L’annonce par Nicolas Sarkozy d’une pause des réformes au second semestre de 2011 officialise sa volonté de se représenter en même temps qu’elle acte l’échec du programme de modernisation lancé en 2007 et de la stratégie de sortie de crise. Sous la logique apparente d’un arrêt des initiatives à l’approche de l’élection présidentielle pointe un tournant majeur : comme Léon Blum en 1937 ou Jacques Delors en 1981, Nicolas Sarkozy rend les armes et rompt avec la rupture. Le premier acte du quinquennat fut placé sous le signe de réformes qui entendaient utiliser la forte croissance impulsée par la mondialisation pour contourner les blocages français. Cette stratégie fut télescopée par la crise qui démarra à l’été de 2007.
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Aux drôles de réformes conduites sur fond de drôle de crise succédèrent une gestion réussie du choc déflationniste mondial, puis l’incapacité à définir un cap pour lui trouver une issue. De la médiation géorgienne à la création du G20 en passant par la réunion d’un gouvernement économique de l’Europe pour secourir les banques, Nicolas Sarkozy exprima le meilleur de ses qualités, ce qui lui valut de s’installer dans la fonction présidentielle et de conquérir une stature internationale.
Sur le plan intérieur, l’intervention efficace de l’Etat autour d’un plan de relance centré sur l’investissement, de mesures d’aides à l’automobile et à la construction, du soutien aux PME et du recours au chômage partiel permit de limiter la récession à 2,2 % du PIB, contre 4 % dans la zone euro, et de contenir les destructions d’emplois.
En revanche, elle déboucha sur un brouillage de la politique économique – du grand emprunt à la taxe carbone en passant par le retour du dirigisme -, qui se traduit par l’avortement de la reprise, avec une activité bridée à 1 %, un taux de chômage supérieur à 10 %, une perte de contrôle des finances publiques qui fait de la France le premier emprunteur d’Europe, en 2010, avec 454 milliards d’euros, devant l’Italie (393 milliards), l’Allemagne (386 milliards) et le Royaume-Uni (279 milliards).
La France de Nicolas Sarkozy renoue avec le syndrome chiraquien, qui associe l’exigence de réformes au plan international et l’immobilisme intérieur.
Elle s’affirme aussi révolutionnaire à Davos pour moraliser le capitalisme, imposer aux marchés la loi des Etats et réguler les banques que pusillanime à Paris face au corporatisme des fonctionnaires ou des restaurateurs. Elle se révèle aussi avide de changements à Bruxelles que prompte à céder aux conservatismes nationaux.
Aussi bien la pause augure-t-elle mal des réformes en cours, au premier rang desquelles la rationalisation de la décentralisation et plus encore la remise en ordre des retraites. Vitale tant pour les finances de la nation (les engagements atteignent 550 % du PIB, contre 442 % pour le Royaume-Uni, 418 % pour l’Allemagne et 364 % pour l’Italie) que pour la justice sociale (les fonctionnaires bénéficient d’un revenu de remplacement supérieur de plus de 10 points à celui des salariés du privé et d’une meilleure espérance de vie), la restructuration inéluctable des retraites risque de se réduire, comme en 1993 et en 2003, à des demi-mesures.
En l’absence de réformes, la France se prépare à devenir une future Grèce.
La prochaine décennie se présente comme la chronique d’une faillite annoncée sous l’effet de quatre facteurs.
Une croissance de moyen terme amputée de 2,8 % par la crise et bridée par 56 % de dépenses publiques.
Un déficit structurel de 6,2 % cumulé avec des prélèvements de 45 % du PIB et une dette par habitant très supérieure à celle de la Grèce (38 100 dollars contre 35 400).
Une compétitivité minée par l’inefficacité du travail et du capital, ce qui se traduit par le recul des exportations de 16 à 12 % en Europe depuis 2000.
Un chômage permanent créant une nouvelle classe de pauvres et d’exclus. Le décrochage français est gros d’une perte d’indépendance, notamment face à l’Allemagne, qui ne traitera pas mieux demain la France qu’aujourd’hui la Grèce. Les réformes ne relèvent pas d’une pause, mais d’une urgence renforcée. La rigueur n’est pas un repoussoir, c’est une question de salut public.
Ce ne sont pas les réformes qui doivent faire l’objet d’une pause, mais le style de l’hyperprésidence et le mode de gouvernement. Il existe certes une part d’injustice dans le rejet du président, car le bilan du quinquennat de Nicolas Sarkozy reste bien meilleur que celui de ses prédécesseurs dans un environnement nettement plus difficile.
Trois erreurs fondent cependant la sanction.
La confusion dans les priorités, qui doivent aller à l’investissement, à l’emploi et à la maîtrise des finances publiques au lieu de se trouver brouillées par les gages donnés à la décroissance ou par le désastreux débat sur l’identité nationale.
Le choix d’un changement autoritaire et par le haut, qui a coupé le président des citoyens et les citoyens des réformes.
L’ambiguïté entretenue autour de l’Etat, dont la réforme est restée dans les limbes avant de se trouver reportée du fait de l’alliance nouée avec la CGT pour cogérer la crise sociale. Nicolas Sarkozy se condamne lui-même en renonçant aux réformes, car il n’a été élu par les Français, réservés sur sa personnalité, que pour réformer. Avec la pause, il risque fort de n’y avoir ni réformes ni réélection.
Le pays se dirige en 2012 vers un nouveau 1981, avec une menace de vote sanction contre le président et contre la crise, ouvrant un vaste espace à l’alliance d’un socialisme étatiste et de la décroissance écologique. La pause, après la fausse rupture de 2007, pourrait alors faire le lit d’une vraie cassure.
EN COMPLEMENT INDISPENSABLE : Nicolas Baverez : La nouvelle question sociale (cliquez sur le lien)
EN COMPLEMENT : La perestroïka de Nicolas Sarkozy
A l’instar de l’URSS entre 1985 et 1991, la France vit une période de perestroïka débutée en 2007. Nicolas Sarkozy a reconnu le besoin de réformer le système, mais il a en même temps tenté de le préserver.
«Le hic est que le système n’est pas réformable en soi. Il doit être remplacé», écrit le chroniqueur Nicolas Lecaussin dans le Wall Street Journal.
La perestroïka, terme russe signifiant reconstruction, a été utilisée pour décrire les réformes de Mikhaïl Gorbatchev. Tout en assurant davantage de transparence au sein du régime, ainsi qu’une économie plus ouverte, les réformes ont perpétué l’esprit de maintien de l’ordre soviétique.
Or, écrit le chroniqueur, le communisme ne pouvait pas être réformé, il devait être détruit.
Comparativement, les changements de Nicolas Sarkozy, par exemple sur le service minimum en cas de grève, n’ont pas été accompagnés de grands changements, alors que le Sénat et l’Assemblée nationale étaient sous sa coupe. «Seuls des changements politiques majeurs peuvent permettre à Sarkozy d’éviter une défaite en 2012», conclut le chroniqueur.
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