Douce France

Nicolas Baverez : L’Allemagne, bouc émissaire du déclin francais

Après la mondialisation et l’Europe, l’Allemagne est devenue le nouveau bouc émissaire du déclin français, accusée d’être à l’Europe ce que la Chine est au monde. Les réformes mises en place par Berlin à partir de la fin des années 90, notamment à travers l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder, ont rétabli la compétitivité du pays grâce à la maîtrise des coûts unitaires de travail et à la baisse de la fiscalité. Elles auraient enfanté un modèle rhénan mercantiliste, dont la croissance serait tirée par les seules exportations au détriment de sa consommation intérieure et de l’activité dans l’Union.

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La responsabilité de l’Allemagne serait ainsi majeure dans la crise et les déséquilibres européens. Sa stratégie non coopérative constituerait une machine à diffuser la déflation via la chute des revenus du travail et à aggraver la divergence des économies au sein de la zone euro. Son spectaculaire redressement (803 milliards d’euros d’exportations dégageant un surplus de 136 milliards, excédent structurel des finances publiques, chômage contenu à 8,2 %) aurait pour pendant le décrochage du reste de l’Europe. La France, principal partenaire de l’Allemagne, serait sa première victime, enfermée dans la croissance molle et le chômage permanent, la désindustrialisation et la perte de ses parts de marché.

En réalité, la France est seule responsable de son déclin, qui ne peut en aucun cas être imputé à l’Allemagne. Le dépérissement de la croissance et des gains de productivité, le recul de l’innovation, l’enfermement dans le chômage de masse et la montée de l’exclusion remontent aux années 80 et ne résultent pas des réformes allemandes. Le modèle fondé sur le financement de la consommation par l’accumulation de déficits structurels (6,2 % du PIB) et de la dette publique (en hausse de 20 % à 100 % du PIB entre 1980 et 2012), au prix de l’euthanasie de la production et de l’emploi marchands, est en lui-même insoutenable.

L’Allemagne n’est pas davantage à l’origine de la crise du capitalisme mondialisé. L’implosion des modèles de développement fondés sur le laxisme monétaire, l’endettement privé et les bulles spéculatives aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne ou en Irlande ne lui doit rien. A l’inverse de la Chine, l’Allemagne ne fonde pas sa stratégie exportatrice sur une monnaie inconvertible et sous-évaluée ou sur un Etat de non-droit ignorant la propriété intellectuelle.

Ce sont moins les réformes conduites en Allemagne que l’absence ou la faiblesse des réformes chez ses partenaires – la France au premier chef – qui expliquent la marginalisation de l’Europe. Nul ne peut reprocher à Berlin de conduire avec succès la politique économique que lui dictent son Histoire, tissée de culture industrielle et de troubles monétaires, et sa démographie, avec une population qui passera de 82 à 72 millions d’habitants d’ici à 2050. Il n’est pas plus légitime de prétendre réhabiliter le slogan du traité de Versailles selon lequel « l’Allemagne paiera » pour pérenniser la sous-compétitivité et les déficits chroniques d’une majorité de pays de la zone euro. Le recours au FMI dans la gestion de la crise grecque est raisonnable dès lors que l’Union ne dispose ni des compétences juridiques ni de l’expertise technique pour intervenir efficacement. Enfin, la force retrouvée de l’économie allemande constitue non seulement l’un des rares atouts de la zone euro, mais le dernier point d’ancrage justifiant les taux d’intérêt favorables dont bénéficie un pays comme la France.

Pour autant, le maintien à terme des principes monétaristes et mercantilistes rigides que l’Allemagne entend appliquer à l’Europe se révélerait fatal pour l’Union comme pour elle-même. La défense obstinée des règles anachroniques du traité de Maastricht – notamment la prohibition de la solidarité budgétaire et le refus de tout gouvernement économique – contrevient aux principes d’une zone monétaire optimale et voue la zone euro à une crise financière endémique.

Au total, c’est la réforme du modèle français qui constitue la clé d’un revirement de l’Allemagne sur les institutions de la zone euro, et donc de la relance de l’Europe. Plus la France renonce à être un site de production et d’innovation, plus elle renforce la détermination de l’Allemagne à préserver sa compétitivité. Plus elle est dirigiste et plus elle ruine les coopérations industrielles entre les deux pays. Plus elle communie dans l’irresponsabilité budgétaire et plus elle encourage le rigorisme monétaire allemand. Au lieu de critiquer l’Agenda 2010, nos dirigeants devraient réfléchir à un Agenda 2020, français celui-là

Nicolas Baverez le point avril10

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