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Immobilier : Douce France /la bulle qui plombe Par Pierre-Antoine Delhommais

Immobilier : Douce France /la bulle qui plombe Par Pierre-Antoine Delhommais

L’inflation immobilière creuse les déficits commerciaux, mais surtout les inégalités.

Dans la longue liste des échecs économiques du gouvernement Ayrault, il faut faire figurer en bonne place la politique de logement conduite par Cécile Duflot. La ministre Verte, il est vrai, dépense plus d’énergie à critiquer Manuel Valls sur sa politique migratoire qu’à trouver les moyens de relancer la construction dans le pays. Et elle est visiblement aussi douée pour faire baisser les loyers que pour situer le Japon sur une mappemonde – lors de la catastrophe de Fukushima, cette titulaire d’un DEA de géographie avait doctement expliqué à la télévision que la France était à l’abri des retombées nucléaires parce que le Japon se situait dans l’hémisphère Sud !

François Hollande avait promis la construction de 500 000 logements par an. On devrait péniblement atteindre 340 000 en 2013, soit un recul de 6 % par rapport à 2012. 2014 s’annonce pire, à en juger par le nombre de permis de construire, en repli de 16 %. La France souffre d’une pénurie d’offres, et les mesures concoctées par la ministre risquent d’aggraver la situation en décourageant un peu plus encore les Français d’investir dans la pierre sans peser sur les prix. Ces derniers restent en lévitation, n’ayant baissé que de 2 % en 2013 en moyenne sur l’ensemble du territoire, malgré une croissance nulle et la montée du chômage. La purge annoncée se fait attendre. Selon les calculs de The Economist, les prix de l’immobilier rapportés aux revenus des ménages seraient surévalués d’environ 30 % en France et… sous-évalués de 18 % en Allemagne.

Parmi les dommages collatéraux provoqués par cette bulle immobilière increvable, il y a d’abord la montée de l’endettement privé, qui n’est pas plus sain que l’endettement public : la dette immobilière des ménages français a doublé entre 2005 et aujourd’hui, passant de 440 milliards à plus de 800 milliards d’euros. Il y a aussi la perte de compétitivité globale pour l’économie française. Deux études, une de l’OCDE, une autre de la Réserve fédérale de New York, ont démontré que, dans un pays, plus les prix de l’immobilier montent, plus le déficit commercial augmente. Plusieurs raisons expliquent cette corrélation inattendue : l’argent que les entreprises dépensent pour se loger n’est pas investi dans la recherche ; les capitaux sont placés dans la pierre plutôt que dans l’industrie ; l’enrichissement des propriétaires se traduit par un surplus de consommation et d’importations ; la cherté des logements rend les salariés moins mobiles et le marché du travail plus rigide ; enfin, les rémunérations sont mécaniquement tirées vers le haut par des prix de l’habitat élevés.

Une partie de la compétitivité de l’industrie allemande proviendrait ainsi de la faiblesse des prix de l’immobilier outre-Rhin. Entre 1996 et 2011, les prix des logements anciens ont été multipliés par 2,5 en France, alors qu’ils sont demeurés stables en Allemagne. Résultat, les logements sont de 40 % à 60 % plus chers à l’achat en France qu’en Allemagne. Quant aux loyers et remboursements d’emprunts, ils représentent environ 24 % du budget des ménages français, contre 14 % de celui des ménages allemands.

Les bulles immobilières creusent aussi les inégalités. D’abord entre les bienheureux propriétaires à Paris et en province : en 2013, l’écart de prix du mètre carré entre la capitale et les villes de moins de 20 000 habitants a atteint un record historique de 6 110 euros. Elle les creuse surtout entre propriétaires (63 %) et locataires (37 %). Plus les prix des logements montent, plus les premiers s’enrichissent et plus les seconds s’appauvrissent. L’immobilier édifie un mur infranchissable entre “la France d’en haut et la France d’en bas” : selon une enquête du Credoc, 73 % des hauts revenus sont aujourd’hui propriétaires de leur logement (62 % en 1990), mais seuls 31 % des bas revenus le sont (51 % en 1990).

C’est aussi l’immobilier qui élargit l’écart de niveaux de vie entre les vieux et les jeunes, les seconds se voyant contraints de louer leur logement aux premiers. En 2010, 26 % des propriétaires avaient plus de 70 ans, contre 19 % en 1980. Pour un jeune célibataire issu de la classe moyenne, l’accès à la propriété n’est plus un rêve qui le motive, mais une impossibilité qui le déprime et l’inquiète. Sentiment de frustration, de déclassement social, galère des locations, des cautions à trouver. Et des privations qui vont avec : 44 % des foyers ayant de lourdes charges de logement (plus de 30 % de leur budget) déclarent se restreindre en matière d’alimentation. Et ils dépensent pour se nourrir 120 euros de moins par mois que les ménages consacrant seulement 10 % de leurs revenus pour se loger. Même constat pour les transports, les loisirs. Le budget culture des locataires est plus de deux fois inférieur à celui des propriétaires.

Source Le Point – Publié le 16/01/2014

http://www.lepoint.fr/editos-du-point/pierre-antoine-delhommais/immobilier-la-bulle-qui-plombe-16-01-2014-1780760_493.php

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