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Martin Wolf : La Grande Bretagne sur un fil…

 La Grande-Bretagne sur le fil, par Martin Wolf

Dans quel état se trouve l’économie de la Grande-Bretagne ? A quels défis la politique économique doit-elle faire face ?

A la veille des élections législatives britanniques du 6 mai, ces questions me paraissent infiniment plus urgentes qu’à n’importe quel moment depuis 1979, date de l’accession au pouvoir de Margaret Thatcher.

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Le seul point sur lequel tout le monde s’accorde est l’ampleur du trou budgétaire : le gouvernement doit emprunter une livre chaque fois qu’il en dépense quatre. Mais personne ne veut débattre de ce qu’il faudrait faire. Cela n’est pas surprenant : les déficits budgétaires actuels n’ont jamais été aussi grands en temps de paix. Pourtant, même si chacun convient que ces déficits doivent être résorbés, d’énormes questions demeurent sur le calendrier et le contenu des mesures à prendre.

En Grande-Bretagne en tout cas, les déficits budgétaires reflètent les excédents du secteur privé. De surcroît, la séquence de causalité part de ces derniers vers les premiers. Les conditions nécessaires pour un retour à la bonne santé budgétaire (et économique) sont une reprise de la dépense privée ou une très forte augmentation des exportations nettes, ou encore, dans l’idéal, les deux à la fois.

La grande question est de savoir si la reprise indispensable de la dépense privée et des exportations nettes surviendra avant ou après qu’il sera devenu difficile pour le gouvernement d’emprunter à des conditions raisonnables. Si cela survient avant, une sortie budgétaire sans heurts est envisageable. Si cela se produit après, une crise sera inévitable. Je suis plutôt optimiste sur cette question, mais je ne me cache pas les risques de dérapage.

Entre 2007 et 2009, le besoin de financement – l’écart entre recettes et dépenses – du secteur privé a augmenté dans une proportion énorme, atteignant 9,8 % du PIB, balayant les efforts compensatoires de la politique monétaire tentés par la Banque d’Angleterre, du moins à court terme… Du fait que l’afflux net de capitaux étrangers n’a que peu diminué, la principale compensation de cette tendance à la frugalité a donc été le virage gouvernemental vers la prodigalité. Les emprunts publics nets ont augmenté dans une proportion équivalant à 8,6 % du PIB entre 2007 et l’année dernière.

Le défi politique que cela représente n’est pas de résorber à tout prix le déficit budgétaire, mais de diminuer le déficit budgétaire tout en soutenant la reprise et la croissance. Il faut parvenir à une stabilisation dans la croissance, et non à une stabilisation aux dépens de la croissance. La misère économique n’est pas souhaitable, elle est détestable.

Si l’on doit diminuer le déficit budgétaire réel de, disons, 10 % du PIB, alors la somme des excédents financiers du secteur privé et du secteur des échanges internationaux doit diminuer du même montant. Pour que cela se réalise en maintenant la croissance, une forte augmentation de la dépense dans ces secteurs est indispensable. Andrew Smithers, du cabinet londonien Smithers & Co, propose une analyse convaincante de ce que cela pourrait signifier (UK : Either a Large Trade Surplus or Grim Prospects for Profits and the Fiscal Deficit, mars 2010, non publié). Il souligne en particulier que cela sera impossible sans une très nette amélioration de la balance extérieure.

Hélas, l’épargne nette des ménages britanniques est exceptionnellement faible. Cela est logique, après la plongée massive de ce secteur dans le déficit entre 1992 et 2007. L’épargne des ménages doit augmenter, pas diminuer. Une augmentation de l’investissement résidentiel serait souhaitable, mais il est improbable qu’elle se produise.

Comme le souligne M. Smithers, l’investissement fixe britannique est extrêmement bas depuis des années. Encore tout récemment, il se situait tout juste à 14 % du PIB. Il serait souhaitable qu’il augmente fortement, afin de générer de la demande aujourd’hui et de la croissance dans l’avenir. Il serait optimiste, toutefois, de s’attendre à ce que sa part de PIB augmente, ne serait-ce que de 5 points de pourcentage.

La conclusion est que la balance extérieure – et donc les exportations nettes – doit enregistrer une variation équivalant à au moins 5 % du PIB. Malheureusement, un texte récent rédigé par Ken Coutts et Robert Rowthorn pour le cercle de réflexion Civitas affirme que les tendances de la position extérieure de la Grande-Bretagne sont orientées dans le sens contraire. Loin d’être un problème, une sterling faible est en réalité une grosse partie de la solution. Mais cela ne sera pas suffisant. Il faut aussi veiller à améliorer le dynamisme du secteur manufacturier. C’est désormais une nécessité incontournable.

La vision panglossienne consiste à dire que, si l’on réduisait le déficit budgétaire, la dépense privée intérieure et la balance extérieure s’ajusteraient automatiquement. Or, avec des taux d’intérêt réels sur les titres d’Etat indexés à tout juste 0,6 %, des taux d’intérêt à court terme à 0,5 %, des rendements sur les valeurs conventionnelles à dix ans garanties par l’Etat à environ 4 % et une croissance poussive du crédit et de la masse monétaire, cela tient du conte de fées. La situation est totalement différente de celle de 1981, quand les conservateurs avaient réussi, en pleine récession, à resserrer la politique budgétaire.

Pourtant, même s’il semble beaucoup plus probable que le resserrement budgétaire suivra la reprise plutôt qu’il ne le provoquera, il n’en découle pas nécessairement que les déficits budgétaires actuels seront aisément finançables sur une période suffisamment longue pour permettre aux ajustements économiques nécessaires de s’opérer. Si les excédents du secteur privé britannique suffisaient quasiment à financer le déficit budgétaire, il n’est pas du tout certain que ledit secteur soit disposé à investir ainsi son argent, en tout cas aux conditions actuelles de rendement.

Une nouvelle baisse de la livre sterling pourrait ainsi tourner à la déroute. Une telle perte de confiance pourrait saper les attentes inflationnistes et ferait grimper les taux d’intérêt à long terme. Cela pourrait aboutir à une nouvelle récession et entraîner la dette publique sur une pente dangereuse. En même temps, une nouvelle baisse de la livre semble souhaitable, sinon inévitable, au vu entre autres des piètres performances récentes en termes de productivité (c’est le revers de la médaille de l’amélioration de l’emploi). La faible demande dans la zone euro, premier partenaire commercial de la Grande-Bretagne, ne fait que rendre cette baisse plus nécessaire.

L’économie britannique va devoir procéder durant des années à un vaste rééquilibrage. Les responsables politiques devront oeuvrer au renforcement indispensable de l’investissement et des exportations nettes, et prendre conscience que cet ajustement de grande ampleur est une condition nécessaire pour une amélioration budgétaire durable, tout en empêchant que le déficit n’étouffe l’indispensable rééquilibrage.

Quels que soient les résultats des élections, la nouvelle équipe gouvernementale héritera d’une tâche extrêmement délicate.

Cette chronique de Martin Wolf, éditorialiste économique, est publiée en partenariat exclusif avec le “Financial Times

(Traduit de l’anglais par Gilles Berton)

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