Behaviorisme et Finance Comportementale

Finance Comportementale : C’est pas ma faute!

La science a le don d’ébranler notre amour-propre d’homme moderne. Les astronomes sont venus nous dire que la Terre n’était qu’une toute petite planète parmi des milliards d’étoiles, dans un univers qui n’a pas de centre. Les biologistes ont ajouté que l’homme n’a pas été créé par Dieu, mais qu’il est le simple produit d’une évolution qui a touché des millions d’autres espèces. Plus récemment, les généticiens nous apprenaient que l’ADN de l’homme ne diffère que de 1,6 % de celui du chimpanzé, alors que l’ADN de ce dernier diffère un peu plus de 2,3 % de celui du gorille. Autrement dit, le plus proche parent du chimpanzé n’est pas le gorille, mais l’homme. Aïe!

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 Chaque fois que je lis un ouvrage de science cognitive ou de psychologie évolutionniste, j’en sors avec l’impression que l’Homo sapiens n’a pas été conçu pour investir. Je me dis alors que l’investisseur individuel n’est pas vraiment responsable de ses déboires. Notre cerveau n’a pas été programmé par la sélection naturelle pour être patient. Pire encore, il n’a pas été configuré pour agir à contre-courant du groupe, et l’évolution ne l’a pas doté de cette capacité à prévoir les tendances à long terme. Pourtant, voilà bel et bien trois ingrédients nécessaires à tout succès dans cette niche que j’appelle le placement. 

Prenons le premier de ces trois ingrédients: la patience. L’investisseur qui connaît du succès est patient et ne recherche pas la gratification immédiate. Pourquoi est-il si rare? Pourquoi constitue-t-il une anomalie au sein de son espèce? Tout simplement parce que la sélection naturelle qui, durant des dizaines de milliers d’années, a fait émerger l’Homo sapiens actuel a produit exactement le contraire. L’homme primitif ne pouvait pas se payer le luxe d’être patient quand il partait à la chasse. Au bout de deux ou trois jours à traquer la bête, le gibier devait être dans sa gamelle. Même dans ses rapports sexuels, le mâle n’avait pas la patience de courtiser sa partenaire durant plusieurs jours. 

Regardons le deuxième ingrédient: l’esprit de contradiction. Le succès en investissement repose généralement sur un esprit non conformiste. L’investisseur habile et tenace évite les marchés quand la masse spécule avec euphorie, et il achète des actions à tour de bras lorsque la panique et la déprime de ses semblables atteint des sommets. Si l’Homo sapiens avait agi ainsi, notre espèce serait disparue comme des dizaines d’autres espèces d’hominidés. Il lui a fallu une très forte cohésion de groupe pour passer à travers toutes les épreuves que la nature a dressées devant lui. Notre cerveau n’est tellement pas habitué à agir à contre-courant du groupe qu’il nous faut un effort surhumain pour y arriver. 

L’évolution de notre espèce nous a très peu outillés pour les problèmes complexes auxquels nous faisons face en temps qu’investisseurs. Jamais nous n’avons eu besoin, pour survivre, de reconnaître des tendances à long terme (notre troisième ingrédient) pour prendre la bonne décision, ou même de concentrer notre attention sur plusieurs facteurs à la fois pour remplir une tâche. Pourtant, c’est bien ce qu’on exige aujourd’hui d’un bon investisseur. Pendant des dizaines de milliers d’années, le cerveau humain s’est développé dans un environnement où la survie de l’homme consistait à chasser de petits animaux, à cueillir des fruits sauvages, à vivre en petite bande, à trouver un abri, à s’accoupler et à éviter les prédateurs. Comme le disent les chercheurs en neurosciences, le cerveau humain est une magnifique machine quand vient le temps de résoudre les problèmes de survie que connaissaient nos ancêtres: réagir très rapidement, par la peur ou la panique, devant le danger; établir des corrélations simples entre la grandeur et la profondeur des traces laissées par un animal et la taille probable de cet animal, etc. Mais pour ce qui est de faire des corrélations plus complexes ou de réagir avec sans froid face au danger, on repassera. 

Si j’évoque la peur, ce n’est pas pour rien. Les régions de notre cerveau qui activent les émotions reliées à la peur sont si puissantes qu’il vaut parfois mieux, dans le domaine de l’investissement, réduire notre exposition aux sources d’information qui font naître ces émotions. Vous apprenez que Mortel Corp. vient de dévoiler des résultats financiers bien inférieurs aux attentes des analystes ou que ses dirigeants ont maquillé les résultats de la dernière année! Votre geste le plus sensé serait d’éviter les nouvelles du jour à la télé ou à la radio, de prendre du recul et d’évaluer à froid la situation après le passage de la tempête médiatique. C’est pourquoi, bien souvent, la meilleure attitude que l’investisseur puisse avoir à l’égard du marché consiste à neutraliser les réflexes naturels de son cerveau. 

Vous pouvez trouver dans la psychologie évolutionniste tous les arguments qu’il vous faut pour vous consoler de tous vos déboires d’investisseur, vous soulager de vos remords et vous donner ainsi bonne conscience. Ça ne veux pas dire que vous devez vous soustraire à vos responsabilités d’investisseur et d’apporteur de capitaux.
Chronique déja parue aux éditions transcontinental 

André Gosselin, chercheur canadien  et analyste financier

1 réponse »

  1. Super article !
    J’ai toujours dit que l’homme était programmé pour perdre sur les marchés c’est pour ça qu’il est si difficile de performer à long terme. Pour pouvoir progresser il faut intégrer le fait que tout ce qui nous parait simple, naturel et évident nous conduira à perdre sur les marchés car ce sera également simple, naturel et évident pour les autres intervenants.
    Prévoir l’évolution des cours est difficile mais prévoir les réactions humaines est relativement simple. C’est ce que n’ont pas compris ceux qui critiquent l’analyse technique (dans ses formes avancées), dommage pour eux et tant mieux pour les autres !

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