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L’Edito spécial du Jeudi 5 Février 2015: La BCE fait de la politique, elle déclare la guerre! Par Bruno Bertez

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L’Edito spécial du Jeudi 5 Février 2015: La BCE fait de la politique, elle déclare la guerre! Par Bruno Bertez

La Grèce n’est pas un pays, c’est un exemple. Un exemple qu’il faut mater.

La BCE a surpris les observateurs et les marchés mercredi 4 février. Elle a annoncé  qu’elle n’accepterait plus comme collatéral de ses opérations de refinancement  les titres adossés au gouvernement grec.  Cette décision a pour effet d’empêcher les banques grecques d’accéder au financement ordinaire conféré par la BCE. Cette annonce a fait l’effet d’une bombe et elle explique le recul des marchés ce jour, sous la conduite des valeurs bancaires.

Le refus d’accepter comme collatéral les valeurs adossées au gouvernement grec est spectaculaire mais il n’est pas dramatique. Il l’est beaucoup moins que ce qu’ont écrit les commentateurs. En effet, les banques grecques ont encore la possibilité d’accéder à l’ELA (Emergency Lending Assistance). Celle-ci est toujours disponible et elle permet aux établissements grecs d’accéder à un refinancement qui leur permet de faire face à leurs obligations. A notre avis, la principale conséquence au plan technique de la décision de la BCE est une hausse des coûts imposés aux banques grecques puisqu’elles accèdent au refinancement au taux de l’ELA qui est de 1,55% au lieu de bénéficier du taux des REPOS qui lui est à 0,05%.

L’important n’est évidemment pas dans la technique. L’important est dans la déclaration de guerre qui a ainsi été signifiée. Les responsables grecs ont entrepris un tour diplomatique dès le lendemain de l’élection et ils ont essayé soit de conquérir les bonnes grâces de certains dirigeants européens, soit d’obtenir leur neutralité. S’agissant de Draghi, il avait été assuré après la rencontre, que celle-ci avait été fructueuse  et que les conversations avaient été relativement positives. Avec l’annonce de mercredi, on voit qu’il n’en est rien et on peut même dire que Draghi plante un coup de poignard dans le dos du gouvernement grec. La mesure qu’il a annoncée n’était pas obligatoire, rien ne l’obligeait à le faire. Au plan technique, elle n’est pas très importante puisque les banques grecques peuvent toujours accéder à l’ELA. En revanche, l’effet d’annonce a été déplorable. On a assisté pendant quelques instants à une véritable panique sur les marchés. Il est évident que le moment choisi a été réfléchi et qu’il s’insère dans le cadre d’une stratégie. Un tour de piste des responsables  grecs, à l’issue de ce tour de piste, ils émettent des messages plutôt encourageants, sinon positifs. Ils vont jusqu’à suggérer que certains gouvernements européens ne leur sont pas hostiles et qu’ils sont prêts à jouer les médiateurs. Pendant ce temps, l’Allemagne enrage. Elle frappe di poing sur la table et obtient de Draghi que la fausse ambiance positive vole en éclats ; elle obtient une véritable déclaration de guerre. Car c’est ainsi qu’il faut comprendre l’annonce de la BCE et le moment qui a été choisi : il faut briser le climat que la Grèce tente d’instaurer et replacer les choses là où les Allemands veulent qu’elles soient, c’est-à-dire dans le cadre d’un combat fondé sur le seul rapport des forces en présence. C’est un grand coup psychologique qui a été joué. En quelques minutes, tout le travail diplomatique des responsables grecs  a été détruit. Alors que l’on croyait qu’il existait peut-être des possibilités de négociations dans lesquelles chacun sauverait la face, l’Allemagne, par BCE interposée, impose sa volonté et sa volonté, c’est le « niet » pur et simple, rien à négocier.

La BCE pouvait, bien entendu, choisir de patienter trois semaines avant d’annoncer pareille décision. Rien ne l’obligeait, ni à la faire, ni à la décider. La raison officielle qui a été donnée fait sourire : « il n’est actuellement pas possible d’envisager une conclusion positive à la revue du programme en cours ».  Il n’a jamais été possible d’envisager quoi que ce soit sur la Grèce, tout le monde le sait depuis longtemps. Nous disons clairement et nettement : la BCE a agi politiquement. Aucune règle ne l’obligeait à se comporter de la sorte et si elle l’a fait et qu’elle a choisi de le faire et c’est qu’elle a choisi son camp.

Nous reviendrons sur cette analyse politique ben entendu.

Le gouvernement grec est dans une situation délicate à deux niveaux. Et c’est là où l’on voit la malignité des Allemands et de la BCE. En effet,  l’annonce spectaculaire de la BCE ne peut que précipiter la panique des déposants grecs. Les banques sont soumises à un « run », c’est-à-dire à des retraits continus, et la décision de la BCE  a pour objectif d’accélérer encore ces retraits pour les mettre exsangues. C’est la politique du pire, bien évidemment. On disloque, on provoque le chaos, on tord le bras pour mettre le gouvernement grec à genoux et obtenir que quelques jours après son élection, il se déjuge.

La seconde conséquence de la décision de la BCE est de rendre délicate la situation de financement de la Grèce. Selon Bloomberg, le gouvernement sera en cessation de paiements autour du 15 février.  Pour tenir, il lui restera la cagnotte des fonds de la Sécurité SOCIALE. C’est une pratique courante des gouvernements que de puiser dans ces réserves lors des crises.  Cette décision de puiser dans les réserves de la Sécurité Sociale pourrait assurer une liquidité suffisante pour deux ou trois semaine supplémentaires. Au-delà, il n’existe plus de ressources visibles même si l’imagination des gouvernements est, bien souvent dans ces conditions, sans limite. La Grèce a besoin dans une perspective de court terme d’environnement 15 milliards.

Les dirigeants grecs sont maintenant dans le dur. L’avaient-ils prévu ? Sont-ils préparés ? Nous l’ignorons. Il est normal que dans la guerre qui est maintenant déclarée, ils gardent secrète leur stratégie.  Mais en-ont-ils une ? Ne se sont-ils pas faits des illusions ? Comme nous le disons souvent, l’espoir n’est pas une stratégie, peut-être ont-ils fait preuve de naïveté.  Ce que nous observons, c’est que les Allemands ont choisi la position la plus dure. Pendant que les responsables grecs faisaient leur tournée diplomatique,  ils n’ont pas bougé d’un iota. Tout ce qu’ils ont fait, c’est diffuser sous le manteau à titre de fuites un ensemble d’informations et de documents extrêmement sévères et rigoureux. Selon ces documents, l’Allemagne refuse tout. Elle n’accepte rien. Pire, elle veut imposer au gouvernement de Tsipras de perdre la face et de revenir en arrière sur la hausse du salaire minimum, sur le treizième mois des retraités pauvres et sur les effectifs de la Fonction Publique. Sur ces bases, aucune négociation n’est possible. C’est : vous vous mettez à genoux, vous nous apportez les clés de la ville et vous rentrez chez vous vous faire lyncher par le peuple que vous aurez trahi. Cette position allemande est tout à fait cohérente avec ce que l’on sait : Merkel veut faire un exemple, elle veut donner une leçon, elle veut briser les tentatives populaires qui refusent la politique qu’elle impose. Comble de l’humour, ou peut-être du mépris, Merkel, dit-on, accepterait… un changement de nom de la troïka et une modification de sa composition !

Il est évident que nous sommes dans une situation extrême qui dépasse très largement ce que représente la Grèce réellement. La Grèce est un petit pays. Les sommes sont importantes, certes, puisque sa dette totale est de 315 milliards d’euros, mais il faut savoir, et tout le monde le sait que cette dette est portée à 80% par les institutions officielles européennes ou le FMI et par conséquent, elle ne met pas le système en danger. Chacun sait aussi que les aides dont a bénéficié la Grèce sont allées non pas au peuple grec mais à hauteur de 82% au système bancaire international. Il n’y a jamais eu de bail-out de la Grèce, il n’y a eu, par subterfuges interposés, que bail-out du secteur bancaire. Non, la Grèce est importante non pas en tant que pays ou que peuple, elle est importante en tant que symbole. L’Allemagne veut à tout prix que le principe de la politique qu’elle impose soit maintenu. Elle veut que l’agenda des réformes soit respecté. Elle veut qu’il n’y ait pas de mesures de retour en arrière dans les domaines fiscaux, dans les domaines de la Fonction publique, dans la gouvernance, dans les privatisations, dans la protection sociale et, bien sûr, dans la lutte contre la corruption. Bref, l’Allemagne veut qu’à l’occasion de la révolte grecque il soit dit et réaffirmé que la voie de l’austérité et des réformes est la bonne.

Pourquoi une position aussi dure, aussi intransigeante, ou aussi inhumaine ? Pour une raison simple et évidente que l’on se garde bien d’énoncer : la Grèce est un exemple et il ne faut que cet exemple soit mauvais.  Il faut que cet exemple soit sans lendemain en Europe.

 Or, ce qui se profile à l’horizon de quelques mois, ce sont les élections espagnoles. Elections dans quinze régions d’abord, élections générales ensuite en fin d’année. Et l’Espagne, c’est autre chose que la Grèce. L’Espagne, c’est une dette colossale, c’est un système bancaire lourd et fragile. C’est une pièce maitresse du dispositif européen. Personne n’imagine que l’euro et l’Europe puissent résister à un tremblement de terre espagnol. Or, il se trouve qu’en Espagne, en moins d’un an, un parti d’extrême gauche nommé Podemos s’est hissé au tout premier rang de la scène politique.  Dans les derniers sondages publiés par l’institut CIS, Podemos dépasse maintenant le parti socialiste, le PSOE. Et oui, Podemos est devenu le second parti en termes d’intentions de vote avec 23,9% tandis que le PSOE n’est plus qu’à 22,2%. Le parti de Rajoy reste en tête mais sa marge de sécurité ne cesse de se rétrécir, il n’est plus qu’à 27,3%. L’écart entre Podemos et le PP ne cesse de se rétrécir et bien entendu c’est cela qui inquiète Merkel. Les dirigeants de Podemos, au lendemain des élections grecques, ont rappelé leur position. Ils veulent obtenir que la dette publique espagnole de 1,1 trillion soit restructurée.  On comprend qu’une restructuration de 1,1 trillion effraie les élites européennes, la BCE et les grandes banques. On pourrait digérer une restructuration grecque ; on ne peut avaler une restructuration espagnole.  L’enjeu grec, nous le répétons, nous y insistons, c’est l’Espagne. S’il s’agissait d’un gouvernement social-démocrate à la botte de l’Europe et de la BCE, nul doute que le gouvernement grec obtiendrait beaucoup. On sauverait la face, on habillerait, on maquillerait, et on ferait en sorte que ce gouvernement tienne. Syriza est tout sauf social-démocrate. Derrière sa volonté de restructurer la dette, se profile une volonté de changer le système grec et le système européen et cela est inacceptable.  Le jeu stratégique des eurocrates, de Merkel, de la BCE et de la banque en général est de briser Syriza, Tsipras et Varoufakis. De le faire durement et dans des conditions humiliantes. A l’inverse, le jeu stratégique consiste à favoriser l’Espagne, à accepter tous ses dérapages, à tout tolérer à proclamer le retour de la croissance, à claironner la baisse du chômage, afin de dissuader les Espagnols d’accorder leur confiance à Podemos.  Aux petits Grecs, le bâton ; aux Espagnols, la carotte. 

Vous remarquerez en passant que les Italiens ont la chance de se trouver dans la même situation que les Espagnols ; eux aussi, bénéficient de la carotte. Plus de réprimandes, rien que des encouragements et des flatteries. Les nouvelles en provenance d’Italie sont bonnes. Renzi a accompli ses réformes à la faveur du pacte qu’il avait passé avec Berlusconi, et si l’on en croit la presse européenne, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes italien. L’analyse des chiffres, largement bidonnés, montre qu’il n’en est rien, mais tant que cela passe…

Nous avons développé l’idée, à plusieurs reprises, qu’une brèche était ouverte dans le dispositif européen. La question n’est plus du tout de sortir de la crise et de préparer l’avenir, la question est de tenir coûte que coûte, de se préparer à affronter de rudes combats et de se replier derrière les fortifications.  Dans ce contexte, on comprend beaucoup mieux la mise en place du Quantitative Easing de Draghi et son calendrier. L’Allemagne l’a accepté car elle est parfaitement consciente du fait que l’année 2015 est l’année de tous les dangers. Cela craque de partout. Il faut obtenir que les troupes serrent les rangs et pour ce faire, il ne faut pas hésiter à châtier, voire à exécuter les récalcitrants.

Ce qui est frappant,  c’est la faiblesse et la versatilité de Hollande. Un jour, pressé par Mélenchon et son aile gauche, il se dit proche de Syriza et de Tsipras ; le lendemain, certainement après un coup de fil de Merkel, il va à Canossa et déclare que la France restera ferme sur les réformes : « des réformes et encore des réformes » vient-il de dire jeudi. Il est immédiatement récompensé puisque l’on murmure que l’Europe se montrerait plus tolérante dans son appréciation du budget Français.

BRUNO BERTEZ Le Jeudi 5 Février 2015 

illustrations et mise en page by THE WOLF

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