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Formation Financière : Une loi inéluctable: les profits tendent à s’équilibrer

Tous les manuels d’introduction à la science économique vous le diront: dans un régime de libre entreprise, les profits des sociétés, peu importe le secteur, ont tendance à s’aligner sur la moyenne. Voilà sans doute l’une des lois les plus importantes de l’économie. Pourtant, les analystes financiers et les gestionnaires de fonds continuent à ignorer cette réalité.

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 Ainsi, une entreprise qui réussit à faire croître ses profits de 20% par année, dans un secteur où la croissance moyenne est de 10%, ne pourra maintenir ce rythme bien longtemps. Un jour ou l’autre, et plutôt à court terme qu’à long terme, son taux de croissance rejoindra celui des entreprises de son secteur.

La raison derrière un tel phénomène est bien facile à comprendre: une entreprise qui jouit d’une croissance et d’une rentabilité hors de l’ordinaire verra surgir de nouveaux concurrents à la recherche d’une part du gâteau.

À l’inverse, toute entreprise qui connaît une rentabilité et une croissance inférieures à la moyenne verra quelques-uns de ses concurrents s’orienter vers d’autres créneaux plus profitables, lui permettant ainsi d’augmenter ses prix et donc, sa rentabilité, en raison d’une concurrence moins forte.

Dans l’univers des entreprises cotées en bourse, cette loi économique a été confirmée récemment par deux équipes de chercheurs parmi les plus réputées de l’économie financière américaine. Et pourtant, les analystes financiers et les gestionnaires de fonds continuent d’ignorer cette réalité pourtant implacable, à leur détriment et au détriment des petits investisseurs.

Trois lois

Eugene Fama et Kenneth French, les deux principaux tenants de la théorie des marchés financiers efficients aux États-Unis, ont cosigné en 2000 une étude sur la prévisibilité des profits des entreprises, publiée dans le prestigieux Journal of Business.

Utilisant un large échantillon de plus de 2300 entreprises cotées en bourse entre 1964 et 1996, ils ont démontré qu’il est très difficile, pour une entreprise, de conserver pendant longtemps une rentabilité (par exemple, le rendement sur l’avoir des actionnaires) supérieure à la moyenne et un taux de croissance des profits qui dépasse, bon an mal an, celui de ses concurrents.

Ils ont calculé que le taux de retour à la moyenne était d’environ 38% par année. Si, disons, une entreprise réalise un rendement de l’avoir de ses actionnaires supérieur de 100% à celui de ses concurrents, elle devrait, l’année suivante, obtenir un rendement supérieur de 62% seulement à celui enregistré en moyenne par les concurrents. Et l’année suivante, le jeu de la concurrence devrait réduire à nouveau son taux de croissance de 38 %, si celui des concurrents est toujours inférieur. À un tel rythme, on comprend qu’il faut être plus que prudent quand on extrapole la croissance des profits d’une entreprise pour les cinq prochaines années à partir de son historique des cinq dernières années.

Deux autres lois secondaires découlent de la loi du retour à la moyenne confirmée par les chercheurs. La première est que plus une entreprise a une profitabilité qui s’écarte de la moyenne de son secteur, plus rapidement ses profits futurs s’aligneront sur la moyenne. 

La seconde est que les entreprises qui ont une profitabilité inférieure à la moyenne tendent plus rapidement à se ranger du côté de la moyenne que celles qui ont une profitabilité supérieure au groupe. Ces deux lois secondaires sont d’autant plus importantes qu’elles ont été confirmées antérieurement dans l’univers des entreprises privées non cotées en bourse. 

Fama et French en concluent, et avec raison, que les analystes financiers devraient davantage tenir compte de ces tendances lourdes dans leurs prévisions de profits des entreprises, aussi bien à court terme (un an) qu’à plus long terme (cinq ans). Ce que, manifestement, ils ne font pas.

L’erreur des analystes

Chan, Karcesky et Lakonishok, dans un article paru dans le numéro d’avril 2003 de The Journal of Finance, observent eux aussi que les entreprises qui réussissent à maintenir de façon constante un taux de croissance supérieur à la moyenne sont tellement rares qu’il est impossible de les dénicher.

Parmi les entreprises américaines cotées en bourse qui ont un taux de croissance supérieur à la moyenne, à peine 3% réussissent à maintenir ce rythme cinq années de suite.

À l’instar de Fama et French, ils ont constaté que la croissance passée des profits est une donnée bien imparfaite, voire inutile, pour prévoir les profits futurs.

À la fin de 1999, font remarquer les trois chercheurs, plusieurs entreprises américaines, notamment dans les secteurs de la haute technologie, commandaient des ratios cours-bénéfices supérieurs à 100. Un tel multiple est justifiable à la condition que l’entreprise obtienne un taux de croissance de ses profits de 29% par année durant 10ans.

Or, à peine 5% des entreprises qui formaient leurs échantillons, scrutés entre 1951 et 1997, ont réussi un tel exploit. Et parmi les grandes entreprises, seulement 1% réussit ce tour de force pendant plus d’une décennie.

On a tendance à croire que les entreprises de haute technologie et celles du secteur pharmaceutique méritent des ratios cours-bénéfices plus élevés, en raison de leur croissance plus importante et plus constante. Chan et ses collègues montrent qu’il n’en est rien. On ne trouve pas plus d’entreprises à croissance constante dans ces industries que dans les autres. Un autre mythe de déboulonné.

Une des croyances les plus fortement ancrées dans l’esprit des investisseurs professionnels est que les multiples cours-bénéfices sont une indication de la croissance future des bénéfices d’une entreprise. Pourtant, pour la période qui va de 1951 à 1997, la corrélation entre ces deux variables est plutôt faible. L’investisseur qui croit que les multiples cours-bénéfices peuvent l’aider à reconnaître les Microsoft de demain court à sa perte.

Les entreprises dites «de croissance» peuvent être assez constantes quant au taux de croissance de leurs ventes. Malheureusement, la constance des revenus ne se matérialise pas dans le taux de croissance de leurs bénéfices, et les profits sont toujours plus irréguliers que les ventes.

Quand on compare le taux de croissance de 20 % des sociétés américaines à qui l’on prédit la plus forte croissance bénéficiaire sur cinq ans avec le même taux de 20 % de celles qui devraient connaître la plus faible croissance, on constate que les analystes accordent une croissance annuelle de 16,4 % supérieure au premier groupe. Pourtant, quand on cherche à savoir si les prévisions des analystes sont justes, la différence réelle entre les deux catégories d’entreprise, n’est que de 7,5 %. En somme, les analystes sont systématiquement trop optimistes quant aux entreprises de croissance.

De Buffett à O’Shaughnessy

Les investisseurs qui font la chasse aux sociétés dont les profits sont en hausse constante sont légion, et le plus connu d’entre eux est sans nul doute Warren Buffett.

En fait, Buffett est l’un des trop rares investisseurs qui savent reconnaître les entreprises qui réussiront à maintenir un aussi bon taux de croissance des bénéfices que celui qu’ils ont atteint par le passé.

Le grand patron de Berkshire Hathaway a surtout le don de découvrir les sociétés qui jouissent d’un monopole de consommation ou de ce qu’il appelle une « franchise ». Ce critère semble une condition sine qua non pour réussir avec une approche qui mesure la croissance bénéficiaire future à partir de la croissance passée.

William O’Neil, auteur du best-seller How to Make Money in Stocks, ne jure que par les sociétés qui ont connu une croissance régulière des bénéfices par action, année après année, au cours des cinq dernières années. À la limite, il acceptera une année sans croissance, mais seulement si l’année suivante est marquée par une bonne reprise de la croissance des bénéfices par rapport aux profits réalisés deux ans auparavant.

Peter Lynch, un autre gourou financier, aime quant à lui les valeurs dont la croissance des bénéfices est modérément rapide (20% à 25%), ce qui est toutefois le propre de secteurs sans croissance, ennuyeux et démodés.

« Je suis prudent face à celles qui progressent de plus de 25% par année », dit-il. Selon lui, il faut éviter comme la peste les entreprises qui affichent une croissance de 50 % par année. Bien avant les travaux de recherche des Fama, French et autres, Peter Lynch savait que l’on compte sur les doigts de la main celles qui peuvent maintenir un tel rythme pendant 10 ans.

Dans son ouvrage What Works on Wall Street, James O’Shaughnessy montre que la stratégie consistant à sélectionner des entreprises à partir de la croissance de leurs bénéfices des cinq dernières années est plutôt décevante.

Pour les 40 années qui s’étalent de 1954 à 1994, l’investisseur qui, chaque année, a investi son argent dans les 50 sociétés américaines ayant réalisé la plus forte croissance de leurs bénéfices sur les cinq dernières années, tout en faisant une rotation de son portefeuille une fois l’an, s’est contenté d’un rendement annuel moyen de 9,32 %. Par comparaison, le marché américain, pour la même période, a fourni un rendement annuel moyen de 12,45 %.

Parmi des dizaines de combinaisons de critères qu’il a testées sur près d’un demi-siècle d’historique boursier, il a découvert qu’un mariage « comptable » particulièrement lucratif doit combiner la croissance des bénéfices et le momentum des cours boursiers.

La stratégie qui consiste d’abord à repérer les entreprises qui ont réalisé des bénéfices accrus au cours des cinq dernières années, et à tirer de ce groupe un portefeuille des 50 titres ayant connu la plus forte appréciation de leurs cours boursiers lors des 12 derniers mois, a procuré un rendement annuel moyen de 16,86 %. C’est nettement mieux que le rendement de 12,45 % du marché américain sur les 40 ans étudiés par O’Shaughnessy.

La tendance des profits à s’équilibrer est une loi fondamentale de l’économie que les analystes financiers et les gestionnaires de portefeuilles devront intégrer dans leurs boîtes à outils.

Investir dans les entreprises en croissance constante n’est pas une mission vouée à l’échec, à condition de savoir reconnaître celles qui ont des niches bien à l’abri de la concurrence, ou encore d’adopter une approche ciblée sur la persistance des gagnants – ces titres qui ont explosé à la bourse lors des 12 derniers moins.

Références :

Fama, E.F., et K.R. French, «Forecasting profitability and earnings», Journal of Business, vol. 73, no 2, 2000, p. 161-175.

Chan, L.K., Karceski, J. et J. Lakonishok, «The level and persistence of growth rates», The Journal of Finance, avril 2003, p. 643-684.

Chronique d’André Gosselin parue dans F and I

EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Formation Financière : Valoriser une entreprise par les flux de cash-flow (cliquez sur le lien)

Deux exemples de méthodes de calcul pour savoir si le marché boursier est dispendieux ou pas (cliquez sur le lien)

6 réponses »

  1. superbe article qui met bien en évidence l’importance de détecter une franchise ou une forte barrière contre la concurence si on décide de tenir compte de la croissance future (ou même de la capacité bénéficiaire présente) dans l’évaluation d’une entreprise.

    Il aurait peut-être fallu préciser qu’une direction de grande qualité n’est pas suffisante pour maintenir cette barrière sur le long terme mais surtout que les investisseurs capables de repérer ces barrières et de les payer à un bon prix (c’est-à-dire bon marché) sont très rares.

    • l’humilité me parait etre en effet une qualité trop peu partagée sur les marchés…Comme au tennis ce qui peut paraitre très simple à l’observation peut s’avérer très complexe à l’arrivée….la magie du talent sans aucun doute…

  2. Bonjour,

    « Tous les manuels d’introduction à la science économique vous le diront » Il faut se méfier avec ce genre de principe car la finance enseignée actuellement et pratiquée par la majorité est fondée sur des bases erronées et tout ce qui est découle est donc forcement erroné… Je ne comprends pas comment un individu sensé peut croire que les marchés sont efficients c’est donc encore plus difficile à entendre venant de gens très intelligents comme l’est probablement Fama. Il a eu la chance de bosser avec Mandelbrot sur de bons modèles de marchés qui n’étaient pas parfaits certes mais meilleurs que ce qu’on fait les autres 40 ans après.
    Le soucis est que Mandelbrot bossait contre toute la horde de « scientifiques » qui faisaient consensus et ses idées ne sont jamais passées, même si on y revient. Fama a préféré la facilité et rejoindre cette majorité avec Miller, Sharpe… qui eux sont reconnus alors qu’ils n’ont pondus que des travaux paraissant bons mais étant en réalité seulement théoriques donc non applicables sur les marchés…

    Oui, les analystes font des erreurs et ce n’est même plus la peine de faire une étude pour le prouver, cela fait longtemps que l’on sait qu’ils sont moins bons dans leurs prévisions qu’un individu lambda à cause de leur mimétisme. Mais de toute façon ces gens là perdent leur temps car estimer les bénéfices c’est bien mais ce ne sont pas les bénéfices et les ratios cours/ bénéfices qui font les cours ! Et ce sont bien les cours qui font les PV, pas les profits de l’entreprise, les dividendes sont quasiment insignifiants surtout si on prend en compte leur impact sur les cours au moment du détachement.
    Tant qu’ils n’intégreront pas la part psychologique du marché avec tout ce que ça implique, ils n’auront rien compris aux marchés. Le seul à ma connaissance parmi les économistes purs qui ait compris quelque chose aux marchés financiers c’est Keynes et sa réussite sur les marchés est un des nombreux exemples montrant qu’ils ne sont pas efficients… pour ceux qui n’ont pas peur d’aller contre la pensée de la majorité tout en sachant prendre gare à sa force.
    Mais je ne me plains en rien de cette situation, c’est justement grâce aux erreurs des analystes, investisseurs et aux erreurs des modèles que les marchés sont intéressants. Tant qu’ils se planteront autant, les marchés ne sont pas prêts d’être efficients donc pourvu que ça dure !!! lol

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