Art de la guerre monétaire et économique

Il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir…par Michel Santi

Il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir…par Michel Santi

La Réserve Fédérale Américaine semble ne pas accepter l’idée qu’une politique monétaire – autrement dit la définition des taux d’intérêts – dépasse les cadres conventionnels de l’inflation et des taux de production. C’est ainsi que les autorités US pensent leur stratégie comme si les données économiques prédominantes au sein de leur pays étaient leur seule et unique préoccupation, négligeant – ou feignant d’oublier – que leur dollar est également la première monnaie de réserves au monde… Les organisations internationales – F.M.I. ou même le G-20 – supposées (du moins sur papier) assurer la stabilité du système et l’harmonie des marchés sont pourtant dans l’incapacité totale de régler une probable crise des monnaies sans la coopération Américaine. De surcroît, les déséquilibres financiers et économiques mondiaux sont aujourd’hui aussi massifs que ceux en vigueur aux USA préalablement à la période des subprimes.

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Ces tourmentes en devenir glissent pourtant comme du téflon sur M. Bernanke – soucieux d’embrasser torridement un second round de baisses de taux quantitatives – car soucieux des seules considérations intérieures Américaines. La Réserve Fédérale démontre (une fois de plus) son inadmissible déficit de gestion des risques car la crise des devises touchera également et d’abord les Etats-Unis en leur qualité de premier importateur mondial. Dans un contexte actuel excessivement perturbé où les menaces d’interventions et de contrôles des flux de capitaux sont de plus en plus brandies, une crise du billet vert échapperait fatalement à tout contrôle du fait du statut prédominant de cette devise. M. Bernanke se rend-il seulement compte qu’une spirale baissière de sa monnaie aurait des conséquences autrement plus dévastatrices sur son pays que les questionnements – souvent très académiques – relatifs à une dose supplémentaire de baisses de taux quantitatives?

Michel Santi gestionsuisse.com oct10

EN COMPLEMENTS : Fed – Désaccord sur un nouvel assouplissement monétaire

 Deux des principaux responsables de la Réserve fédérale américaine ont montré leur désaccord quant à la nécessité de nouvelles mesures de soutien à l’économie des Etats-Unis, alors que la plupart des observateurs s’attendent à un nouvel assouplissement de la politique monétaire de la Fed.

Le président de la Réserve fédérale de St. Louis James Bullard a ainsi dit jeudi soir qu’il soutiendrait des achats de titres du Trésor par la Fed par tranches de 100 milliards de dollars si la banque centrale estimait nécessaire un assouplissement monétaire.

« Si nous décidons d’aller de l’avant avec un assouplissement quantitatif (..) nous pourrions penser en unités de 100 milliards de dollars », a-t-il ajouté. »Et alors, je pense que nous pourrions donner une indication pour la réunion suivante qui suggérerait la façon de penser du comité (de politique monétaire) à propos de ces achats », a-t-il ajouté.

Le président de la Fed de Kansas City, Thomas Hoenig, l’un des responsables de la Réserve fédérale les plus méfiants à l’égard de l’inflation, a toutefois cherché à souligner les risques inhérents à une telle démarche.

Il a ainsi réitéré sa mise en garde contre de telles injections de liquidités qui pourraient être sources de problèmes, comme la constitution de bulles encore invisibles pour l’heure.

Tout en s’attristant du taux de chômage de 9,6% dans le pays, il a déclaré « si l’on essaie de le faire baisser trop rapidement on risque de créer de nouveaux problèmes. »

Les analystes estiment à environ 500 milliards de dollars, le montant du prochain programme de rachats d’emprunts d’Etat américains que devrait annoncer la Fed lors de la réunion du FOMC des 2 et 3 novembre prochains. Certains observateurs pensent que le montant de ce programme pourrait même dépasser 1.000 milliards de dollars.

Si James Bullard a fait référence dans ses commentaires à l’atonie de la croissance économique et à la faiblesse du redressement du marché de l’emploi, Thomas Hoenig a de son côté estimé que la reprise pourrait s’accélérer l’an prochain.

Le président de la Fed de Kansas City, qui a fait état lors de toutes les réunions de cette année de son désaccord avec les autres membres du FOMC, a également réitéré son appel à une normalisation des taux d’intérêt, qu’il souhaiterait voir remonter à 1%.

Fed: Charles Evans veut cibler les prix

Les Etats-Unis sont pris dans «une trappe à liquidités» et le meilleur moyen d’en sortir est de mettre en œuvre un «ciblage du niveau des prix», a estimé Charles Evans, un des dirigeants de la banque centrale américaine (Fed). «Nous avons tous les ingrédients d’une trappe à liquidités: les entreprises n’ont pas envie d’investir et les ménages sont trop inquiets pour augmenter leur consommation», a déclaré M. Evans président de l’antenne de la Fed de Chicago, lors d’un discours dans une localité de sa circonscription. En théorie keynésienne, la trappe à liquidités est une situation dans laquelle la politique monétaire classique touche ses limites, avec des taux d’intérêts à court terme au plancher ne pouvant plus être abaissés pour stimuler la consommation et l’investissement

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Le danger que les saisies deviennent impossibles et que maints détenteurs de prêts hypothécaires refusent d’honorer leurs engagements est imminent.par roy damary

Imaginez une cascade de champagne. Versé en quantité suffisante du sommet de la pyramide, le «mousseux» s’écoule dans le premier niveau de flûtes, puis déborde dans le second et ainsi de suite, remplissant graduellement tous les verres, avec un écoulement vers les étages inférieurs avant même que les flûtes du haut ne soient tout à fait pleines. Un éminent membre du conseil et actionnaire de notre société a proposé cette métaphore pour décrire l’impact de l’assouplissement quantitatif. Remplacez le champagne par l’argent frais mis en circulation et les paliers de flûtes par les différentes classes d’actifs où ces dollars supplémentaires peuvent être investis. Au sommet se trouvent les Bons du Trésor, puis les obligations d’entreprises, suivies par les métaux précieux, les devises, les actions des grandes entreprises, celles des plus petites et, tout en bas, l’immobilier.

Le principal objectif de la Fed, qui verse le «liquide», est de remplir le plateau inférieur car elle a bien compris que sans un marché immobilier en bonne santé, l’économie ne peut retrouver une croissance durable. Les flûtes débordantes représentent une bulle, c’est-à-dire une classe d’actifs dont les prix sont irréalistes. Notre sentiment est que le palier supérieur – les obligations gouvernementales, particulièrement en dollars – déborde déjà. Les obligations d’entreprises s’en approchent, alors que tout ce qui se trouve en-dessous a encore du chemin à parcourir.

La grande faiblesse de cette approche en cascade adoptée par la Fed pour tenter de relancer l’économie américaine se situe dans le plateau inférieur. Loin de se remplir, les flûtes du niveau immobilier gagnent en contenance  avec la baisse des prix, l’inactivité du secteur de la construction et les saisies. En outre, elles fuient, notamment à cause du scandale croissant suscité par l’utilisation suspecte de certificats de prêts hypothécaires pour des titres adossés à des actifs (les CDOs). Le processus d’élaboration de la «chaîne de créances», depuis l’emprunteur jusqu’à l’acheteur de CDOs, pourrait être entaché d’illégalité. Ainsi, le danger que les saisies deviennent impossibles et que maints détenteurs de prêts hypothécaires refusent d’honorer leurs engagements, est imminent.

Subprime saga : Countrywide/BofA: poursuivi par un groupe incluant la Fed de New York

Immobilier US : Retour sur le nouveau scandale qui ternit l’image des banques américaines

Pour ne rien arranger, les fuites de la cascade de dollars ne se limitent pas aux investissements en USD, et la manipulation de la parité USD/RMB par les Chinois a un impact encore incertain, mais vraisemblablement négatif, sur la structure même de la cascade.

Nous avons déjà souligné l’énorme différence d’approches pour tenter de sortir de la crise en Europe et aux Etats-Unis. Le Canada est maintenant cité en exemple comme le pays qui a su sortir du gouffre au milieu des années 90 en imposant un programme d’austérité basé non plus sur l’impôt sur le revenu mais sur une taxe à la consommation. À l’heure actuelle, les États-Unis n’ont pas la volonté politique de suivre les exemples canadien et européen.  Nous prétendons toutefois que les forces du marché finiront par les y contraindre.

Les Américains ont déjà le plus grand mal à faire face à leur déficit budgétaire fédéral.  En outre, leurs différents niveaux de gouvernement sont submergés par des engagements à long terme qui, pour des raisons qui dépassent notre entendement, sont tout simplement omis des budgets annuels. Si la Sécurité Sociale et Medicare ne suffisaient pas, The Economist nous rappelle que les fonds de pension des états et des municipalités sont sous-financés de quelques $3,4 trillions et $574 milliards respectivement. Même en supposant un rendement annuel irréaliste de 8%, certains états connaîtront des difficultés pour payer les retraites dès 2020 et d’ici 2030, toutes les caisses seront vides. Cela est impensable, mais combien de temps les autorités américaines tireront-elles sur la corde avant qu’une volonté politique suffisante ne s’affirme de changer le système de protection sociale?

Paradoxalement, compte tenu de notre métaphore initiale, le conflit français sur l’âge de la retraite est fascinant car le pays a la volonté politique de reconnaître les réalités à long terme, alors que le peuple ne peut se résigner à renoncer à des prestations devenues hors de prix. Le résultat de ce conflit aura de profondes répercussions bien au-delà des frontières françaises.

Roy Damary  Bridport Investor Services oct10

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Chroniques martiennes du chaos économique par  Pierre-Antoine Delhommais

Pierre-Antoine Delhommais

Regardant l’autre soir la télévision, nous avons été tirés d’un demi-sommeil par la diffusion d’images d’archives où l’on voyait le présentateur vedette de l’époque, Jean-Claude Bourret, disserter, de façon aussi savante que passionnée, des ovnis. Petit moment de nostalgie, car plus personne aujourd’hui ne parle de soucoupes volantes. Peut-être l’invention d’Internet a-t-elle assouvi, chez l’homme, le besoin de monde virtuel, peut-être Second Life suffit-elle à satisfaire son envie d’univers parallèle.

 Autre explication possible : les extraterrestres seraient récemment et discrètement venus faire un petit tour sur Terre. Et seraient repartis aussi sec, effrayés par ce qu’ils ont vu, épouvantés par les paradoxes et les contradictions d’une humanité pourtant censée se distinguer par sa grande rationalité.

Notamment en matière économique et financière. Prenez les taux d’intérêt, par exemple, dont les niveaux ont de quoi faire perdre la tête à n’importe quel Martien, s’ils en ont une. Ils n’ont jamais été aussi bas. Proches de 0 % dans la plupart des grands pays industrialisés, du jamais-vu.

Le petit souci est que tout le monde est d’accord pour dire que c’est précisément parce que les taux d’intérêt avaient été trop bas trop longtemps, que l’argent avait été quasiment gratuit qu’une gigantesque bulle du crédit s’était constituée. Bref, tout est en place pour que de nouvelles bulles, plus grosses encore que celle des subprimes, se forment.

Même constat pour les taux d’intérêt à long terme. Eux aussi n’ont jamais été aussi faibles (2,5 % à dix ans aux Etats-Unis, 2,9 % en France), alors même que les émissions record d’emprunts du Trésor pour financer les déficits également record devraient en théorie les faire s’envoler.

Difficile à comprendre pour un petit homme vert possédant une culture économique même rudimentaire.

Difficile aussi pour lui de concevoir que l’inflation ne redémarre pas, alors que la base monétaire mondiale (grosso modo les billets en circulation) a littéralement explosé depuis trois ans.

Difficile enfin d’admettre que les grandes banques centrales, censées garantir la stabilité financière et incarner l’orthodoxie monétaire, fassent tourner la planche à billets à plein régime, monétisent la dette, ce que tous les manuels d’économie considèrent comme une totale hérésie.

Plus déroutant encore pour un visiteur d’une autre planète qui se serait intéressé depuis une ou deux décennies aux affaires terrestres : à force de lire les journaux, il avait fini par être à peu près convaincu que l’économie libérale de marché, décentralisée, désétatisée et déplanifiée était non seulement le meilleur moyen de produire des richesses, mais aussi de favoriser le développement démocratique. Il y a un hic : c’est la Chine communiste et son économie hypercentralisée, hyperétatisée et hyperplanifiée qui est devenue la locomotive de l’économie mondiale et a sauvé l’Occident de l’implosion. Et la Chine a peut-être libéré sa croissance, mais elle continue d’enfermer ses dissidents.

Pire. Le seul grand pays industrialisé et démocratique à s’en sortir aujourd’hui très honorablement (croissance forte, chômage et déficit en baisse), à savoir l’Allemagne, fait l’objet de toutes les critiques. Accusée de mener une politique économique égoïste et destructrice, tant pour ses partenaires que pour l’euro. Une petite femme verte n’y retrouverait pas ses petits !

Il y a quelques années de cela, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, s’était, le temps d’un discours prononcé lors des rencontres économiques d’Aix-en-Provence, glissé dans la peau d’un Martien qui contemplerait les flux d’épargne mondiaux.

Il avait évoqué l’étonnement que ne manquerait pas d’éprouver un voyageur interstellaire devant le spectacle qui s’offrirait à lui : « Celui de 1,2 milliard de Chinois « pauvres », avec un revenu moyen de 900 dollars par an qui, individuellement, prêtent chaque année de 100 à 170 dollars – c’est-à- dire de 12 % à 20 % de leur revenu – à des résidents américains, dont le revenu est quinze fois supérieur au leur. Ce Martien ne pourrait manquer de s’interroger : n’y a-t-il pas, pour ces épargnants chinois, un meilleur usage de leur revenu, alors même que, pour beaucoup d’entre eux, les besoins élémentaires d’éducation, de santé et d’infrastructures sont loin d’être satisfaits ? » Et la crise n’a pas changé grand-chose à cette allocation aberrante de l’épargne mondiale.

Tout E. T. un peu sensé ne peut qu’être très troublé à constater qu’un ouvrier du textile chinois, payé des clopinettes, reverse une partie de son salaire de misère pour qu’une famille texane puisse se payer un deuxième 4 × 4.

De la même façon, il ne peut être que décontenancé d’observer que le pays le plus riche au monde, qui compte les meilleures universités, attire les plus brillants cerveaux de la planète et possède les entreprises les plus innovantes, les plus performantes et les plus puissantes (Microsoft, Google, Apple, IBM, Pfizer, ExxonMobil, Wal-Mart, etc.), est de fait en faillite virtuelle. Et n’en est sauvé que par les achats de bons du Trésor américain effectués par une Chine classée 99e au niveau mondial en termes de richesse par habitant.

Notre extraterrestre ne trouvera pas motif à se rassurer s’il fait une petite escale en France, attiré par une bonne odeur de soupe aux choux. A voir que l’épargne des pays pauvres sert à financer, certes pas des 4 × 4, mais les frais d’hospitalisation d’un Etat-providence en coma financier avancé (32 milliards d’euros de déficit pour le régime des retraites en 2010, 23 milliards d’euros de déficit pour le régime général de la Sécurité sociale). A voir des lycéens défiler pour le maintien de la retraite à 60 ans alors que beaucoup ne connaîtront qu’une vie de chômage et de boulots précaires et qu’un quart d’entre eux vivront plus de 100 ans.

Voyageurs intergalactiques, remontez vite dans vos soucoupes volantes. « Téléphone, maison », implorerait E. T.

Courriel : delhommais@lemonde.fr

Pierre-Antoine Delhommais le monde oct10

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La maladie de l’euro fou par Nicolas Baverez

la hausse de l’euro depuis le printemps 2010 est une arme de destruction massive de la croissance et de l’emploi.

L’euro s’affirme, contre toute raison économique, comme la devise la plus fortedu monde en cette fin 2010. Au printemps, sous l’effet de la crise des dettes souveraines, il avait baissé jusqu’à 1,18 dollar et sa survie même était mise en doute par la divergence des économies et la faiblesse de la gouvernance de la zone. Il atteint aujourd’hui 1,40 dollar, soit une hausse de plus de 15 %, alors même que la croissance est limitée à 1,8 %, que le taux de chômage s’installe au-delà de 10 %, que la dette publique s’élève à 84 % du PIB et que plusieurs pays européens sont au bord de la banqueroute : la Grèce, le Portugal, l’Irlande – cette dernière affichant un déficit de 32 % du PIB.

La surévaluation de plus de 20 % de l’eurone s’explique que par la stratégie suicidaire de la Banque centrale européenne. La BCE est seule au monde à lutter contre l’inflation et à refuser toute forme de gestion du change quand le péril est la déflation. Aux Etats-Unis, face à une reprise qui patine et à un chômage de 9,8 % qui atteint sa plus forte intensité depuis 1948, la Fed, conformément à la stratégie de lutte contre la déflation définie dès 2002 par Ben Bernanke, relance les mesures quantitatives d’expansion monétaire et recourt à la dévaluation compétitive du dollar, qui a perdu plus de 10 % de sa valeur en quelques mois. La Chine, afin de se donner le temps de basculer son modèle vers la demande intérieure, défend la stabilité du yuan, sous-évalué de plus de 40 %. Le Japon, avec une politique de taux zéro couplée au rachat de 5 000 milliards de dollars d’actifs financiers, le Brésil, via son fonds souverain, et jusqu’à la Suisse multiplient les interventions sur le marché des changes pour enrayer la hausse de leurs monnaies.

La zone euro est devenue la variable d’ajustementde la reprise et de la reconfiguration des échanges et des paiements mondiaux. Dans un environnement déflationniste et au moment où la concurrence internationale ne cesse de se renforcer, la surévaluation de la monnaie est un péril fatal. La hausse de l’euro depuis le printemps 2010 représente une perte de quatre à cinq ans de gains de productivité pour l’Europe et de deux à trois ans de marges pour son industrie. Elle est une arme de destruction massive de la croissance et de l’emploi : ses effets dépressifs, qui s’ajoutent à ceux de la rigueur budgétaire, confortent le surendettement et accroissent les risques de défaut des entreprises comme des Etats. Elle amplifie les divergences entre les membres de la zone euro tout en fragilisant le système bancaire via les défauts en chaîne qu’elle provoque.

La guerre des monnaies représente un risque majeur pour la sortie de crise : l’encourager est irresponsable, mais l’ignorer est mortel. La perte de confiance dans la monnaie et sa chute en vrille constituent l’un des risques inhérents à la dégradation du bilan des banques centrales, séquelle des interventions keynésiennes mises en place pour endiguer le choc déflationniste de 2008. Il doit être géré, au même titre que l’explosion des dettes publiques. Les dévaluations compétitives, notamment de la part des Etats-Unis, créent de nouvelles menaces. Elles favorisent la hausse des matières premières, notamment du pétrole, dont le cours est déjà remonté au-delà de 80 dollars le baril. Surtout, elles ouvrent la voie au protectionnisme et à la spirale des représailles commerciales. En témoigne le projet de loi adopté par la Chambre des représentants qui autorise l’institution de droits de douane spécifiques en cas de pratiques commerciales déloyales, ce qui a justifié la menace immédiate de rétorsions de la part des autorités chinoises.

L’expansion désordonnée des marchés des changes souligne les limites des réformes engagées depuis 2008. Celle du système monétaire international, que la France entend placer au coeur de sa présidence du G20, est aussi nécessaire qu’incertaine. La France s’oppose à la volonté des Etats-Unis de conserver le monopole du dollar comme monnaie internationale, à la stratégie de la Chine qui vise à ralentir l’internationalisation du yuan, au ralliement d’une majorité d’Européens à la position allemande, aux intérêts de la City et de Wall Street, enfin. Elle ne peut donc avancer qu’à deux conditions. La crédibilité qui passe par la remise en ordre de ses finances et une stratégie cohérente de redressement de son économie. Des propositions réalistes et la recherche patiente de compromis. Un nouveau Bretton Woods est hors de portée. Un accord raisonnable, mêlant la libéralisation par étape de la politique de change des pays émergents, le refus réaffirmé du protectionnisme, la surveillance coordonnée des marchés des devises, l’élargissement des pouvoirs et la réforme de la gouvernance du FMI, reste possible et marquerait un net progrès

Nicolas Baverez le point oct10

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Les Etats-Unis et la Chine, amis des beaux jours par Hans-Werner Sinn

Parce que la Chine a ancré sa monnaie sous-évaluée, le renminbi, au dollar, chaque dépréciation du dollar liée à la crise financière américaine a signifié un affaiblissement de la monnaie chinoise par rapport aux autres devises. Mais la Chine est-elle vraiment responsable de l’émergence d’une guerre mondiale des devises ?

Les banques centrales de la Corée du Sud, du Brésil, de Taiwan, du Japon, de Suisse et d’autres achètent aujourd’hui des dollars pour éviter que leurs monnaies s’apprécient et pour défendre ainsi leurs exportations. L’Europe aussi commence à s’inquiéter maintenant que le taux de change de l’euro a dépassé $1,40, bien au-delà de la parité de pouvoir d’achat, à $1,17.

Les Etats-Unis envisagent aujourd’hui des mesures de rétorsion contre la Chine et se préparent à une guerre commerciale. Le Congrès américain a autorisé le président à imposer de taxes douanières compensatoires sur les importations chinoises si la Chine persiste dans son refus d’apprécier sérieusement le renminbi face au dollar.

Mais la sous-évaluation du renminbi, de 45 pour cent actuellement, dure depuis des années. Pourquoi les Etats-Unis adoptent-ils aujourd’hui des mesures aussi agressives ? Pourquoi n’avoir pas réagi bien plus tôt ?

Indicateur de Devise : le yuan et le Big Mac

L’explication tient aux mouvements des capitaux. Les Etats-Unis acceptaient une évaluation faible du renminbi tant que la Chine « renvoyait » les dollars gagnés par le commerce bilatéral en finançant le déficit public américain. Les législateurs américains sont aujourd’hui irrités par le fait que les Chinois préfèrent investir cet argent dans des matières premières en Afrique et ailleurs.

Le changement d’orientation de la Chine a été brutal. En 2008 et 2009, la Chine achetait des bons du Trésor au rythme de $17 milliards par mois. Mais en novembre 2009, elle a changé de cap. Au cours des sept premiers mois de 2010, la Chine n’a pas seulement cessé d’acheter des obligations d’États américaines, elle a commencé à s’en défaire. Chaque mois, elle a ainsi cédé pour près de $7 milliards de bons du Trésor. La nervosité actuelle des Etats-Unis est donc tout à fait compréhensible.

La City de Londres s’est engouffrée dans la brèche, et a porté ses achats en bons du Trésor américains, qui en 2008 et 2009 ne s’élevaient qu’à près d’un milliard de dollars par mois, à $28 milliards pour les sept premiers de l’année. Puisque le Royaume Uni est lui-même un importateur de capitaux important, nous ne pouvons qu’imaginer que la place financière de Londres n’a pas conservé ses obligations, mais les a restructurés et remis en circulation sous formes de titres britanniques.

Malgré le fait qu’elle ait cessé de financer le gouvernement américain, la Chine reste le principal exportateur mondial net de capitaux, une position qu’elle occupe depuis 2006. En 2007 et 2008, elle a exporté près de $400 milliards en moyenne par an. Les Etats-Unis, qui avaient alors besoin d’importer pour environ  $800 milliards par an pour compenser un arrêt presque complet de l’épargne privée, ont reçu la part du lion de ces capitaux. La faible consommation intérieure chinoise a permis aux Américains de se construire de nouvelles maisons pendant de nombreuses années grâce à des emprunts et de maintenir un niveau de consommation que l’économie américaine n’était pas en mesure de financer elle-même.

Il est vrai que les Chinois se sont toujours abstenus d’investir directement dans l’immobilier aux Etats-Unis, mais ils se sont portés acquéreur d’obligations d’États et de prêts hypothécaires titrisés émis par des organismes paragouvernementaux comme Fannie Mae et Freddie Mac.

 Le financement direct de l’immobilier américain par des réseaux privés provient surtout d’autres pays – l’Allemagne, par exemple. La Chine a toutefois permis aux Américains d’avoir un niveau de vie bien plus élevé en mettant à la disposition des autorités américaines de l’argent qui aurait dû sinon provenir des contribuables américains.

Dans ce contexte, il est un peu mesquin de reprocher à la Chine sa politique de change – une politique qui a permis aux Etats-Unis de vivre au-dessus de leurs moyens depuis si longtemps. Au lieu de nuire à l’économie américaine comme on le dit si fréquemment, la faible évaluation du renminbi a permis aux Américains de vivre leur rêve américain en devenant tous propriétaire d’une maison. Les importations de produits chinois bon marché ont libéré des capitaux et de la main d’ouvre pour le secteur de la construction, entraînant un accroissement spectaculaire du parc immobilier et un net accroissement du niveau de vie des Américains.

La réticence des Chinois à investir davantage aux Etats-Unis est tout aussi compréhensible. Ils ont tenté de prendre pied sur le marché américain de l’énergie avec le rachat d’Unocal, mais ont dû renoncé face à l’opposition de parlementaires américains. D’autres investissements directs ont été pareillement bloqués par le Congrès pour des motifs de sécurité nationale.

On peut aussi évoquer les offres d’achat pour Emcore ou Firstgold. Même si les États-Unis seraient heureux de profiter des investissements chinois, ils ne sont pas pour autant prêts à leur accorder autre chose que des titres structurés d’une solvabilité douteuse, ou des bons du Trésor qui sont aujourd’hui clairement exposés au risque d’une dévaluation liée à l’inflation.

Les Etats-Unis rendraient service au monde en cessant de lancer des accusations faciles quant à l’éthique de la Chine. La vérité est autrement plus subtile que des intérêts politique cyniques.

Hans-Werner Sinn est professeur d’économie et de finances publiques à l’université de Münich et président de l’Institut de recherche économique Ifo.

 Project Syndicate, oct 2010. Traduit de l’anglais par Julia Gallin

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