Carmignac Gestion

Carmignac Gestion/Eric Le Coz : La longue route du Thaler au Solidus

Carmignac Gestion/Eric Le Coz : La longue route du Thaler au Solidus

Vers la fin du XVe siècle apparaît en Allemagne le Thaler, une monnaie en argent dont le métal est extrait d’une mine de Bohème. Le rayonnement du Saint-Empire romain germanique en assure la rapide diffusion partout en Europe. Sa présence va jusqu’aux plaines d’Abyssinie et à la péninsule arabique. Charles Quint l’emporte en Espagne et de là, le Thaler devient la monnaie des colonies anglaises comme des Amériques. Pendant quatre cents ans le Thaler règne sur le monde. Aujourd’hui disparu, il nous a légué le dollar qu’on retrouve de la Nouvelle-Zélande au Canada et, plus près de nous, le Tolar, qui fut la monnaie de la Slovénie avant que le pays ne rejoigne la communauté de l’Euro.

Se pourrait-il aujourd’hui que la force et la stabilité économique de notre voisin d’outre-Rhin permettent l’instauration pérenne d’un Euro comparable au Thaler d’antan ? Ce n’est pas encore impossible mais c’est peu probable à court terme, tant les conditions nécessaires à sa stabilité ne semblent pas réunies. Le plan de « sauvetage » de 750 milliards d’euros annoncé début mai par l’Union Européenne avec le concours du FMI (et dont au passage on attend toujours les modalités de mise en place) n’aura en effet apporté qu’un répit de courte durée aux marchés et aux gouvernements de la zone Euro, et ce pour au moins quatre raisons.

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1. Les mesures d’austérité budgétaire prises ou annoncées, sous la pression des marchés et des autres États membres de la zone, sont brutales. Elles interviennent prématurément et de manière concomitante, alors que le contexte économique reste encore très fragile. Elles menacent ainsi de replonger la zone Euro en récession/ déflation dès l’année prochaine.

2. Ces mesures font naître ou exacerbent une précarité politique des gouvernements et des dirigeants en place à un moment où, en proie à de réelles difficultés économiques et sociales, les pays concernés ont besoin d’unité pour entamer le long chemin du redressement.

3. Cette période a révélé une faible cohésion intraeuropéenne. D’un côté les Allemands sont et resteront hostiles aux plans de sauvetage des pays moins vertueux.

Comment les en blâmer ? N’ont-ils pas déjà eu à faire d’immenses sacrifices eux-mêmes pour financer leur réunification puis pour amener leur pays à ce niveau de compétitivité dans l’arène mondiale ? De l’autre côté, au sein même de la BCE, les dissensions qui apparaissent entre M. Trichet d’une part, MM. Weber et Draghi d’autre part, sont par nature déstabilisantes et font peser un doute sur la capacité des autorités monétaires à maintenir un cap fixé, à un moment où plus que jamais les temps de réponse et la cohésion des réponses apportées à la situation sont primordiales.

4. Le risque de contagion est aujourd’hui sous-estimé.

À cet égard, la situation de l’Espagne, sans être comparable à celle d’autres pays européens (avec un ratio dette publique sur PIB de seulement 53 % fin 2009), restepréoccupante. Du point de vue économique, le déficit budgétaire est encore de plus de 9 % du PIB et le déficit extérieur (le deuxième au monde en termes nominaux derrière les États-Unis) de plus de 5 % du PIB. Surtout, le poids de la dette privée totale, à près de 330 % du PIB fin 2009, montre l’ampleur de la bulle du crédit qu’a connue le pays, plutôt vertueux en termes de déficit fiscal jusqu’à la crise de 2008. Ce chiffre montre aussi l’ampleur des ajustements nécessaires. Les mesures prises par le gouvernement Zapatero, dans un contexte où le chômage est déjà de 20 % sont-elles tenables ? On peut en douter.

L’exemple de l’Irlande est frappant. Seize mois consécutifs de déflation, une baisse des prix de 2,1 % en rythmeannuel en avril. Une contraction du PIB de 10,4 % en termes nominaux, voilà qui fait froid dans le dos. De plus, quelles seront les conséquences d’une telle austérité sur l’endettement et les banques ? On ne peut qu’envisagerune détérioration des ratios de crédits défaillants.

Ces problèmes sont européens et pas seulement ceux des Grecs, des Portugais ou des Espagnols. Fin 2009,les banques européennes inscrites à la BRI (Banque des Règlements Internationaux) détenaient 193 milliards d’euros de dette grecque. Ces mêmes banques détenaient aussi 240 milliards d’euros de dette portugaise et pas moins de 832 milliards de dette espagnole. Et les principaux détenteurs étaient les banques françaises et les banques allemandes. Qui plus est, la France, dans ce contexte dispose d’agrégats financiers publics qui prêtent à autant d’inquiétude que les pays de l’Europe du Sud.

Dans ce contexte, nous continuons de maintenir une exposition réduite, voire nulle, à l’Euro dans notre gestion globale. Il est clair que le fléchissement de l’Euro est un moyen de soulager (d’exporter) les pressions déflationnistes qui résultent du contexte européen. De plus, nos encours obligataires sur les emprunts d’État restent cantonnés à l’Allemagne et aux États-Unis.

Les États-Unis demeurent en effet pour l’instant épargnés par la contagion de la crise européenne des finances publiques. Et pourtant, les finances publiques n’y sont pas au beau fixe. La dette publique est déjà estimée àplus de 90 % du PIB. C’est sans compter les « Government Sponsored Entreprises », c’est-à-dire les agences hypothécaires Fannie Mae et Freddie Mac. Saisies par le gouvernement en 2008, leur dette devrait logiquement être ajoutée à la dette d’État, et elle s’élève à près de 35 % du PIB !

Une dette de plus de 13 000 milliards pour les ÉTATS.-UNIS (cliquez sur le lien)

Ainsi, même aux États-Unis un retour à plus de vertu et de frugalité en matière de finances publiques semble inéluctable.

Certes, avec une banque centrale investie d’une mission de sauvegarde de l’emploi et s’exprimant d’une seule voix, et avec un seul gouvernement, la capacité à prendre des mesures d’urgence est plus rassurante qu’en Europe. Certes, la capacité de rebond économique est plus vigoureuse que pour le Vieux Continent. C’est pourquoi nous avons conservé une exposition actions à la reprise américaine depuis le second trimestre de 2009 (position allégée de deux points au cours du mois).

Néanmoins, la situation économique américaine, pour enviable qu’elle soit en termes relatifs par rapport à notre bouillonde cultures, n’en est pas moins encore fragile. Tirée par le phénomène temporaire du restockage et par un nouveau cycle d’investissement, la croissance ainsi retrouvée revêt encore un caractère incertain.

Les indicateurs avancés que nous suivons pointent déjà vers une décélération, vers un fléchissement de ce momentum économique qui a permis de remettre au même niveau économie réelle et marchés boursiers. L’économie crée des emplois, mais un peu moins qu’espéré. Les indices des directeurs d’achat sont encore forts, mais un peu moins que les mois précédents. Ainsi, si l’économie est encore solide aujourd’hui, le tassement à venir s’annonce déjà. De plus, les derniers chiffres des transactions immobilières ont été gonflés par l’arrivée à son terme de la prime fiscale accordée aux primoaccédants.

Ils ne doivent pas masquer que la purge de la bulle immobilière n’est pas encore achevée, et cette fragilité pèserasur la demande finale future comme elle commence à peseraujourd’hui sur les marchés des actions. Cette conjonctiond’une crise européenne qui n’a pas encore produit tous ses effets et d’une économie américaine qui nous apporte les premiers signes de déception économique nous a amené à conserver une position prudente sur les marchés actions. Ainsi Carmignac Investissement et Carmignac Patrimoine, au cours du mois écoulé, ont maintenu en moyenne une exposition nette aux actions limitée à près de 60 % et 6 % respectivement.

Cette position défensive de notre part est d’autant plus justifiée que contrairement à leur économie respective, les marchés émergents ne se sont pas découplés de leurs homologues des pays développés.

Parce que les économies émergentes vont trop bien, elles sont au bord de la surchauffe, aussi paradoxal que puisse paraître un tel propos vu d’Europe.

Le Brésil connaît une croissance de près de 8 % et a créé plus d’un million d’emplois depuis le début de l’année. Le crédit explose, la consommation avec, et la Banque centrale devrait continuer le processus de resserrement monétaire qu’elle a entamé en avril.

L’économie indienne accélère. Une production industrielle en hausse de 13,5 % en rythme annuel, un Produit Intérieur Brut qui progresse de près de 9 % par rapport au 1er trimestre 2009, et du coup des prix de gros qui affichent une hausse de plus de 9 % sur un an glissant. Là encore, la Reserve Bank of India devrait poursuivre pour un temps encore le resserrement du crédit.

La Chine est l’un indicateur avancé. Le gouvernement avait relancé la machine économique dès début novembre 2008, plus tôt et plus fort que tout autre pays. Cela a fonctionné au-delà des espérances. Une croissance de plus de 11 %,une production industrielle en hausse de 19 %, des ventes de détail en progression de 18 %, un marché immobilier débridé sous l’effet multiplicateur du crédit. Depuis la fin de l’année dernière nous savons que le gouvernement et la People’s Bank of China veulent ralentir la machine pour éviter un emballement incontrôlable. Et comme nous sommes dans une économie dirigiste, les mesures prises, ciblées, portent leurs effets. Les indicateurs avancés se retournent, le nombre de transactions immobilières chute, bref ça ralentit. Et tant mieux !

 Les gouvernants des pays émergents ont appris de leurs erreurs passées, et aujourd’hui de nos erreurs occidentales récentes. Il est d’autant plus important pour les économies émergentes de contenir les pressions inflationnistes à court terme que le potentiel de croissance à long terme demeure considérable. La consommation domestique se développe, le pouvoir d’achat augmente vite, l’endettement du secteur privé n’est pas excessif, les efforts en matière d’investissement en infrastructures continueront d’alimenter la croissance.L’urbanisation est loin d’être arrivée à son terme. Qui plus est, ces économies devraient continuer de bénéficier de la manne occidentale. Toute entreprise normalement constituéeconcentrera ses efforts d’investissement dans ces pays pour de nombreuses années, non plus pour bénéficier d’une maind’oeuvre à bas coût mais simplement pour servir une demande domestique dont la croissance s’écrit à deux chiffres.

Certes, les marchés émergents, comme les marchés de matières premières, indissociables des perspectives de croissance des pays émergents, ont encore souffert sur le mois écoulé, guère moins que les grands indices boursiers globaux.

Près de 10 % de baisse sur le mois pour la plupart des marchés, en devises locales (à l’exception notable du DAX allemand).

Néanmoins, comme l’affirmait avec conviction Churchill : « If you are going through hell, keep going ». La prudence tactique dont nous avons fait preuve tant sur les marches obligataires que sur les devises et sur les actions n’entame pas nos convictions.

L’environnement économique occidental nécessitera des politiques monétaires extrêmement accommodantes, et cedurablement. Le ralentissement des économies concernées, fardeau de la croissance mondiale, permettra aux économies émergentes de faire l’économie de mesures trop restrictives pour parvenir à un niveau de croissance satisfaisant et non générateur de tensions inflationnistes excessives. Dans ce contexte, la revalorisation de nos titres en portefeuille, une fois levée l’hypothèque européenne, devrait nous permettre d’afficher des performances très satisfaisantes.

 L’avenir à court terme repose sur le sort de la zone Euro.

Eric Le Coz Achevé de rédiger le 4 juin 2010

 
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