galère. TOUT CE QUE L’ON POSSÉDE …. NOUS POSSÈDE !
    Du coup, on est deux dans la merde ! Le possédant et le possédé
    mais lui s’en fout, il est con ! Donc, le premier est ENCORE PLUS ….

    ARGHHHHHHHHHHHHH !!!

  2.  » Dans une conception du pouvoir cela s’appelle rayonner et mettre en œuvre sa richesse pour que les autres puissent grandir, eux-aussi et devenir riches à leur tour »

    Pourquoi une conception du pouvoir, alors que dans ce cas c’est plutôt une conception altruiste. Le pouvoir étant par essence égoïste, il n’a que faire du devenir des autres. Et puis associer pouvoir et rayonnement, j’aurais utilisé puissance pour rayonnement 🙂 :). Car le riche peut être puissant sans pour autant avoir de pouvoir, tout comme le saint peut rayonner sans pour autant avoir du pouvoir.
    .

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