Pour la première fois depuis son départ de la Maison Blanche, Stephen Bannon a accordé un  entretien à CBS . Fidèle à son image sulfureuse, il a multiplié les déclarations décapantes. Morceaux choisis

Le limogeage de James Comey, la plus grande erreur de l’« histoire politique moderne »

Pour Stephen Bannon, Trump a commis la plus grande erreur de « l’histoire politique moderne » en congédiant James Comey, l’ancien directeur du FBI. Si le président s’était abstenu, argue-t-il, le procureur spécial indépendant  Robert Mueller , n’aurait pas été chargé d’enquêter sur l’ingérence russe durant la campagne présidentielle avec un tel pouvoir d’investigation.

Selon le New York Times , cette déclaration est la plus extraordinaire émise par l’ex-conseiller de Donald Trump, véritable  éminence grise du président américain , dont on dit que l’ influence sera encore plus forte hors des murs de la Maison Blanche grâce à son organe de presse ultra-conservateur Breitbart News, dont il a repris les rênes.

Dans son interview à CBS, Stephen Bannon a d’ailleurs clamé qu’il comptait être l’« équipier du président à l’extérieur pour la durée totale » du mandat du président.

Charge contre les républicains

Parmi les républicains, Stephen Bannon a axé ses critiques sur deux d’entre eux, Paul Ryan, président de la Chambre des représentants, et le sénateur du Kentucky, Mitch McConnell. Il les accuse d’avoir essayé « d’annuler les élections de 2016 ». « Ils ne veulent pas du populisme de Donald Trump, de son agenda économique et nationaliste », a-t-il déclaré.

« Les Républicains veulent annuler la victoire de Trump »

« Les cadres du Parti républicain tentent d’annuler le résultat de l’élection de 2016 », accuse-t-il d’emblée, citant les noms de Mitch McConnell (le chef de la majorité au Sénat) et de Paul Ryan (le président de la Chambre des représentants). « C’est la réalité brutale à laquelle nous faisons face aujourd’hui. » Et il menace :

« Ils rejettent la mise en place du projet populiste et protectionniste de Donald Trump, c’est évident. […] Ils devront rendre compte de leur manque de soutien au président des Etats-Unis. Leur impunité est totale aujourd’hui. » 

Stephen Bannon s’attend à une profonde division au sein du Parti républicain sur la question des « dreamers » . Le président américain a donné six mois au Congrès pour régler le sort des 800.000 personnes arrivées de manière clandestine aux Etats-Unis alors qu’elles étaient mineures. De quoi coûter la majorité des Républicains à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat de 2018, estime Stephen Bannon. « En février et en mars, on assistera à une guerre civile à l’intérieur du Parti républicain », prédit-il.

Au journaliste Charlie Rose qui lui demande s’il a réussi à « assainir le marécage », en référence à la métaphore favorite de Donald Trump pour qualifier le milieu politique vicié de Washington, Bannon répond :

« Cela fait cinquante ans que le marécage existe. Qu’est-ce que le marécage ? Un business model. Un business modeltrès efficace », décrit-il avant d’évoquer l’influent milieu des lobbyistes de K-Street à Washington. « C’est cette éternelle classe politique, d’ailleurs représentée dans les deux partis. Ça, vous ne pouvez pas l’assainir en huit mois. Ni même en deux mandats. Cela prendra dix, quinze, vingt ans d’efforts incessants. »

Dès son investiture, l’entourage de Donald Trump a commis une erreur fondamentale, estime Steve Bannon, qui la qualifie même de « péché originel » de son administration : donner une trop grande place à l’establishment républicain. « Nous avons accueilli l’establishement à bras ouverts », déplore-t-il. « Totalement. Donald Trump, Jared [Kushner, son gendre et conseiller, NDLR], la famille, et j’ai moi-même accepté cette idée. Car il fallait former une équipe gouvernementale. »

L’entourage de Donald Trump s’est-il soudain senti dépassé par la tâche à accomplir ? Bannon l’admet à demi-mot : « Je n’avais jamais fait de campagne de ma vie. Je ne suis qu’un ancien banquier d’investissement reconverti dans les médias, je dirigeais mon petit site. Toute l’équipe de campagne, nous étions une bande d’inadaptés. […] Il fallait gouverner. »

L’église a besoin des clandestins

CBS a ensuite demandé à Stephen Bannon si ses positions en matière d’immigration étaient compatibles avec sa foi catholique. L’ex-conseiller de Donald Trump a alors attaqué les dignitaires de l’église. « Les évêques ont été horribles sur cette question », a-t-il lancé, et « vous savez pourquoi ? parce qu’incapables de s’attaquer aux problèmes de l’église, ils ont besoin des étrangers illégaux pour remplir les bancs de leurs paroisses ».

« L’Eglise catholique a été épouvantable. Les évêques ont été épouvantables. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’ils sont incapables de régler eux-mêmes les problèmes de l’Eglise, et qu’ils ont besoin d’immigrés illégaux pour remplir leurs églises. C’est évident. Ils ont un intérêt économique dans l’immigration incontrôlée. » 

« Je respecte le pape, les cardinaux et les évêques sur la doctrine, mais il s’agit là de la souveraineté d’une nation et, sur cette question, ils ne sont que des gens avec une opinion ».

Des propos qualifiés d’« absurdes » et de « plutôt insultants » par l’archevêque de New York, le cardinal Timothy Dolan.

Interrogé sur sa relation avec Donald Trump, Bannon répond :

« Moi, mon truc, c’est le combat de rue. Je suis un combattant, et c’est pour cela, je crois, que Donald Trump et moi on s’entend si bien. Donald Trump est un battant. Il rend magnifiquement les coups. Et je vais être son soutien de l’extérieur en permanence, pour le protéger ».

« Notre but est de le soutenir pour s’assurer que ses ennemis sachent qu’ils n’auront pas une cible facile. Après Charlottesville  j’étais le seul à sortir du bois pour le défendre », assure-t-il. Quand vous vous alliez à quelqu’un, vous restez à ses côtés. […] Si vous êtes faible, il faut démissionner », ajoute-t-il en désignant notamment Gary Cohn, conseiller économique en chef de Donald Trump, qui avait exprimé son « désarroi » après Charlottesville.

Le président américain avait affirmé que les torts se trouvaient des deux côtés, renvoyant dos à dos suprémacistes blancs et contre-manifestants. Mais Bannon se désolidarise également des organisateurs du rassemblement, assurant qu’il n’y a « pas de place dans la politique américaine » pour « les néo-nazis, les néo-confédérés et le [Ku Klux] Klan ».

Pour chaque polémique, « doubler la mise »

Steve Bannon, qui a rejoint la campagne de Donald Trump en août 2016, a été un témoin privilégié du principal moment de doute de son équipe, lorsque une vidéo de 2005 a resurgi à quelques semaines du scrutin, montrant le milliardaire tenir des propos orduriers sur les femmes.

« Trump parcourait la pièce, demandant à chacun d’estimer ses chances de victoire, et de lui donner ses recommandations », raconte Bannon. « Et Reince [Priebus, alors chef du Parti républicain, NDLR] a commencé par lui dire : ‘Tu as deux solutions. Soit tu te retires maintenant, soit tu subis la plus large défaite de toute l’histoire politique américaine.’ « Voilà un très bon début », a répliqué Trump avec son humour habituel. Et je sentais chez tous ces politiciens cette familière inclination à la paralysie face à la vague médiatique. Chez Trump, pas du tout. »

« Et alors que j’étais le dernier à parler, je lui ai dit : ‘100%. Tu as 100% de chances de gagner.' »

« C’est ce que vous avez fait toute la campagne », remarque Charlie Rose. « Quand il était en difficulté, vous lui avez toujours conseillé de doubler la mise – sur sa rhétorique, sur la façon de s’adresser à sa base ».

« De s’adresser au peuple américain et aux classes travailleuses de ce pays, tout à fait », corrige Bannon. « Je lui ai toujours répété ‘Double la mise’, systématiquement. Mais ce jour-là, c’est la première et unique fois où il s’est fâché contre moi. Il disait : ‘Allons, pas 100% quand même !’ Et je répondais : ‘Si, 100%, absolument.’ Je lui disais : ‘Ils s’en fichent’. Pas du respect envers les femmes, mais du langage de vestiaire, oui. »

Une conception « darwinienne » de la politique

Interrogé sur le chaos qui règne entre les différents clans de la Maison-Blanche depuis l’investiture de Donald Trump, Steve Bannon prétend que ce désordre résulte du mode de gouvernement même du 45e président américain : un univers éminemment conflictuel, qui se nourrit des divisions, et où le plus fort doit l’emporter.

« C’est la manière dont Donald Trump a toujours dirigé ses organisations : il recueille toujours différents avis, et je pense que c’est sain. Je pense que pour les idées, un environnement darwinien est quelque chose de positif. Maintenant, il est évident que, depuis le début de cette administration, il y a un fossé entre différents groupes de personnes. Un groupe dit à Trump : ‘Tout ce que vous avez à faire, c’est appliquer ce que vous aviez promis, et de trancher un débat après l’autre’. L’autre groupe dit au contraire : ‘Faisons des compromis, parlons aux démocrates, essayons de travailler tous ensemble’. »

On devine de quel groupe faisait partie Steve Bannon, qui jure n’avoir jamais été disgracié et avoir gardé « la même influence du premier jour jusqu’au dernier »… « Je n’ai pas besoin de la validation des médias mainstream, je me fiche de ce qu’ils disent. Ils peuvent me traiter d’antisémite, de raciste, de nativiste, de ce qu’ils veulent », brave-t-il.

« Tant qu’on mène à bien notre projet pour les travailleurs de ce pays, je suis content. […] Mais je n’étais pas fait pour être un simple équipier ».

Iran

« On dit maintenant que vous pourriez ne pas essayer de défaire l’accord sur le nucléaire iranien », a dit Rose à Bannon à un moment de l’entretien.

« Le révoquer ? », a interrogé Bannon.

« Oui ».

« Je ne parierais pas là-dessus ».

« Mais on en parle ».

« On en parle simplement », a répondu Bannon. « L’establishment veut qu’il certifie l’accord. Le président Trump veut sortir de cette convention et soit en faire une meilleure, soit seulement la voir de l’extérieur ».

https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/030548395803-trump-republicains-eglise-les-nouvelles-sorties-decapantes-de-stephen-bannon-2113353.php#rLqD4bqVLhKJH88F.99