De la frivolité des prévisions Par Andreas Hofert
Les prévisions, même fausses, nous donnent l’illusion de contrôler le destin
«UBS aussi revoit massivement à la baisse ses prévisions pour la Suisse», pouvait-on lire il y a une semaine un peu partout dans la presse helvétique. Depuis, plusieurs journalistes m’ont interrogé sur les raisons et, surtout, sur les conséquences (forcément désastreuses, l’économie étant avant tout une science lugubre) de cette révision pour notre pays.
J’y ai répondu de deux manières. Ma première réponse, celle donnée lors de mes interviews, était de s’en tenir aux faits et chiffres. Il est vrai qu’à peu près tous les économistes helvétiques ont sensiblement révisé leurs perspectives à la baisse. Mais, dans un contexte européen où le mot «morose» est devenu un euphémisme, la Suisse est un des rares havres de prospérité. La croissance, même plus faible, y reste positive (comparons avec l’Italie qui passe par sa troisième récession en six ans). En Suisse, l’inflation est nulle et le taux de chômage reste à un niveau si bas que l’OCDE vient de féliciter la Confédération pour la flexibilité de son marché du travail.
Une deuxième réponse, plus «philosophique», consiste à se demander à quoi ça sert, les prévisions. En effet, lorsqu’on analyse la qualité des prévisions économiques, les erreurs sont la norme et l’acuité relève de l’exception. Depuis 2008, le FMI a surestimé en moyenne de 4 points de pourcentage la croissance de la Grèce. En 2011, il prévoyait +1,1% de croissance hellénique, alors que celle-ci s’était finalement retrouvée à -7%! On peut donc dire que depuis 2008 l’information contenue dans les prévisions du FMI pour la Grèce est nulle… Ce qui n’a pas empêché l’institution de participer à la fameuse troïka prodiguant force conseils de réformes aux Hellènes.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Kenneth Arrow, futur Prix Nobel d’économie, travaillait auprès du bureau météorologique de l’armée américaine. Après quelques semaines de service, il envoya une note candide à son général l’informant que les prévisions étaient souvent erronées et que les énormes moyens pour l’élaboration de ces dernières pourraient être utilisés à de meilleures fins. Quelques jours plus tard, il reçut, de la part du chef d’état-major, la réponse suivante: «Le général est parfaitement conscient que les prévisions météorologiques sont presque toujours fausses, mais il en a besoin pour sa planification.»
Cette anecdote est un cas typique de biais de comportement. Contrairement à l’adage de John Maynard Keynes selon lequel l’«approximativement correct» vaut mieux que le «précisément incorrect», nous préférons les prévisions erronées à l’incertitude. Les prévisions, même fausses, nous donnent l’illusion de contrôler le destin. Etre conscient de cela permet d’éviter bien des déconvenues.
PAR ANDREAS HÖFERT Chef économiste, UBS Wealth Management/ Le TEMPS 6/10/14