Art de la guerre monétaire et économique

La Russie Et La Chine Se Moquent De La Stratégie Du Diviser Pour Régner /Le difficile renouveau de la science russe/ L’appel au secours des Russes endettés en dollars

La Russie Et La Chine Se Moquent De La Stratégie Du Diviser Pour Régner Par Pepe Escobar 

ROME et BEIJING – L’Empire romain l’a fait. L’Empire britannique en a copié le style. L’Empire du chaos l’a toujours fait. Tous l’ont fait. Divide et impera : divise et règne, ou diviser pour conquérir, pour régner [1]. C’est à la fois méchant, brutal et efficace. Mais ça ne dure pas pour toujours, pas comme les diamants, car les empires, eux, finissent par s’écrouler.
Générique du film américain (sur commande) de Frank Capra "Divide and Conquer", sorti en 1943. Visible sur youtube en cliquant ici.
Générique du film américain de Frank Capra « Divide and Conquer », sorti en 1943. C’est un film sur commande (donc de propagande) qui explique la stratégie de conquête des nazis. Visible sur youtube en cliquant ici.

Une chambre avec vue sur le Panthéon, ça peut être comme un hommage à Vénus, mais ça peut aussi donner une idée des œuvres de Mars. J’étais à Rome essentiellement pour participer au symposium Global WARning [2]organisé par un groupe très dévoué et très compétent ,dirigé par l’ancien membre du Parlement européen Giulietto Chiesa. Trois jours plus tard, alors que se déchaînait l’attaque sur le rouble, Chiesa, déclaré persona non grata, était arrêté en Estonie puis expulsé du pays, autre illustration de l’hystérie antirusse dont sont victimes les pays baltes et de l’emprise orwellienne qu’exerce l’Otan sur les maillons faibles de l’Europe [3]. La dissidence n’est tout simplement pas permise.

Lors du symposium, tenu dans un ancien réfectoire dominicain du 15e siècle décoré de fresques divines, et qui fait maintenant partie de la bibliothèque du Parlement italien, Sergey Glazyev, en communication téléphonique depuis Moscou, a donné une interprétation sévère de la Guerre froide version 2.0 :

  • il n’existe pas de vrai gouvernement à Kiev ;
  • l’ambassadeur américain est aux commandes ;
  • une doctrine antirusse a été concoctée à Washington, en vue de fomenter la guerre en Europe ;
  • et les politiciens européens agissent en collaborateurs.

Washington veut la guerre en Europe, car elle perd la concurrence avec la Chine.

Glazyev a abordé la folie démente des sanctions : la Russie s’efforce simultanément de réorganiser les politiques du Fonds monétaire international, de combattre la fuite des capitaux et d’atténuer autant que possible les répercussions de la fermeture, par les banques, de la ligne de crédit de nombreux hommes d’affaires. Quoi qu’il en soit, explique‑t‑il, l’ultime conséquence des sanctions sera que l’Europe en sortira la plus grande perdante sur le plan économique. Maintenant que les géopoliticiens américains ont pris les commandes, les bureaucrates européens n’ont plus d’orientation économique.

Trois jours seulement avant l’attaque sur le rouble, j’interrogeais Mikhail Leontyev (attaché de presse et directeur du Service de l’information et de la publicité à Rosneft) sur les rumeurs grandissantes voulant que le gouvernement russe s’apprête à appliquer des mesures de contrôle des devises. Personne alors ne savait que l’attaque sur le rouble serait aussi rapide et qu’elle serait conçue pour faire échec et mat à l’économie russe. Après un espresso sublime au Tazza d’Oro, situé juste à côté du Panthéon, Leontyev m’a dit que la mise en œuvre de mesures de contrôle était effectivement envisagée, mais pas dans l’immédiat.

Ce qu’il a souligné, c’est qu’il s’agit là d’une véritable guerre financière, qui bénéficie de l’appui d’une cinquième colonne au sein des institutions russes. La seule composante égale, dans cette guerre asymétrique, concerne les forces nucléaires. Et, quoi qu’il en soit, la Russie ne se soumettra pas. Leontyev a qualifié l’Europe, non pas de sujet historique, mais d’objet : « Le projet européen est un projet américain ». Et la démocratie n’est plus qu’une fiction.

L’attaque sur le rouble est passée comme un ouragan économique dévastateur. Mais on ne menace pas d’échec et mat un joueur chevronné, à moins de posséder une puissance de feu supérieure à l’éclair de Jupiter. Moscou a survécu. Gazprom a tenu compte de la demande du Président Vladimir Poutine : elle vendra ses réserves de dollars américains sur le marché intérieur. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank‑Walter Steinmeier, a critiqué publiquement l’Union européenne (UE), l’accusant de « serrer davantage la vis », en adoptant d’autres sanctions contre‑productives à l’endroit de Moscou. Et lors de sa conférence de presse annuelle, Poutine a insisté sur le fait que la Russie allait résister à l’orage. Malgré tout, j’étais surtout intrigué par ce qu’il n’a pas dit [4].

Voyant Mars prendre le dessus dans une accélération frénétique de l’histoire, je me suis réfugié dans ma chambre du Panthéon pour tenter d’invoquer l’esprit de Sénèque, en pensant aux Stoïques, qui cultivaient l’euthymie [5], ou la sérénité intérieure, et cet état d’imperturbabilité qu’ils qualifiaient d’aponie [5]. Mais pas facile de cultiver l’euthymie, quand la Guerre froide 2.0 fait rage.

Montre‑moi ton missile imperturbable

La Russie pourrait toujours déployer son option économique nucléaire, en déclarant un moratoire sur sa dette étrangère. Ensuite, si les banques occidentales décidaient de saisir les actifs russes, Moscou pourrait de son côté saisir tous les investissements occidentaux en Russie. Quoi qu’il arrive, les visées du Pentagone et de l’Otan, de guerre chaude sur le théâtre européen, ne se concrétiseront pas, à moins qu’on ne soit devenu assez fou à Washington pour se lancer dans une pareille guerre.

Cela n’en pose pas moins un risque sérieux, car l’Empire du chaos accuse la Russie d’avoir violé le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, et ce, même si de son côté l’Empire se prépare à forcer l’Europe à accepter en 2015 le déploiement de ses missiles de croisière à charge nucléaire.

La Russie pourrait déjouer les marchés financiers occidentaux, en leur coupant l’accès à ses immenses réserves de pétrole et de gaz naturel, provoquant du coup un effondrement inévitable, le chaos non contrôlé de l’Empire du chaos (ou le chaos contrôlé, pour utiliser les mots de Poutine). Imaginez l’effritement du million de milliards de dollars (voire davantage) d’instruments dérivés. Il faudrait des années à l’Occident pour parvenir à remplacer le pétrole et le gaz naturel russes, mais l’économie de l’Union européenne s’en trouverait instantanément anéantie.

Cette seule attaque foudroyante de l’Occident sur le rouble, et sur les prix du pétrole, par le jeu du pouvoir écrasant des firmes de Wall Street, a déjà ébranlé les banques européennes, vulnérables jusqu’à l’os à la situation financière de la Russie : leur swap sur défaillance de crédit a monté en flèche. Imaginez ces banques s’effondrer comme autant de châteaux de cartes à la Lehman Brothers, si la Russie décidait de ne plus assurer le service de sa dette, déclenchant ainsi une réaction en chaîne. Pensez à un concept de destruction mutuelle assurée (MAD) non nucléaire, sans la guerre. De plus, la Russie est autonome du point de vue de ses réserves énergétiques, minérales et agricoles. Ce qui n’est pas le cas de l’Europe. Et ça pourrait être là le résultat mortel d’une guerre de sanctions.

Essentiellement, l’Empire du chaos bluffe, en se servant des Européens comme de pions. L’Empire du chaos est aussi pitoyable aux échecs qu’en histoire. Là où il excelle, c’est à faire monter les enjeux, pour forcer la Russie à reculer. Mais la Russie ne reculera pas.

La noirceur naît à la pointe du chaos

Pour paraphraser Bob Dylan dans When I Paint My Masterpiece [6], j’ai quitté Rome pour atterrir à Beijing. Aujourd’hui, les Marco Polo de ce monde voyagent à bord d’Air China. Dans dix ans, ils feront le trajet inverse à bord du train à grande vitesse reliant Shanghai à Berlin [7].

De ma chambre de la Rome impériale, je suis donc passé à celle de mon paisible hutong, réminiscence latérale de la Chine impériale. À Rome, les barbares, mafia locale comprise, fourmillent à l’intérieur des murs, pillant en douceur les miettes d’un très riche patrimoine. À Beijing, ils sont maintenus sous haute surveillance, ce qui suppose bien sûr un aspect panoptique, essentiel à la paix sociale. Depuis les réformes stupéfiantes entreprises par le Petit Timonier Deng Xiaoping, les leaders du Parti communiste chinois (PCC) sont parfaitement conscients du fait que leur Mandat du Ciel est directement conditionné par le réglage de précision du nationalisme et de ce que l’on pourrait qualifier de néolibéralisme aux caractéristiques chinoises.

Dans une veine autre que les lits moelleux de l’Orient qui ont séduit Marc Aurèle, les splendeurs soyeuses du Beijing chic laissent entrevoir une puissance émergente extrêmement sûre d’elle‑même. Après tout, l’Europe n’est rien d’autre qu’un catalogue de cas de sclérose en plaques, et le Japon en est à sa sixième récession en vingt ans.

Pour couronner le tout, en 2014, le président Xi Jinping a déployé avec ardeur une série d’efforts diplomatiques et géostratégiques sans précédent, liés en définitive au projet à long terme visant à effacer lentement, mais sûrement, la suprématie américaine en Asie et à réorganiser l’échiquier international. Ce que Xi a dit à Shanghai en mai dernier résume la nature de ce projet : « Il est temps pour les Asiatiques de gérer leurs propres affaires en Asie ». À la réunion de l’APEC de novembre dernier, il en a remis une couche en faisant la promotion du « rêve de l’Asie‑Pacifique ».

Pendant ce temps, la frénésie est la norme. À part deux contrats gaziers monstres d’une valeur de 725 milliards de dollars US (les pipelines Power of Siberia et Altai) et une offensive récente liée au projet de Nouvelle route de la soie en l’Europe de l’Est [8], pratiquement personne en Occident ne se rappelle qu’en septembre dernier le Premier ministre chinois Li Keiqiang a signé pas moins de trente huit accords commerciaux avec les Russes, dont une transaction d’échange et un accord fiscal, ce qui implique une interaction économique totale.

On pourrait avancer que l’évolution géopolitique axée sur l’intégration entre la Russie et la Chine est sans doute la plus grande manœuvre politique à survenir au cours des cent dernières années. Le plan directeur de Xi est sans ambiguïté : l’établissement d’une alliance commerciale entre la Russie, la Chine et l’Allemagne. Les entreprises et le secteur industriel allemands la souhaitent absolument, même si les politiciens allemands n’ont pas encore compris le message. Xi et Poutine construisent une nouvelle réalité économique en Eurasie, une réalité aux ramifications politiques, économiques et stratégiques à la fois multiples et cruciales.

Bien sûr, le chemin à parcourir sera extrêmement rocailleux. L’information n’a pas encore coulé dans les médias officiels occidentaux, mais en Europe des universitaires indépendants d’esprit (oui, il en existe, presque sous forme de société secrète) s’alarment de plus en plus du fait qu’il n’existe pas de modèle de rechange au racket que constituent le néolibéralisme radical, désordonné et chaotique et le capitalisme de casino vantés par lesMaîtres de l’univers.

Même si l’intégration eurasienne devait l’emporter avec le temps, et même si Wall Street devait devenir une sorte de bourse des valeurs locale, les Chinois et le monde multipolaire émergent semblent encore enfermés dans le modèle néolibéral existant.

Mais, tout comme Lao Tseu, déjà octogénaire, a administré au jeune Confucius une bonne gifle intellectuelle, l’Occident pourrait bénéficier d’une bonne mise en garde. Divide et impera? Ça ne marche pas. Et c’est une stratégie vouée à un échec lamentable.

Dans l’état actuel des choses, ce que nous savons, c’est que l’année 2015 sera terrifiante pour une myriade de raisons. Car, de l’Europe à l’Asie, des ruines de l’Empire romain au Royaume du Milieu qui refait surface, nous demeurons tous encore sous l’emprise d’un Empire du chaos craintif, dangereux et totalement irrationnel.

Pepe Escobar
Traduit par Jacques pour vineyardsaker.fr

http://www.vineyardsaker.fr/2014/12/29/loeil-itinerant-la-russie-et-la-chine-se-moquent-de-la-strategie-du-diviser-pour-regner/

Source : Russia, China mock divide and rule (atimes.com, anglais, 23-10-2014)

Notes

[1] En politique et en sociologie, diviser pour régner est une stratégie visant à semer la discorde et à opposer les éléments d’un tout pour les affaiblir et à user de son pouvoir pour les influencer. Divide et regna est la formule employée par Machiavel, qui signifie Divise et règne. (Wikipédia)

[2] GlobalWARning : « Une autre guerre en Europe ? Pas en notre nom ! » (vineyardsaker, français, 10-12-2014)

[3] Arrestato a Tallinn il giornalista Giulietto Chiesa (repubblica.it, italien, 15-12-2014) & L’Estonie, un État policier au sein de l’Union européenne (vineyarsaker, français, 24-12-2014)

[4] Ce que Poutine ne nous dit pas (vineyardsaker, français, 21-12-2014)

[5] L’euthymie constitue le concept central des pensées morales de Démocrite, qui la présente comme une disposition idéale de l’humeur correspondant à une forme d’équanimité, d’affectivité calme et de constance relative des états d’âme. Dans la philosophie épicurienne, l’aponie est l’absence totale de troubles corporels. (Wikipédia)

[6] When I Paint My Masterpiece est une chanson de Bob Dylan. Enregistrée en mars 1971, elle est parue en novembre de la même année sur la compilation Bob Dylan’s Greatest Hits Vol. 2. (Wikipédia)

[7] Eurasian Integration vs. the Empire of Chaos, (TomDispatch, anglais, 16-12-2014)

[8] China set to make tracks for Europe, China Daily, 18 décembre 2014. China’s Li cements new export corridor into Europe, Channel News Asia, 16 décembre 2014.

Après La Chute Du Rouble, « The Telegraph » Colporte Les Habituelles Inepties Sur L’économie Russe

Puits sans fond d’attaques contre la Russie (à l’instar de la plupart de nos grands médias d’information francophones), le quotidien anglais The Telegraph utilise ici une méthodologie ridicule pour prétendre que l’économie russe s’est contractée de 35 %.
Source:  Oanda ; Central Bank of Russia ; IMF
Source: Oanda ; Central Bank of Russia ; IMF. Télécharger les données au format csv en cliquant ici

Durant les premières semaines de décembre 2014, après des mois de pression à la baisse, le rouble a entamé une nouvelle chute libre. De 36 roubles pour un dollar au début août, la monnaie russe a baissé, puis a brutalement chuté de 47 à 53 roubles pour un billet vert en à peine quelques jours, à la suite de rumeurs (plus tard discréditées) que le Kremlin envisageait un contrôle des capitaux.

Cette chute soudaine a amené la presse à relater que le Produit intérieur brut (PIB) russe, qui avait précédemment été évalué à 2 000 milliards de dollars, ne valait plus désormais que 1 300 milliards de dollars[1].

Ayant été la 8ème économie mondiale, il apparaîtrait que la Russie de Vladimir Poutine se traine désormais en 13ème place, à peine devant la stagnante Espagne.

En y regardant de plus près, une telle analyse est plutôt expéditive et partiale. Bien que le rouble ait clairement fait une chute libre face au dollar, le bilan de l’économie russe est moins morne que ne l’avance le journal britannique.

Le titre « La Russie est désormais l’Espagne » repose entièrement sur la dévaluation du PIB 2013 de la Russie, dans la mesure où le rouble a chuté face au dollar de fin 2013 (RUB 32,8) à décembre de cette année (RUB 50,3). Sur cette base, la contraction du PIB est effectivement énorme : de 2 090 milliard de dollars à 1 370 milliards, soit une chute de 34,6 %.

C’est une méthodologie douteuse et cela pour trois raisons évidentes.

  1. Premièrement, depuis 2013 l’économie russe est en expansion et il est prévu qu’elle dépasse de 0,5 à 1,0 % la croissance prévue.
  2. Deuxièmement, considérer le taux journalier du rouble comme un indicateur précis de l’importance de l’ensemble de l’économie russe reviendrait à dire que celle-ci peut croître ou décroître de centaines de points de base en un jour. Entre le dernier vendredi de novembre et le premier lundi de décembre, le rouble a perdu 5,9% de sa valeur face au dollar. Une économie qui se contracte d’un tel pourcentage en un an serait un désastre crédible. De proclamer que cela peut arriver, en un week-end, à un pays qui, chaque trimestre de 2014, a enregistré une croissance de son PIB, est fantaisiste, pour ne pas dire fallacieux.
  3. Troisièmement, l’économie russe, qui est largement fondée sur l’énergie, ne se mesure pas qu’en roubles. Ses nombreuses exportations, qui représentent 28 % de son PIB, se mesurent en dollars.

Si la part fondée sur le rouble de son économie est dévaluée pour donner une image de sa faiblesse, alors sa richesse en dollars devrait certainement augmenter d’autant.

En utilisant la méthodologie « La Russie est l’Espagne » ,on verrait l’économie russe se contracter à 1 880 milliards de dollars, reculant seulement d’une place dans les rangs des économies mondiales, de la huitième à la neuvième.

Cette méthode prend toujours le taux de change d’un seul jour comme valeur symbolique d’une économie dans sa globalité. Ainsi, il serait plus approprié d’utiliser plutôt le taux moyen de change sur l’année considérée (RUB 36,9), qui est plus représentatif, bien que toujours rudimentaire. Le résultat serait alors une décroissance économique de 4,5%, à 2 030 milliards de dollars.

Même si l’on prend en compte dans l’équation les exportations russes en monnaies étrangères, on ignore que la majorité du commerce russe se fait en réalité avec la zone Euro.

Le même calcul réalisé avec la valeur du rouble face à celle de l’euro, plutôt que celle du dollar, révèle une climat économique moins volatile qu’il n’est suggéré par le titre « La Russie est l’Espagne ».

En dévaluant au taux de 62,6 roubles pour 1 euro début décembre, cela donnerait une contraction de 9 %, alors qu’en utilisant le taux de change moyen annuel par rapport à la date considérée, soit 49,2 roubles pour 1 euro, le résultat ne serait qu’un recul de 3 %. La Russie resterait alors la 8ème plus puissante économie mondiale.

Henry Kirby (Business New Europe)
Traduit par Angéline pour vineyardsaker.fr

http://www.vineyardsaker.fr/2014/12/27/apres-la-chute-du-rouble-telegraph-colporte-les-habituelles-inepties-sur-leconomie-russe/

Notes

[1] Capital controls feared as Russian rouble collapses (telegraph.co.uk, anglais, 01-12-2014)

[2] MACRO ADVISOR: 2015 looks likely to be Russian economy’s “Annus Horribilis” (bne.eu, anglais, 18-11-2014)

Source : Chart – Flippant claim that ‘Russia is Spain’ is wide of the mark (bne.eu, anglais, 11-12-2014)

Le difficile renouveau de la science russe 

La science russe, déliquescente dans les années 1990, veut se reconstruire à coups de milliards. Plusieurs initiatives visent à faire rentrer les chercheurs russes exilés et à attirer les cerveaux étrangers. L’instabilité relative du pays, le cadre de vie, des visions à trop court terme et une bureaucratie parfois lourde freinent encore cet élan. Reportage dans divers laboratoires de Moscou, ainsi qu’au Joint Institute for Nuclear Research de Doubna

«Santé! Que l’on se porte tous bien. Je suis content que vous visitiez notre institut, ça signifie qu’il est encore en vie. Ça me fait même bizarre!» Et, dans cette taverne ukrainienne de Moscou, le directeur de l’ Institut Vavilov de génétique générale , en souriant derrière sa moustache en bataille, de lever son verre à l’adresse des 26 jour­nalistes européens invités cet automne à prendre le pouls de la science russe. Nick Yankovsky ne l’avouera pas, mais il a dû craindre les remous qui agitent son univers professionnel. Et surtout la pluricentenaire Académie des sciences de Russie, dont son institut dépend, et qui se verra dès 2015 gérée par une agence gouvernementale.

Coincé devant les mets typiques (poisson au fromage, graisse animale pure en tranches, etc.) qui couvrent la table, Evgeny Rogaev a sagement écouté son supérieur. Ce spécialiste en génétique des affections mentales fait partie de ces chercheurs qui sont rentrés au pays, attirés par la renaissance promulguée de la recherche russe. Aujourd’hui, il loue les moyens déployés pour lui redonner son lustre d’antan. Pour autant, prudent, il ne renonce pas (encore) à son autre poste de professeur à l’Université du Massachusetts, aux Etats-Unis, où il est parti au début des années 1990, comme tant de ses collègues.

Après l’éclatement de l’URSS, la science ne figurant pas parmi les priorités de la nouvelle Russie, les financements se sont taris. Dans une inflation galopante, les salaires des savants ont été rognés, ce qui a poussé nombre d’entre eux à trouver un second emploi. «J’ai dû travailler dans des instituts à l’étranger, j’y gagnais en un mois mon salaire annuel russe, admet même Lev Zelenyi, le directeur du prestigieux Institut des études spatiales IKI, où ont été conçus les engins de l’exploration spatiale soviétique, tel le spoutnik. Beaucoup d’autres – entre 25 000 et 100 000, dit-on – ont préféré s’exiler, vers les Etats-Unis, l’Angleterre, Israël… «De ma volée de 150 collègues en 1989 à l’Université de Moscou, 90% ont émigré», raconte la biologiste Maria Lagarkova. Ceux qui sont restés, comme elle, avaient des raisons familiales.

«Dès l’an 2000, avec l’arrivée de Vladimir Poutine, la situation a commencé à s’améliorer, poursuit Lev Zelenyi. Davantage d’attention a été vouée à la science. Or la vie étant devenue chère à Moscou, les étudiants peinaient à s’y loger, donc à y venir. Un déficit de savants s’est fait sentir. Même les techniciens sur moteurs de fusée, contraints à ouvrir ailleurs un garage à voitures, ne sont pas revenus.»

Aujourd’hui, le ciel est un peu plus clair. Le gouvernement a lancé un vaste programme de «Développement de la science et de la technologie» pour la période 2013-2020, affirmant avoir provisionné 1603 milliards de roubles (48 milliards de francs à l’époque) d’ici à son terme. Cela même si l’objectif affiché de dépenser pour la science et la technologie d’ici à 2020 l’équivalent annuel de 3% du PIB (soit 58 milliards de francs avec les valeurs de 2013) ne sera pas atteint. Et si l’ambition reste bien de rendre la science russe compétitive, on ne réforme pas en deux coups de cuiller à pot un système de recherche et d’éducation complexe et constitué d’institutions historiques, telle l’Académie des sciences de Russie (RAN), fondée en 1724 par le tsar Pierre le Grand .

Considérée par les milieux officiels comme un groupe archaïque d’éminences grises plus soucieuses de leurs privilèges que de produire une science efficiente, la RAN est la cible du gouvernement depuis des années. En septembre 2013, les Chambres du parlement ont approuvé sa réorganisation par une loi: une Agence fédérale pour les organisations scientifiques (FASO) supervisera directement dès l’an prochain d’une part les 434 instituts du pays affiliés à la RAN ainsi qu’aux Académies des sciences médicales et agricoles, employant une soixantaine de milliers de personnes, d’autre part les locaux dont la RAN est propriétaire (260 000 hectares!).

Les chercheurs concernés, tout en demandant des moyens supplémentaires, ne nient pas la nécessité de moderniser la vénérable institution, mais dénoncent là une action visant à sa dissolution, qui a d’ailleurs provoqué des protestations dans les milieux scientifiques occidentaux. «Le gouvernement veut liquider l’Académie en tant que pourvoyeuse d’opinions indépendantes. Et veut mettre la main sur son patrimoine immobilier», a écrit en juillet dans Nature Alexey Yablokov, conseiller de la RAN. Et d’annoncer un retour de balancier suite à l’incertitude générée: «Il y a trois ans, les salaires ont un peu augmenté, davantage de cerveaux ont décidé de rester. Mais, au début de 2014, leur fuite s’est à nouveau accentuée.»

Sans se réjouir des déboires de la RAN, certains plébiscitent les changements, comme Alexei Khokhlov. Le vice-recteur de l’Université d’Etat de Moscou (MSU), la meilleure de Russie, a son bureau boisé à mi-hauteur du monumental édifice ressemblant plus à un palais qu’à une haute école accueillant 40 000 étudiants. C’est l’une des Sept Sœurs de Moscou, ces gratte-ciel staliniens construits au sortir de la Seconde Guerre mondiale pour faire rayonner la capitale. Le physicien de formation se dit mitigé: s’il souligne l’importance de garantir l’indépendance de la recherche et sa prépondérance sur les aspects managériaux, il l’affirme: «L’argent est là, il devrait simplement être utilisé plus efficacement.» Et d’expliquer qu’il s’agit d’abolir le «système féodal» selon lequel les postes au sein des académies sont garantis à vie, peu importe leur échelon. «Une partie des académiciens se contentent de signer de temps à autre des articles modestes servant à justifier leur statut.» En 2012, l’index global des publications scientifiques mondiales a en effet relevé que seules 2% avaient été produites par la Russie (dont la moitié par des membres des académies – trop peu selon le gouvernement, en regard du nombre de chercheurs qu’elles abritent), contre plus de 27% pour les Etats-Unis. Suite à la réforme, c’est désormais une nouvelle structure indépendante, le Fonds scientifique russe, qui est chargée de répartir sur concours le gros des sommes naguère accordées aux académies.

Par ailleurs, Alexei Khokhlov souhaite que ces savants d’expérience enseignent davantage – ils n’y sont pas tenus – afin d’augmenter le niveau général des étudiants: «Seuls environ 3000 chercheurs en Russie, soit 5% du total, peuvent prétendre jouer dans la cour mondiale.» Les universités russes n’apparaissent ainsi que dans le ventre des classements internationaux, la MSU occupant la 84e place dans celui dit «de Shanghai», et la 114e dans le QS. «Le niveau académique est crucial pour redonner aux jeunes le goût des sciences et technologies, abonde Lev Zelenyi. Bien sûr, ils doivent bénéficier après leurs études d’un salaire décent.» Or là aussi, de premiers efforts sont consentis: «Le salaire mensuel moyen à Moscou est de 65 000 rou­bles (1180 francs), dit Alexei Khokhlov. Pour les professeurs, il valait 140% de ce montant en 2014, et pour 2015 ce sera 145%. C’est parfois plus que dans les académies.»

Pour assurer le salaire de ses 19 000 employés, dont 4000 professeurs, «la MSU bénéficie d’un budget de 1 milliard de francs, dit le recteur, Viktor Sadovnichiy. Une moitié est assurée par l’Etat, l’autre par des fonds privés.» Aujourd’hui, si un scientifique peut faire vivre sa famille à Moscou, il n’échappe en effet souvent pas à devoir traquer en sus des bourses et fonds privés ou industriels. «On peut décupler son salaire», assure le vice-recteur, Alexei Khokhlov.

Tous les acteurs rencontrés le reconnaissent: afin de redynamiser la science russe, il semble sensé de miser d’une part sur les domaines où les chercheurs russes bénéficient d’une bonne réputation et de leur expertise, d’autre part sur les secteurs où existe un potentiel immédiat grâce à un savoir-faire présent. A titre d’exemple de ce second champ, la MSU, misant sur les compétences russes en technologies informatiques, se lance dans la course aux superordinateurs. «Dans le classement des machines les plus puissantes, nous sommes à la 37e position, dit Alexander Tikhonravov, directeur du Research Computing Center à la MSU. Mais, avec un budget d’achat de 25 à 30 millions de dollars pour de futurs éléments, nous ambitionnons d’atteindre le top 10.»

Dans la première catégorie figurent les sciences dites «dures», comme les mathématiques ou la physique, surtout atomique et nucléaire (lire ci-contre). Autre domaine dans lequel la Russie veut conserver une place de choix: l’exploration spatiale. Outre le fait d’être pour l’heure la seule nation à pouvoir accéder à la Station spatiale internationale (ISS), elle a un excellent taux de succès de ses lanceurs (un nouveau cosmodrome doit d’ailleurs être inauguré en 2015 à Vostochny, dans l’est du pays). «Avec quatre satellites lancés, nous sommes les leaders dans la détection des radiations spatiales, qu’il faut mieux connaître avant tout long voyage humain dans l’espace», clame Vladimir Kalegaev, du Space Radiation Monitoring Center de la MSU.

A l’IKI, dans des labos qui ont gardé une austérité toute soviétique, on prépare les sondes qui devraient repartir à la (re) conquête de la Lune dès 2018 pour mieux en préciser l’exploitation commerciale des composants et de l’eau présente à ses pôles (LT du 30.08.2014). Dans une pièce qu’occupent un simple bac à sable noir et un dispositif de tiges assemblées à la manière d’un Mecanno, on nous indique avec fierté que ce dernier permettra à la sonde Luna-27 de creuser ou forer dans le régolite lunaire.

A l’étage, dans un anglais parfait, Igor Mitrofanov souligne que les instruments «uniques au monde» que développe son laboratoire de spectroscopie à neutrons, servant à traquer l’hydrogène dans les sols, sont actifs sur l’actuel robot martien américain Curiosity. Plus loin, on s’active autour des éléments qui constitueront son futur pendant russo-européen, ExoMars.

La planète rouge, d’ailleurs, a été au centre d’une autre expérience mondialement médiatisée, en 2011: Mars500. A l’Institut des problèmes biomédicaux (IBMP), en plein cœur de la capitale, six hommes sont restés enfermés durant 520 jours pour reproduire un voyage vers Mars. Dans les hangars poussiéreux, les containers vides qui ont servi à cet exercice semblent n’attendre qu’un prochain équipage. Comme souvent dans les laboratoires russes, on préfère parler du passé glorieux qu’évoquer l’avenir. Mark Belakovskiy, manager de Mars500, accepte toutefois de révéler que ses équipes planchent sur de futures expériences de simulation longue durée, avec pour la première fois des équipages mixtes, et visant à tester des systèmes utiles pour un périple vers Mars (purificateur d’eau, régénérateur d’oxygène, etc.). Une telle expédition interplanétaire – tous le rappellent – ne peut être qu’internationale, et la Russie ne cache pas qu’elle veut jouer un rôle prépondérant.

Si cette nation est restée solide dans ses sciences dures, il en va autrement en sciences de la vie. «Ce domaine a été anéanti sous l’ère stalinienne, dit Maria Lagarkova dans son petit laboratoire de l’Institut Vavilov, où elle travaille sur des cellules souches. On repart de très loin, le niveau général actuel est extrêmement bas car, à l’exception de quelques pointures, il manque ici une masse critique de biologistes.»

Pour tenter de dynamiser ce secteur des sciences de la vie en particulier , mais aussi la recherche russe en général, le gouvernement a lancé des actions concrètes d’envergure. La première, en 2009, fut l’annonce par le président d’alors Dmitri Medvedev de la création, en partenariat notamment avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT), du campus Skolkovo. Avec l’appui de l’oligarque Viktor Vekselberg, codirigée par l’ancien manager d’Intel Craig Barrett, cette Silicon Valley russe ambitionne d’insuffler un esprit d’entrepreneuriat dans la technologie russe, en créant de nouveaux laboratoires et start-up ainsi qu’en faisant venir scientifiques et entreprises étrangères phares (IBM, Microsoft, Siemens, etc.). Or c inq ans plus tard, plombé par des affaires de corruption , le chantier n’avance pas vite, malgré les 6 milliards de dollars avancés par le Kremlin: seuls deux bâtiments sont sortis de terre. De plus, le projet est critiqué dans les hautes sphères académiques, car il concentrerait trop de ressources au même endroit: «En réponse à Skolkovo, nous projetons notre propre «scientific valley», Vorobievy Gory, centrée sur différents points forts (espace, nanotechnologies, biotechs, génétique)», annonce de son côté le vice-recteur Alexei Khokhlov.

Afin de rapatrier ses cerveaux et d’attirer ceux de l’étranger, la Russie a mis sur pied en 2010 les«mega-grants» (ou méga-bourses). Sur une durée limitée, les candidats peuvent obtenir jusqu’à environ 3 millions de francs pour lancer un nouveau laboratoire en Russie, avec certaines conditions, comme d’y passer au moins quatre mois par an et d’employer au moins deux doctorants.

Evgeny Rogaev, psychiatre à l’Université du Massachusetts, est l’un des quelque 100 chercheurs à en avoir obtenu une. A l’Institut Vavilov, il a installé un laboratoire pour étudier les gènes de la schizophrénie. «Je ne comprends pas qu’aujourd’hui les scientifiques en Russie se plaignent», dit-il. Avant d’admettre que, malgré ces impulsions bienvenues, les conditions restent «délicates»: «Pour acquérir un séquenceur de gènes Illumina de dernière génération à 1 million de dollars, afin d’être à la pointe, j’ai pu compter sur l’appui d’un mécène…» Et, lorsqu’on l’interroge sur les conditions imposées – passer un tiers de l’année à Moscou par exemple –, il élude: «Je crée un labo ici, j’emploie des jeunes chercheurs, je publie mes résultats: que me demander de plus?»

«Ces «mega-grants» ont été un demi-succès jusque-là, commente Alexei Khokhlov. L’idée était de faire rentrer définitivement les scientifiques russes et de conserver les étrangers, mais cela ne s’est pas toujours passé ainsi. Peut-être parce qu’ils ne considéraient pas toujours les perspectives ici comme assez solides, ou que le style de vie est différent.» Le vice-recteur regrette que de telles bourses ne soient pas mises au concours pour les chercheurs locaux.

Toutes ces initiatives de soutien ont un objectif secondaire: renforcer les collaborations internationales entre la Russie et les autres pôles scientifiques mondiaux. Celles-ci ont-elles été impactées par la situation politique et les sanctions infligées en raison du conflit en Ukraine? «Le monde scientifique, indépendant de la situation économique, n’est pas touché», assure le recteur Sadov­nichiy. Or, ce printemps, les relations entre les agences spatiales russe et américaine n’ont-elles pas été orageuses,jusqu’à remettre en question la survie de l’ISS? «La NASA a besoin de nous», rétorque Igor Mitrofanov. Son collègue Oleg Orlov, directeur adjoint de l’IBMP, rappelle que «même durant la Guerre froide, la collaboration spatiale s’est poursuivie avec les Etats-Unis». Début décembre, pourtant, Vladimir Poutine a admis que les restrictions imposées par les pays occidentaux n’étaient «pas très bonnes pour la science et la technologie russes», mais que ces mesures pourraient, en réaction, inciter celles-ci à se développer encore davantage à l’intérieur du pays.

«La Russie est devenue plus stable, il est possible d’y investir plus d’argent dans la recherche qu’il y a 20 ans. Pour preuve, les équipements des laboratoires de neuro­sciences psychologiques que vous venez de visiter, comme cette «chambre 3D» servant à l’étude des comportements, dont il n’existe que quelques exemplaires en Europe», résume Roman Matasov.

Parlant plusieurs langues, ce linguiste de la Faculté des sciences de la MSU fait souvent office de traducteur dans l’univers académique russe. «Il y a du positif, les chercheurs russes rentrent au pays, ou partent moins, plus par pragmatisme que par patriotisme.» Et de citer les écueils liés aux langues et aux mentalités étrangères, ou les nouvelles ressources financières en Russie et l’envie de reconstruire une science nationale. «Le retour des cerveaux n’est pas aussi intense que souhaité. Dans l’éducation secondaire, les cursus pré-universitaires ne sont pas assez bien ciselés pour préparer des chercheurs d’excellence en assez grand nombre.» Selon lui, ce n’est là qu’un des effets collatéraux d’un sempiternel problème: «On tente d’embrasser trop de domaines à la fois, on s’éparpille, et on s’essouffle sur la durée. Il faudrait agir plus systématiquement.» S’ajoute à cela, comme l’ont relevé nombre de chercheurs, une inertie récurrente dans le monde académique ainsi qu’une fastidieuse bureaucratie dans l’encadrement des initiatives de recherche.

Evgeny Rogaev, qui a un pied en Russie et l’autre aux Etats-Unis, ne dit pas le contraire. Demandez-lui s’il est heureux de sa vie professionnelle, s’il ne souhaiterait pas rentrer définitivement au pays, il lance une énième pirouette: «Si vous vous demandez si vous êtes heureux, c’est probablement que vous ne l’êtes déjà plus…»

Refaire briller la physique russe/ La Russie veut concurrencer le LHC du CERN

«Toutes les conditions existent pour ériger en Russie des installations de recherche gigantesques, similaires à l’accélérateur LHC du CERN. La Russie demeure un leader incontestable dans certains domaines scientifiques.» Lors de sa visite en 2011 à Doubna, Vladimir Poutine, alors premier ministre, voyait grand pour le Joint Institute for Nuclear Research (JINR), où se construit le Nuclotron-based Ion Collider Facility, ou NICA. Ce projet, qui fait partie des initiatives de «mégascience» soutenues directement par la présidence russe dans le cadre du vaste programme d’encouragement à la recherche 2013-2020, pourrait replacer Doubna sur l’échiquier de la recherche.

On accède à cette petite ville, située au bord de la Volga à 120 km de la capitale, après des heures dans le chaos routier moscovite. C’est une «naoukograd», l’une de ces anciennes «cités des sciences» construites par le régime soviétique, jadis très fermées, mais où les habitants bénéficiaient de privilèges.

Au JINR, les physiciens ont installé à l’époque les équipements de physique atomique et nucléaire parmi les plus élaborés, qui ont notamment permis la découverte des plus lourds éléments du fameuxtableau périodique de Mendeleïev.

Unique possibilité de survie

Dans les locaux vétustes, des installations témoignent de cette gloire passée. Mais ces infrastructures ont aussi été mises à mal par la crise qui a secoué la Russie dans les années 1990. «Notre seule possibilité de survivre, et de préparer les générations futures de scientifiques, est de développer de grandes installations scientifiques concurrentielles, cela dans le cadre de programmes internationaux», dit Victor Matveev, directeur du JINR, dont 18 pays sont membres et auquel 6 sont associés.

Thème scientifique brûlant

L’objectif de NICA, un accélérateur circulaire de 500 m de circonférence, est d’étudier la phase mixte de quarks et gluons, soit la matière primordiale de particules élémentaires d’où sont nés les nucléons, les composants des noyaux atomiques. «C’est l’un des thèmes scientifiques les plus brûlants», dit sans jeu de mots Vladimir Kekelidze, directeur du laboratoire de physique des hautes énergies. Pour ce faire, comme au LHC, des faisceaux de particules (ions lourds ou protons) vont se télescoper frontalement. «La différence avec l’accélérateur du CERN, c’est que nous ne visons pas de très hautes énergies de collision, mais une grande densité de particules», détaille Grigory Trubnikov, vice-directeur du JINR et responsable de NICA.

Prêt en 2019, si tout va bien

Vont être installés quatre accélérateurs successifs, le premier au cœur même du synchrophasotron, monumentale et mythique structure de pièces en fer aimantées datant de 1957 et pesant 36 000 tonnes. Les collisions, elles, auront lieu dans un immense détecteur similaire à ceux du CERN, ici de 9 m de long et 7 de diamètre, constitué, comme une matriochka, de dix couches différemment sensibles. Tous les éléments de cet instrument futuriste devisé à 500 millions de dollars sont en fabrication, en partenariat avec une autre infrastructure quasi jumelle située en Allemagne, FAIR. Alors que le projet a déjà plusieurs années de retard, il devrait, si tout se passe bien, être achevé en 2019, estime Grigory Trubnikov.

PAR OLIVIER DESSIBOURG DE RETOUR DE MOSCOU ET DOUBNA/ Le TEMPS 29/12/2014

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/c1e41598-8ec8-11e4-894e-3285b5d7eb25/Le_difficile_renouveau_de_la_science_russe

L’appel au secours des Russes endettés en dollars

Par AFP, publié le 28/12/2014 

Moscou – Quand Olga Savéliéva a contracté en 2008 un crédit en dollars pour acheter un appartement en banlieue de Moscou, elle était loin de s’imaginer que le rouble aurait perdu six ans plus tard la moitié de sa valeur. 

L'appel au secours des Russes endettés en dollars

Une femme passe devant un panneau indiquant les taux de change du rouble dans le centre de Moscou, le 16 décembre 2014

afp.com/Kikirll Kudryavtsev

Pour les comptes de cette mère de famille de 30 ans, le résultat de l’effondrement de la monnaie russe est simple: ses traites mensuelles –2.090 dollars– sont passées de 49.000 roubles à 115.000 roubles, plus du double. 

En décembre, elle n’a pas pu rembourser en totalité et sa famille se retrouve malgré tout avec 3.000 roubles, soit moins de 50 euros, pour finir le mois. « Nous ne pourrons pas payer en entier le mois prochain, nous avons d’autres obligations« , soupire-t-elle, évoquant sa mère, retraitée, et son père malade d’un cancer. 

Comme Olga Savéliéva, plusieurs dizaines de milliers de Russes ont contracté ces dernières années des crédits hypothécaires en devises étrangères, profitant de taux d’intérêt plus faibles que pour les emprunts en roubles. Ils se retrouvent aujourd’hui asphyxiés par la crise monétaire actuelle, conséquence d’une année de crise ukrainienne et de chute des cours du pétrole. 

Selon la banque centrale, l’encours de ces crédits représentait au 1er novembre 120 milliards de roubles (près de deux milliards d’euros). L’agence publique des crédits hypothécaires estime qu’ils représentent un peu plus de 3% du montant total des crédits immobiliers dans le pays. 

Plusieurs centaines de leurs détenteurs, résidant des rives de la Baltique à l’Oural, ont tiré la sonnette d’alarme via des groupes créés sur les réseaux sociaux. Plusieurs dizaines de personnes d’entre eux ont manifesté ce mois-ci sous la neige devant la banque centrale, mettant en garde contre « une situation sociale explosive » faute d’aide, dans une rare expression publique de critique contre les autorités. 

Ils reprochent aux autorités monétaires, à l’oeuvre pour soutenir les banques et éviter un effondrement du système financier à cause de la chute du rouble, de ne rien faire pour les emprunteurs. 

Contracter un crédit en roubles n’est pas non plus indolore: les taux d’intérêt dépassaient déjà les 10% avant la crise actuelle, et après la hausse des taux décidée par la banque centrale pour défendre la monnaie, ils promettent d’approcher les 20%. 

« Pourquoi les emprunteurs sont-ils abandonnés à leur malchance’ » ont demandé les protestataires mobilisés dans une lettre à la présidente de la banque centrale, Elvira Nabioullina, dénonçant une forme d' »esclavage financier« .  

– Aide de l’Etat ‘ –  

Contactée par l’AFP, la Banque de Russie a souligné avoir averti à de nombreuses reprises des risques liés aux emprunts en devises. Elle a cependant reconnu qu’une « restructuration de ces prêts, par exemple en les convertissant en roubles à un taux raisonnable, serait dans l’intérêt à la fois des emprunteurs et des banques« . 

Zoïa Kouliéva, qui a emprunté 120.000 dollars pour acheter un appartement à Moscou en 2008, a bien contacté sa banque, qui lui a proposé d’étaler le remboursement jusqu’à ses 70 ans. « Cela veut dire que mes enfants et petits enfants vont devoir rembourser« , dénonce cette comptable, qui confie éviter de suivre l’évolution du rouble en ce moment. 

Pour l’économiste Evguéni Gontmakher, de l’Académie des Sciences, la chute du rouble représente « une catastrophe » pour la classe moyenne russe, dont font partie de nombreux détenteurs de crédits en devises. 

Mais convertir les crédits représenterait un coût potentiellement très lourd pour les banques, déjà en manque de liquidités à cause de la crise monétaire actuelle. 

Confrontée à une situation du même genre cette année, la Hongrie a pris des mesures pour alléger le poids des crédits en devises contractés par près d’un million de foyers, entraînant des charges importantes pour les établissements financiers. 

A Moscou, certains députés voudraient purement et simplement bannir les crédits immobiliers en devises et réclament des aides pour les ménages déjà concernés. 

« Ils ne pourront pas s’en sortir sans aide de l’Etat« , assure Andreï Kroutov, du parti Russie Juste (centre gauche), interrogé par l’AFP.


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3 réponses »

  1. Le président de la très sainte Russie ne risque rien,si l’on situe les choses sur un autre plan(mais de toute façon cela se conjugue)
    Les nains n’auront pas Le président Poutine,ils ne peuvent lutter contre ce qui protége Poutine
    L’empire du chaos va être désagrégé,le fer va se transformer en sable
    Je souhaite longue vie au président Poutine,magnifique joueur d’échec et président »
    inspiré »
    Merci de tout mon cœur aux contributeurs de ce site si bien informé et si magnifiquement baroque et rock n’roll

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