Somalie: Les islamistes shebab subissent un revers
En Somalie, les islamistes shebab perdent leur dernier port La chute de Baraawe prive les djihadistes de leur dernière ouverture sur la mer, mais ils contrôlent toujours de nombreuses zones rurales
Ce n’est qu’un petit port décrépit aux pierres centenaires, une trouée dans la barrière de corail qui longe la côte somalienne, et où le commerce des esclaves et celui des bananes, qui firent sa prospérité, sont désormais oubliés, au profit d’activités plus modernes: Baraawe (Brava), sur la côte sud de la Somalie, entre Mogadiscio et la frontière kényane, était jusqu’à dimanche un centre d’exportation de charbon de bois vers la péninsule Arabique, et la «capitale» informelle des insurgés somaliens du groupe shebab, affilié à Al-Qaida. C’était aussi, depuis des mois, l’un des objectifs principaux de la coalition des troupes gouvernementales et de l’Amisom, la force de l’Union africaine.
Emir récemment tué
En dépit de quelques accrochages, les Shebab ont quitté le port sans combattre, laissant la coalition en prendre possession. C’est le second coup sérieux qui leur est porté en cinq semaines. Le 1er septembre, leur émir, Ahmed Abdi «Godane» (Mokhtar Abou Zuber), était tué, non loin, par une frappe américaine. Depuis dimanche, les membres du Harakat Al-Shebab Al-Moudjahidin (le Mouvement des jeunes combattants, autre nom des Shebab) ont aussi perdu Baraawe, leur petite «capitale». Ils ne sont pas partis très loin: des localités à moins de 20 km sont encore sous leur contrôle. Les insurgés se promettent aussi de revenir attaquer à la première occasion, au besoin par des attentats, depuis Jilib ou Dinsor (à 100 km).
Cela faisait des mois que l’opération «Océan Indien» devait permettre à la coalition au sein de laquelle l’Amisom, avec un fort appui occidental, joue un rôle militaire de premier plan, de prendre le dernier port contrôlé par les Shebab dans le sud somalien, même si ces derniers contrôlent toujours des couloirs vers des zones de contrebande au nord. Plusieurs fois, l’offensive prévue avait avorté.
La prise de Baraawe était stratégiquement indispensable. D’abord, la ville était la dernière ouverture sur la mer pour les Shebab depuis la perte de Mogadiscio, Kismayo et Merka. Le port est accessible toute l’année, et permet la circulation d’hommes et d’armes, notamment avec le Yémen. Depuis Baraawe, il est également possible d’envoyer des embarcations vers le Kenya. Récemment, le pays voisin – qui est intervenu militairement en Somalie et dont les alliés locaux contrôlent Kismayo – a vu la filiale locale des Shebab attaquer sur son propre sol, près de Lamu. Des sources kényanes estiment qu’une partie de la logistique, alors, a été assurée depuis Baraawe. Le port était aussi crucial pour les finances des djihadistes, qui y prélevaient des taxes sur les exportations de charbon de bois, recueillant plusieurs dizaines de millions de dollars par an, selon les Nations unies.
Mais Baraawe était aussi un centre nerveux du commandement insurgé. C’est là, en 2009, que Saleh Ali Saleh Nabhan, un des responsables d’Al-Qaida pour la région, coorganisateur des attentats de Nairobi et Dar es-Salaam (1998), avait été tué lors d’une opération héliportée américaine. En 2013, une autre tentative similaire avait tourné au désastre: l’équipe des Navy Seal américains responsable de l’opération au Pakistan ayant entraîné la mort d’Oussama ben Laden échouait dans l’opération de capture d’un commandant local, et parvenait à rembarquer en évitant de justesse de se faire massacrer.
Zones rurales
Depuis, les Shebab continuaient à tenir leur choura (conseil) dans le vieux port du réseau commercial swahili. Si les principales villes de Somalie sont tombées aux mains de la coalition pro-gouvernementale, les campagnes appartiennent toujours aux insurgés, de même que des petites villes de moindre importance. Les Shebab continuent à prélever des taxes le long de routes où la coalition gouvernementale ne s’aventure qu’en gros convois. Depuis leurs zones rurales, les Shebab continuent à organiser attaques et attentats, même si le temps n’est plus aux grandes offensives. La perte de Baraawe, même si elle constitue un revers et complique leur logistique, ne signifie donc pas la fin de leur mouvement.
Celui-ci avait été réorganisé sous la poigne de fer de «Godane» après une série de défaites, lorsque les Shebab avaient perdu Mogadiscio en 2011, puis Kismayo en 2012. L’ex-émir avait imposé son autorité et celle de l’Amniyat, une force chargée du renseignement et des assassinats, y compris à l’intérieur du mouvement. L’émir évitait de se montrer, et encore plus de communiquer, pour éviter d’être assassiné par les forces étrangères. Il a finalement été tué sur la route de Baraawe. Les Shebab avaient alors annoncé qu’ils «feraient payer chèrement cette mort» – un attentat, deux jours plus tard à Mogadiscio, avait fait 16 morts. La décision de nommer à la tête de leur mouvement son ex-adjoint, Ahmed Diriye «Abou Oubaida», avait ensuite été prise lors d’une choura à Baraawe. Ce fut la dernière de cette ampleur, alors qu’approchait la chute de la ville.
PAR JEAN-PHILIPPE RÉMY JOHANNESBURG LE MONDE 7/10/14
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