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La Théorie du Chaos appliquée aux Marchés Financiers

Quand règne le chaos apparent la main d’Adam VEILLE…

Prévisions météo, billard, orbites planétaires: nombreux sont les systèmes dans lesquels d’infimes causes peuvent avoir de gigantesques conséquences. Selon le mathématicien Benoît Mandelbrot, les marchés financiers ne font pas exception.

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Théorie du chaos: le terme semble être une contradiction en soi. «Pour essayer de comprendre une chose, nous cherchons une structure», dit un jour le scientifique américain Linus Pauling (1901-1994), double lauréat du prix Nobel (chimie et paix). «Toute la science repose sur cette recherche.» Mais que peut-on chercher pour décrire scientifiquement le chaos qui, par définition, se caractérise par l’absence d’ordre ?

C’est probablement cette contradiction apparente qui a aidé à faire connaître la théorie du chaos dans les années 1980: «Regardez, même chez les mathématiciens tout n’est pas exact, eux aussi connaissent le désordre.» Cette association erronée a poussé la plupart des scientifiques à éviter ce terme aujourd’hui, lui préférant la théorie des systèmes dynamiques.

 Pourtant, la «théorie du chaos» porte bien son nom: elle décrit justement le fait qu’on puisse trouver des règles et des structures sous-jacentes parfois très simples dans de nombreux systèmes où règne à première vue un grand désordre.

 La théorie du chaos prend le contre-pied de l’ancienne conviction selon laquelle les formules simples suivent toujours des motifs simples et les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. C’est là le cour de la théorie: deux situations de départ légèrement différentes, quelle que soit leur similitude, peuvent évoluer de façon complètement opposée dans un système chaotique.

La théorie du chaos est attribuée au météorologue américain Edward Lorenz (1917-2008). Pionnier des prévisions météorologiques assistées par ordinateur, dès 1961, il entrait dans sa machine des équations pour les températures, les vents et les courants chauds et simulait le temps à venir. Un jour, voulant vérifier l’exactitude des calculs de sa machine, il réitéra la dernière simulation. Pour gagner du temps, il n’entra pas les données initiales, mais les résultats intermédiaires qu’il avait imprimés. Normalement, il ne devait donc pas y avoir de différence. Mais quand Edward Lorenz vit le résultat, il n’en crut pas ses yeux: la météo ne suivait une évolution similaire que sur une brève période, puis elle s’éloignait des prévisions initiales, pour aboutir à un résultat radicalement divergent.

Cause minimum, effet maximum

Que s’était-il passé ?

Le problème venait des résultats intermédiaires. Lorenz n’avait imprimé que les trois premiers chiffres après la virgule, dont le nombre 0,506. Il entra celui-ci pour effectuer la seconde évaluation. L’ordinateur effectua en interne des calculs sur six décimales, dans ce cas avec la valeur 0,506127. La différence représente moins de 0,3 pour mille, mais elle génère au bout de quelques jours seulement de tout autres prévisions. Cause minimum, effet maximum.

 Dans le titre d’une conférence, Lorenz résuma ses découvertes par la question suivante: «Le battement d’aile d’un papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas ?» Le célèbre effet papillon était né.

La théorie du chaos connaît plusieurs mythes, dont celui qui veut que l’effet papillon interdise toute prévision. En réalité, les prévisions sont tout à fait possibles sur une certaine période. Chaque jour, des milliards de papillons battent des ailes sans pour autant soulever d’ouragan ni même de courant d’air. La théorie du chaos dit uniquement que lorsque tous les autres facteurs coïncident, quand le système est prêt à basculer, une force de l’ordre d’un battement d’aile de papillon peut faire toute la différence. Un souffle, associé à des myriades d’autres facteurs, peut se transformer en tempête au fil des jours et des semaines.

Le niet catégorique du troisième officier

Le fait qu’une vétille puisse bouleverser le cours des choses n’est pas une découverte propre à la théorie du chaos. «J’ai l’habitude de dire qu’une mouche pourrait changer tout l’Etat quand elle tournoie en sifflant sous le nez d’un grand roi qui est justement impliqué dans des délibérations importantes», écrivit le philosophe Leibniz (1646-1716). Quant au chansonnier alémanique Mani Matter, il raconte l’histoire d’allumettes qui déclenchent une guerre mondiale. De telles situations existent bel et bien: le 24 octobre 1962, au plus fort de la crise de Cuba, un navire de guerre américain s’approche d’un sous-marin atomique soviétique. Parmi les officiers russes à bord, deux sont d’avis de couler le navire. Mais cette décision doit être validée par un troisième officier, Vasili Arkhipov. Celui-ci dira «niet», sauvant probablement la paix dans le monde. On ne saura jamais ce qui l’a poussé à prendre cette décision courageuse.

La théorie du chaos a ceci de nouveau qu’elle peut donner des indications quantitatives sur les systèmes instables.

 En effet, le caractère fortuit des événements chaotiques n’est qu’apparent et les mathématiciens parlent de chaos déterministe, ce qui paraît une fois encore contradictoire. «Déterministe» signifie que tout est régi par les lois de la nature ; donc, en théorie, tout peut être calculé. Si l’on entre deux fois les mêmes données dans un modèle de prévision météo, on obtient deux fois le même résultat. Le problème est qu’il faut mesurer et saisir les valeurs de base pour effectuer une prévision. Et à chaque mesure, des erreurs sont commises, qui, dans un système chaotique, prennent une ampleur exponentielle. Pour améliorer un peu les prévisions, il faut des valeurs initiales beaucoup plus précises. Or il ne sera jamais possible d’établir des prévisions météo à quatre semaines, même si l’on disposait d’un nombre infini de stations de mesure. Des prévisions si lointaines nécessiteraient en effet des valeurs initiales d’une précision qu’interdit la mécanique quantique. Le principe d’Heisenberg, appelé aussi principe d’incertitude, stipule en effet qu’il est impossible d’obtenir des mesures de la précision souhaitée.

Une probabilité de 28% pour «Lothar»

Dans la pratique, on fait maintenant tourner les modèles de prévision météo un grand nombre de fois avec des conditions de départ légèrement différentes. Plus on attend, plus les prévisions divergent. La prévision devient une probabilité: combien de simulations donnent de la pluie, combien un temps ensoleillé ? Sur 24 heures, les prévisions sont encore assez proches, elles se révèlent exactes dans 90% des cas. Avec chaque jour supplémentaire, la probabilité diminue. En 1999, deux jours avant son déclenchement, la tempête Lothar n’était visible que dans 28% des simulations. Un seuil suffisant pour donner l’alerte.

Dès que l’effet papillon fut décrit, on le vit partout. Dans les robinets qui gouttent, les prix sur le marché noir, la population des lièvres des neiges. Tous obéissent à des lois chaotiques. Le billard aussi. L’arrivée d’un spectateur près de la table, qui exerce une très faible force gravitationnelle sur les boules, suffit après neuf coups, toutes conditions égales par ailleurs, à donner une répartition différente des boules. Pour les mêmes raisons, il est totalement impossible de prédire le tirage du loto à partir de l’ordre initial des billes.

Hasard ou nécessité?

Une réponse élégante à la question très ancienne du hasard ou de la nécessité: même si le monde était régi selon des principes déterministes, il resterait pour nous imprévisible. Cette notion a quelque chose de libérateur, mais aussi d’inquiétant, car même une notion simple et d’apparence stable comme notre système solaire devient imprévisible. Certes, dans ce cas précis, les prévisions ne portent pas sur quelques jours, comme pour la météo, mais le principe reste le même. Les astronomes ne peuvent garantir la stabilité du système solaire que pour les quarante millions d’années à venir. Les planètes ne se contentent pas de suivre une trajectoire elliptique autour du soleil, elles s’attirent mutuellement. Ces perturbations sont minimes, mais étant donné qu’un ensemble gravitationnel est considéré chaotique dès lors qu’il comporte trois corps, il ne peut pas être exclu que Mercure et la Terre entrent en collision ou que Mars sorte du système solaire, sur une échelle de temps très longue.

C’est l’une des grandes découvertes de la théorie du chaos: un comportement complexe peut naître dans des systèmes relativement élémentaires. En témoignent les fractales, qui sont devenues les icônes de la théorie du chaos. Les fractales représentent des courbes ou des surfaces d’une incroyable beauté qui se ramifient jusque dans l’infiniment petit et reposent pour la plupart sur des formules étonnamment simples. Derrière le célèbre ensemble de Mandelbrot, le chercheur le plus connu des mathématiques modernes, se cache l’égalité suivante: zn + 1 = zn2 + c. Cette formule produit, malgré son absence de complexité, une représentation d’une grande richesse.

Bon nombre des fractales produites de cette manière semblent naturelles, et les infographistes utilisent les formules simples des théoriciens du chaos pour dessiner par exemple des paysages de montagne. A l’inverse, les arbres, les côtes du littoral, les choux-fleurs, les flocons de neige peuvent être qualifiés de fractales naturelles. Leur structure se reproduit quelle que soit l’échelle: si l’on grossit un bouquet de chou-fleur, on obtient la reproduction d’un chou-fleur.

Ce lien avec la nature explique certainement le succès populaire remporté par la géométrie fractale. La géométrie traditionnelle serait en effet trop rébarbative, car elle serait incapable de décrire des formes telles que les nuages, les montagnes ou les côtes, estime Benoît Mandelbrot, le théoricien vedette du chaos: «Les nuages ne sont pas des sphères, les montagnes ne sont pas des cônes, les côtes ne sont pas des cercles.» Dans le passé, la science s’était efforcée de considérer «les irrégularités de la nature comme des imperfections mineures d’une forme idéalisée». Pour Mandelbrot, beaucoup d’objets dans la nature se caractérisent par une certaine sauvagerie.

On reproche souvent à la théorie du chaos de ne plus avoir accompli de progrès après des débuts spectaculaires. Un grief que l’on ne peut pas formuler à l’encontre de Mandelbrot, qui a transposé son concept de fractales à l’économie et en a tiré une théorie très controversée, ce qui la rend d’autant plus passionnante. La sauvagerie de la nature, dit Mandelbrot dans son livre «Fractales, hasard et finances», correspond à la volatilité des cours dans l’économie. Beaucoup de courbes de prix et de cours boursiers présentent les mêmes caractéristiques qu’un chou-fleur. Sans se référer à la légende, on ne saurait dire si un tableau décrivant l’évolution d’un cours couvre 18 minutes, 18 mois ou 18 ans. Un petit segment est toujours identique à toute la courbe.

La théorie économique traditionnelle considère généralement les fluctuations des marchés financiers comme des variations normales dues au hasard. On ne peut les prédire, mais si on rassemble les variations de cours sur une certaine période, elles se répartissent suivant une courbe de Gauss (en cloche). On obtient une telle répartition lorsqu’on observe par exemple la taille de toutes les femmes en Suisse. La plupart sont regroupées autour de la moyenne, il y a quelques variations vers le bas et vers le haut, mais aucune valeur extrême comme quinze centimètres ou quatre mètres.

Chute des cours: un hasard fractal

Benoît Mandelbrot parle aussi de hasard, mais il s’agit d’un hasard sauvage, erratique, fractal, qui ne suit pas la répartition normale. Un effondrement des cours tel que celui du Lundi noir, le 19 octobre 1987, avait une probabilité de 1 sur 1050 de se produire selon les lois classiques du hasard ; il était donc tout simplement impossible. Dans la théorie de Mandelbrot, de telles valeurs extrêmes entrent en ligne de compte. Selon elle, sur les marchés financiers, les variations extrêmes constituent la règle et non des écarts que l’on peut ignorer.

Sans être académiques, ces considérations ont des répercussions sur l’art et la manière dont nous apprécions les risques. La formule de Black-Scholes qui est toujours utilisée pour calculer la valeur des options traite la volatilité des cours comme des variations normales dues au hasard. Elle ne fonctionne donc pas lorsque le marché est en proie à des turbulences. «La route suivie par la plupart des théoriciens [.] conduit à une grave sous-estimation des risques de ruine financière dans une économie de marché libre et globale», écrit Mandelbrot. L’approche fractale est bien mieux adaptée à l’évolution de l’activité.

Le monde de la finance a besoin d’une culture du risque semblable à celle de la construction navale, poursuit-il: «Les chantiers navals savent que la mer est calme la plupart du temps. Ils savent aussi que des typhons et des ouragans peuvent se déchaîner. Ils construisent des navires capables de braver non seulement les 95% des jours de mer où la météo est clémente, mais aussi les 5% où les tempêtes sévissent et mettent à l’épreuve leur savoir-faire. Les financiers et les investisseurs du monde d’aujourd’hui sont comme des marins qui ne tiennent pas compte des alertes météo.» On notera que Mandelbrot a écrit ces lignes avant la crise financière actuelle.

Mathias Plüss, Journaliste

Source crédit suisse nov2009

EN COMPLEMENTS INDISPENSABLES :  Finances : Les risques extrêmes remettent en question les modèles statistiques et mathématiques (cliquez sur le lien)

André Gosselin : L’investissement extrême (cliquez sur le lien)

Benoît Mandelbrot : de la théorie à la praxis….pour le Galilée de la finance (cliquez sur le lien)

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8 réponses »

  1. Bonjour,

    L’AVENIR DE CHAREST ET LES LIBÉRAUX ?: Voir mon Blog pour une analyse mathématique DU DUR COUP POUR CHAREST: Page Politique-Charest-Empires.
    (fermaton.over-blog.com)

    Mon Blog, présente le développement mathématique de la conscience c’est-à-dire la présentation de la théorie du Fermaton (La plus petite unité de la conscience humaine).

    Cordialement

    Clovis Simard

  2. En fait, Mandelbrot a plutôt travaillé sur les fractales, la théorie du chaos étant un terme utilisé à l’origine par René Thom, avec une approche mathématique très différente.
    Mais il est vrai, que l’approche par les fractales est plus intéressante, avec une ouverture sur la renormalisation (http://fr.wikipedia.org/wiki/Renormalisation).
    C’est cet aspect qui m’a intéressé dans l’étude des organisations.
    Avec des retombées dans le champ des sciences économiques, qui peuvent être intéressantes.
    Voir en particulier ce billet sur le temps, l’argent et l’incertitude, où l’on retrouve Keynes pour qui le taux financier est le “prix psychologique de l’incertitude”.
    http://www.entropologie.fr/2015/05/le-temps-et-l-argent.html
    Pour en discuter éventuellement.

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