Tentative de putsch et opa sur le marché du cacao
Le fonds britannique Armajaro aurait acquis l’équivalent de 15% des stocks mondiaux. Les cours touchent un plus haut de trente-trois ans.
Un fonds d’investissement a acheté la semaine dernière une quantité massive de cacao, selon des informations de presse, avec pour effet de pousser les prix à unniveau record en 33 ans et de lancer une polémique sur la spéculation affectant le marché alimentaire.
Selon des informations de marché rapportées par le quotidien Financial Times et l’agence Dow Jones Newswires, le fonds spéculatif britannique Armajaro a acquis la semaine dernière pas moins de 240.100 tonnes de cacao.
Il s’agit de la plus grande grande quantité de fève brune livrée en 14 ans sur le marché londonien du NYSE Liffe, pour une valeur totale de près d’un milliard de dollars.
Présidé par Anthony Ward, un ancien président de l’Association européenne du cacao (regroupement des principaux acteurs du marché), le fonds aurait passé ses ordres par le biais de plusieurs maisons de courtages et banques agissant sur les marchés de matières premières, dont BNP Paribas.
Interrogé par l’AFP, Armajaro n’a pas souhaité faire de commentaires.
Cette livraison correspond, selon Laurent Pipitone, statisticien en chef de l’Organisation internationale du cacao (ICCO), à 7% de la production de la production mondiale de cacao, 15% des stocks mondiaux et 25% des stocks européens estimés.
Bien que parfaitement légale, la manoeuvre aurait largement contribué, selon des professionnels du secteur, à pousser les prix de la fève brune à un niveau plusobservé depuis 33 ans, pour le plus grand bénéfice d’Armajaro, qui a donc pu revendre au plus haut.
Les cours du contrat de juillet, arrivé à échéance jeudi 15, ont grimpé mercredi jusqu’à 2725 livres la tonne, un plus haut depuis septembre 1977.
Cette tentative d’accaparement du marché ( «squeeze» ou «corner » en anglais) a été rendue possible par la petite taille et l’opacité du marché du cacao londonien, estime la spécialiste Kona Haque, de la banque Macquarie.
«Le cacao est l’un des rares marchés pouvant être la cible d’une telle opération. C’est un petit marché, relativement peu liquide… et la place de Londres est moins transparente» que son homologue américaine (Nybot ICE), explique- t-elle.
«Même si un fonds comme Armajaro peut arguer de la nécessité d’approvisionner ses clients, ce qu’on a vu ressemble fortement à une prise de pouvoir sur le marché, qui les place en position de force» sur le secteur, souligne Laurent Pipitone.
De fait, Armajaro semble déjà en discussions avancées avec les grands noms de la confiserie. Parmi eux, le premier fabricant mondial de chocolat, Barry Callebaut, aurait acquis 100.000 tonnes de cacao livrées en juillet sur le marché du NYSE Liffe à Londres, selon la revue spécialisée Public Ledger.
L’achat massif mené par ce fonds a relancé le débat sur l’opportunité de renforcer les règles régissant les transactions du marché alimentaire NYSE Liffe, alors que ce dernier, selon Mme Haque, envisage de publier régulièrement les positions des différents investisseurs.
«Cela n’empêche pas les opérations d’accaparement, mais plus on impose de transparence aux acteurs, moins il y a de chance que cela arrive», estime M. Pipitone.
L’affaire a également suscité l’indignation des organisations non gouvernementales qui dénoncent la spéculation sur les produits alimentaires.
DETAILS ET EXPLICATIONS EN SUIVANT :
Un achat exceptionnel de 241 000 tonnes de cacao secoue le marché
Cacao: le deal à un milliard de dollars
Aujourd’hui, ce sont ces fèves à la base de la fabrication du chocolat qui font la une de la presse spécialisée après une transaction hors du commun valorisée à un milliard de dollars. Une opération qui suscite bien des questions sur le fonctionnement de ce marché.
Les cours des fèves sont en hausse à cause de mauvaises récoltes, mais l’achat exceptionnel de vendredi les a fait bondir à leur niveau le plus haut depuis 1977. Le fonds spéculatif Armajaro n’est pas à son premier coup
Mais avant d’entrer dans les détails, un petit rappel théorique.
Les matières premières sont cotées en Bourse, principalement sous la forme de contrats à terme (cliquez sur le lien). Appelés « futures », ils permettent d’acquérir une quantité déterminée dans un horizon de plusieurs mois pour un montant fixé à l’avance. Un moyen très pratique de se couvrir contre des variations de prix.
La fin d’un contrat à terme ne se traduit que rarement par la livraison physique du sous-jacent (le cacao, par exemple), les positions étant fermées avant la fin du contrat.
D’où l’émoi provoqué la semaine dernière lorsqu’un investisseur a demandé la livraison de 240.100 tonnes de cacao. Pour vous faire une idée, cela représente 7% de la production mondiale (la Côte d’Ivoire produit 40%) et tout le stock pour l’Europe. De quoi remplir cinq Titanic! et peut servir à fabriquer 5,3 milliards de barres de chocolat de 125 grammes chacune
Les fèves sont actuellement entreposées dans différents sites gérés par le Liffe, la Bourse des produits dérivés .En fait toute la marchandise i se trouve à présent en Europe, entreposée à Rotterdam, à Hambourg, à Londres et à Liverpool. Une opération d’une telle envergure, la plus importante depuis 14 ans, ne se passe pas sans conséquences. Le prix du cacao s’est envolé vendredi à 4380 francs suisses la tonne, soit à son plus haut niveau depuis 1977. Il a légèrement baissé lundi.
Mais qui donc a déboursé 658 millions de livres (un milliard de dollars) pour toutes ces fèves et surtout pourquoi ? La première question n’est pas restée longtemps sans réponse. L’acheteur est l’un des trois gros traders mondiaux du cacao, Armajaro Holdings. Un pari colossal, note la presse britannique, pour un groupe qui a dégage un bénéfice de 6,1 millions de dollars sur des ventes de 1,4 milliard.
Mais son patron, Anthony Ward, baptisé outre-Manche « Chocolate finger » n’en est pas à son coup d’essai. Lors de l’été 2002, il a acquis 204.380 tonnes de cacao, avec, à la clé, une plus-value de 40 millions de livres en deux mois.
Il est donc fort probable que le trader tente sa chance une seconde fois. En s’accaparant, tout le stock européen, il va sans doute provoquer un accès de fièvre sur les cours de la fève. Une fève dont la cote a doublé depuis 2007 suite à la forte demande émanant d’Asie.
Une manipulation de marché ? Pas vraiment dans la mesure où tout a été fait selon les règles. Des traders affirment d’ailleurs qu’Armajaro a simplement profité des prix plus bas et qu’il va revendre les fèves à des producteurs de chocolat. Le nom de Barry Callebaut est cité pour le rachat de 100.000 tonnes.
Reste que cela fait désordre. Surtout dans un marché dont on connaît mal la profondeur. La culture du cacao étant très fragmentée parmi de petites exploitations, il est toujours très difficile de déterminer avec précision les quantités qui seront produites.
Un gros trader comme Cargill par exemple n’hésite pas à placer des employés devant tous les entrepôts de la capitale de la Côte d’Ivoire, explique le “Financial Times” pour compter les camions qui en sortent et bénéficier ainsi d’une image plus précise de la production du pays.
Barry Callebaut, Nestlé
«Etonnant et inhabituel, explique Laurent Piptone, chef statisticien de l’Organisation internationale de cacao (ICCO) basée à Londres et qui regroupe les pays producteurs et consommateurs. On se pose des questions sur l’acquisition d’une telle quantité, mais il ne nous appartient pas à prendre une quelconque position à ce sujet.» Et d’ajouter: «Il y a de la distorsion dans ce marché par les spéculateurs. Un tel achat ne peut qu’exacerber les mouvements des prix.» Laurent Piptone assure que l’augmentation du prix du cacao a contraint tous les fabricants de chocolat à augmenter leurs prix ces derniers mois. Dans les grandes surfaces en Suisse, le prix de la plaque de chocolat a augmenté de 50 centimes à un franc.
Les grands acheteurs des fèves de cacao ne manifestent pas une quelconque inquiétude face à l’achat surprise de vendredi. Chez Barry Callebaut, l’un des plus grands grossistes mondiaux, le porte-parole fait comprendre que la société s’approvisionne de plus en plus directement auprès des coopératives de petits producteurs. «La part des achats sur le marché baisse d’année en année», affirme-t-il. A terme, Barry Callebaut voit le prix du cacao s’établir entre 3600 et 4000 francs la tonne, ce qui est inférieur au prix du jour.
Comment Nestlé intègre-t-elle la volatilité du prix de la matière première dans son produit fini? «Chaque marché prend ses décisions de prix localement, en se basant sur la situation concurrentielle, l’approvisionnement en matières premières et la composition des produits», explique Mélanie Kohli, porte-parole de Nestlé, également l’un des plus grands fabricants de chocolat. La multinationale veveysanne favorise également l’approvisionnement direct auprès de producteurs de cacao en Afrique ou en Amérique du Sud. Par ailleurs, les grandes entreprises détiennent des stocks pour éviter toute déstabilisation liée à la volatilité des prix et pour se mettre à l’abri de mauvaises récoltes.
Manque de transparence
Contrairement aux chocolatiers qui ne veulent pas réagir publiquement sur l’achat inhabituel d’Armajaro, les courtiers de la branche se sont plaints auprès de Liffe. L’ICCO compte aussi demander des explications à la bourse londonienne même si pour Laurent Piptone, il n’y a pas eu de dysfonctionnement du marché. «Le problème concerne le manque de transparence, dit-il. Il en faut pour rétablir la confiance.»
Ce n’est pas la première fois qu’Anthony Ward, le patron d’Armajaro, fait un coup d’éclat. A l’instar de Georges Soros, le financier londonien ne cache pas ses ambitions dans les échanges de produits alimentaires. Selon l’agence Bloomberg, il avait acheté 204 380 tonnes de fèves de cacao en août 2002. Il avait réalisé 40 millions de livres de profit en deux mois du fait que le prix s’était envolé de 2400 à 2600 francs dans le sillage de son achat.
Des négociants et des industriels du cacao se plaignent de la manipulation des cours
Dans une pétition signée par des négociants et des industriels européens du chocolat, la bourse de Londres est accusée de laisser certains opérateurs manipuler les cours du cacao.
On n’avait jamais vu ça sur les contrats rapprochés de cacao. A trois jours de l’échéance, le moment où l’on doit livrer la marchandise en quantité équivalente au montant des contrats, 39 000 lots n’ont toujours pas été débouclés sur le Liffe, la bourse de Londres, c’est-à-dire l’équivalent de 390 000 tonnes de fèves, une quantité démentielle par rapport aux réels besoins du marché physique.
C’est la preuve que la spéculation s’est emparée de ce marché, et qu’elle le manipule, dénoncent les opérateurs traditionnels. Nous ne pouvons plus compter sur le Liffe comme outil de couverture. C’est ce qu’ont écrit 16 négociants et transformateurs de l’industrie du cacao, en Europe, dans une pétition adressée aux responsables de la bourse londonienne, mais aussi aux autorités britanniques de régulation financière. Parmi eux l’Association allemande des industries de la confiserie, mais aussi les suisses Novel Commodities et Noble Ressources ou le français Alltrade.
Selon l’un de ces signataires, un fonds d’investissement aurait acheté d’énormes quantités de contrats de cacao, faussant le jeu et propulsant les cours de juillet à un plus haut de 32 ans en quelques jours. C’est moins le niveau du prix du contrat de juillet qui contrarie les pétitionnaires, que la surcote qu’il a gagné en très peu de temps par rapport au contrat de septembre, un fait très inhabituel puisque normalement plus le contrat est éloigné, plus il vaut cher étant donné les frais de stockage.
Du coup, les négociants et les industriels qui avaient vendu des contrats de juillet pour se couvrir, vont non seulement devoir les racheter à perte mais ils ne pourront pas se rattraper sur la vente des contrats de septembre, qui valent 200 livres sterling de moins. A moins qu’ils ne livrent le peu de cacao dont ils disposent mais les transformateurs qui ont déjà broyé les fèves en poudre et en beurre de cacao, ne peuvent plus le faire.
On comprend l’amertume des pétitionnaires, même si, selon un négociant, ils auraient pu se débarrasser plus tôt de leurs contrats rapprochés et ainsi limiter leurs pertes. Leur missive a reçu une réponse : la bourse londonienne se dit sensible au problème. Elle a promis d’instaurer plus de transparence sur les positions respectives des opérateurs physiques et des spéculateurs, comme à la bourse de New York. En revanche pas question d’imiter les Etats-Unis en limitant le nombre de lots par opérateur.
Les pétitionnaires, qui sont de taille petite ou moyenne, partiront-ils pour autant de l’autre côté de l’Atlantique, rien n’est moins sûr : question de fuseau horaire, de change et de qualité de cacao : c’est à Londres qu’est stocké le cacao ouest-africain qu’ils travaillent, alors que les entrepôts de New York abritent le cacao indonésien ou sud-américain
Si malgré tout cela, vous êtes tenté par un investissement dans ce secteur, il existe des produits financiers plus adaptés aux investisseurs individuels que les contrats à terme plutôt destinés aux professionnels. Il s’agit de certains ETF dont vous trouverez les cours à la Bourse de Londres. Quoi qu’il en soit, la prudence s’impose afin d’éviter de vous retrouver chocolat avec votre cacao.
EN LIEN : Forte volatilité
source agences+ le temps+echo+rfi juil10
EN COMPLEMENT : Nouvel accord entre producteurs et consommateurs de cacao
Producteurs et consommateurs de cacao se sont entendus pour assurer une meilleure transparence des marchés et un développement durable de la filière débouchant sur des politiques de pris équitables.
Convoqués sous les auspices de la Cnuced, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement, c’est par consensus qu’ils ont approuvé un nouvel accord international sur le cacao. Il entrera en vigueur en 2012 à l’échéance de l’actuelle entente. Les 42 pays concernés – il s’agit des principaux exportateurs et acheteurs de fèves – s’étaient donnés pour objectif de mettre en place des mécanismes de contrôle, de stimulation des échanges, de renforcer la qualité du cacao et de permettre par un vaste échange d’informations d’assurer la stabilité du marché.
Des deux côtés on a manifesté un grand intérêt quant aux prévisions de production et de consommation. Alors que les signataires – ils réalisent 80% de la production et 60% des importations – s’attendent à connaître un marché en légère évolution il convenait de promouvoir d’une part la qualité et de l’autre d’assurer aux pays essentiellement tournés vers cette production un avenir meilleur.
Placées sous la présidence d’Alain Gauze, ancien ministre des Matières premières de Côte d’Ivoire et actuel ambassadeur à Genève, les négociations menées une semaine durant ont été relativement rudes. Mais la Cnuced qui entend retrouver le rôle qu’elle a tenu jadis dans la régulation des marches des produits de base a facilité le rapprochement des protagonistes. Il fut d’autant plus aisé qu’il ne s’agissait pas d’élaborer une échelle de prix, pas plus de mettre en place et de gérer un stock régulateur. Cette formule a été abandonnée depuis longtemps.
Au final l’accord va faciliter les relations entre producteurs et consommateurs notamment à propos des stocks de fèves, des produits dérivés et du beurre de cacao. Pour Alain Gauze le nouvel accord va assurer à la filière cacao « un développement durable et équilibré. »
source rfi juil10
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