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La pyramide de la dette européenne par Geert Noels

La pyramide de la dette européenne par Geert Noels

La semaine dernière, la Banque centrale européenne (BCE) a augmenté son capital, elle l’a même doublé. Mais même avec un capital d’environ 11 milliards d’euros, le danger n’est pas écarté. La BCE se coltine ainsi 2.100 milliards d’euros d’obligations et a donc un effet de levier de 178. A titre de comparaison, l’autre fonds à effet de levier qui se nomme aussi banque centrale, la Federal Reserve américaine, a un capital de 57 milliards de dollars et de 2.385 milliards de dollars d’actifs. Le terme «actifs» donne l’impression qu’il s’agit de valeurs de qualité. Or il n’en est rien ; il est plus correct de parler de «papiers toxiques et sans valeur».

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L’effet de levier de la Fed est donc d’environ 42. Lorsque le fonds à effet de levier LTCM a sombré en 1998, on a attribué ce naufrage à un levier excessif, qui s’élevait à 30. Comparé à la Fed, le LTCM fait figure de gentil galopin.

Avec un ratio de 178, la BCE va encore plus loin, même si jusqu’à présent, elle a acheté moins d’actifs toxiques. Depuis l’opération de sauvetage de l’euro en mai dernier, les choses sont cependant en train de changer rapidement (voir graphique). La BCE achète à un rythme accéléré des obligations de Grèce, d’Irlande et d’autres pays à problèmes.

 

On jette un seau d’essence sur le feu

Toute l’opération de sauvetage de l’euro commence à ressembler à l’opération réalisée par quelqu’un qui jette sur le feu un seau d’essence en croyant que c’est un seau d’eau. L’incendie de l’euro n’en devient que plus violent. Le fonds de sauvetage a été créé au cours du week-end du 9 mai 2010 pour «arrêter la spéculation contre l’euro». Pour vous rassurer : sur le site web de l’ESFS (www.efsf.europa.eu), il est indiqué que le fonds a un statut AAA. Ce n’est pas la première fois que de la camelote présentée dans un bel emballage reçoit cette sorte de statut.

Les politiciens européens pensaient effaroucher les spéculateurs en brandissant ce montant gigantesque. Ils croyaient en leur propre doctrine shock and awe : en affectant rapidement 750 milliards au fonds, la confiance serait instantanément restaurée et il ne faudrait pas dépenser le moindre eurocent. Les marchés se sont empressés de tordre le cou à ce mythe et ont pris le fonds pour ce qu’il était : un emplâtre sur une jambe de bois temporaire concocté à la hâte, pas une solution structurelle. Dès le premier jour, le papier PIGS s’est vendu massivement. En Allemagne, les banques ont convenu de ne pas le faire mais les banques françaises, par exemple, n’ont pas respecté cette règle. L’EFSF et la BCE reçoivent donc à présent une masse de mauvaises obligations publiques. On devrait au moins tirer des leçons de cette évolution. L’effet dissuasif a été nul, l’effet aspirant du papier de mauvaise qualité a par contre été énorme. Il s’agit donc d’une gigantesque deuxième opération de sauvetage des banques sans que cela soit clairement admis au niveau politique.

Les principes s’effondrent, les dettes s’accumulent

Cette évolution fait froid dans le dos. Toute l’opération de sauvetage est une grande improvisation. Les 750 premiers milliards sont presque épuisés. Tout à fait conformément à la définition standard de la folie («doing the same thing, but expecting different results»/ faire la même chose, mais en s’attendant à des résultats différents), de plus en plus voix s’élèvent à présent pour qu’on double le fonds. Encore plus d’essence. Ce n’est pas seulement improviser avec des milliards, c’est aussi jouer avec le bien-être de la prochaine génération et le patrimoine de la génération actuelle.

Geert Noels,CEO et chief economist d’Econopolis

Réactions : trends@econopolis.be

EN COMPLEMENT : Sauver l’euro pour sauver l’Europe par Nicolas Baverez

Les règles de la zone euro se révèlent trop dures pour ce qu’elles ont de mou et trop molles pour ce qu’elles ont de dur.

 La crise de l’euro parachève la crise de l’Europe, devenue l’homme malade de la mondialisation. Faute de réformes, l’Europe connaît un net déclin, avec une croissance réduite à 1,1 % dans les années 2000, contre le double pour l’économie mondiale. Le choc déflationniste de 2008 a accéléré cette évolution avec une forte augmentation du chômage (10,1 % de la population active) et de la dette publique (88 % du PIB). Depuis, le continent sert de variable d’ajustement de la reprise en raison de la surévaluation de l’euro. D’où la crise des risques souverains, propre à l’Europe, qui contraint la Grèce et l’Irlande à recourir à des aides de 110 et 85 milliards d’euros.

La crise européenne des risques souverains s’enracine dans trois séries de déséquilibres non résolus.

D’abord, les dettes publiques, qui ne sont pas l’apanage du continent européen mais prennent un tour particulièrement préoccupant en raison de leur niveau (127 et 123 % du PIB pour l’Italie et la Grèce), de leur envolée face à une croissance qui stagne ou recule (Irlande, Espagne), des incertitudes sur la gouvernabilité de certains pays (Belgique, Italie).

 Ensuite, la situation des banques, qui, en dépit de 4 500 milliards d’euros de concours publics et contrairement aux Etats-Unis, n’ont pas été restructurées et demeurent très vulnérables : l’implosion de l’Irlande a été provoquée par la faillite de son système bancaire, qu’elle a dû garantir à hauteur de 480 milliards d’euros quand son PIB s’élève à 164 milliards ; l’exposition des banques allemandes et françaises à l’Europe du Sud atteint 353 et 252 milliards d’euros.

Enfin, à l’exception de l’Allemagne, de l’Autriche et des Pays-Bas, la sous-productivité qui bloque l’activité : le Portugal présente ainsi des coûts 30 % plus élevés que les pays d’Europe centrale.

La crise de l’euro, après un répit provisoire, rebondira en 2011 selon le modèle de la crise asiatique des années 90. La crise est structurelle et l’Europe ne dispose ni de la stratégie ni des instruments pour l’endiguer. Les modèles économiques sont insoutenables et divergents. D’un côté, le dynamisme de la minorité de pays excédentaires, notamment l’Allemagne, en plein renouveau, butera sur la déconfiture de leurs principaux clients. De l’autre, les pays déficitaires courent à la faillite quels que soient les plans de rigueur, faute de pouvoir générer de la croissance : l’Espagne présente ainsi tous les traits d’un nouveau Lehman. Face à cette situation, la gestion de crise européenne demeure calamiteuse. Les mesures de soutien sont insuffisantes. La politique monétaire est livrée à la schizophrénie : la BCE revendique le monopole de la gestion du change sans l’exercer ; elle se réclame d’une orthodoxie qui enferme le continent dans la déflation, tout en adoptant des mesures pragmatiques pour refinancer les banques et les Etats dont l’efficacité est minée par leur déni officiel.

La stratégie poursuivie est condamnée à l’échec, car elle ne permet ni la croissance ni le désendettement. Les institutions et les règles de la zone euro se révèlent trop dures pour ce qu’elles ont de mou et trop molles pour ce qu’elles ont de dur, autorisant les déficits mais interdisant la croissance. La BCE favorise la déflation tout en assurant une liquidité illimitée aux banques. La divergence des économies de la zone euro s’exacerbe. Les plus faibles, qui cumulent surendettement, sous-compétitivité, faible inflation, chômage, sont vouées au défaut. L’absence de gouvernement économique et de solidarité budgétaire interdit ainsi toute gestion de crise. A institutions et règles inchangées l’Europe n’aura ni stabilité ni croissance.

Seules des réformes radicales peuvent désormais sauver l’euro. Au plan des nations, la transformation coordonnée des modèles économiques et sociaux doit être accélérée : rigueur dans les pays déficitaires, notamment en France, où seules les hausses d’impôt sont réelles, tandis que les baisses de dépenses demeurent virtuelles ; relance de la consommation dans les pays excédentaires. Au plan de la zone euro, la BCE doit assumer une stratégie flexible par l’engagement de maintenir des taux bas, le lancement d’un programme d’achat de titres de dette publique, le pilotage de la parité de l’euro. De manière plus agressive, on pourrait envisager une intervention sur le marché des Credit Default Swaps afin de casser la spéculation. Au plan de la zone euro, un gouvernement économique doit coordonner les politiques budgétaires et monétaires et assurer la gestion des crises. Au plan de l’Union, le grand marché doit être relancé, la mobilité du travail assurée et la compétitivité renforcée. A défaut, l’économie européenne s’enfermera dans la déflation sur fond de faillites de banques et d’Etats. La zone euro ne pourrait alors qu’éclater autour d’une nouvelle zone Mark et d’une nébuleuse de monnaies périphériques. Cette issue n’a rien de fatal. A condition que dirigeants et banquiers centraux redécouvrent, au-delà des dogmes et des intérêts nationaux, la dimension de bien commun de l’Europe et de l’euro. Pour l’Allemagne, cela signifie plus de solidarité. Pour la France, plus de responsabilité. Pour tous, plus de coopération et d’intégration

source le point dec10

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 La zone euro en voie d’éclatement ? par Dani Rodrik 

Quand un plan de secours conjoint des pays de la zone euro et du FMI a sauvé la Grèce de la faillite en mai dernier, il était évident que l’opération n’apporterait qu’un répit momentané. Maintenant un domino supplémentaire est tombé. Avec les difficultés de l’Irlande qui menacent de faire tache d’huile en direction du Portugal, de l’Espagne et même de l’Italie, le moment est venu de se poser la question de la viabilité de l’union monétaire européenne.

Ces mots ne me viennent pas facilement, car je ne suis pas un eurosceptique. Contrairement à d’autres, tel mon collègue de Harvard Martin Feldstein qui ne considère pas l’Europe comme une zone monétaire naturelle, je croyais que la zone euro s’insérait parfaitement dans un projet européen de grande ampleur qui avait l’ambition – et l’a encore – de construire des institutions politiques parallèlement à l’intégration économique.

L’Europe a eu la malchance d’être frappée par la pire crise financière depuis les années 1930 alors qu’elle n’est qu’à mi-chemin de son processus d’intégration. L’intégration de la zone euro est allée trop loin pour éviter que le commerce transfrontalier ne sème le désordre dans les économies nationales et pas assez loin pour avoir la capacité institutionnelle de gérer les crises.

Examinons ce qui se passe quand la survie d’une banque du Texas, de Floride ou de Californie est menacée en raison de sa politique de prêt.

Si elle est simplement en manque de liquidité, la Réserve fédérale à Washington peut intervenir à titre de prêteur de dernier ressort.

 Si elle est jugée insolvable, elle peut être déclarée en faillite ou être reprise par les autorités fédérales, tandis que la Federal Deposit Insurance Corporation rembourse les déposants.

De même en cas de banqueroute, la loi fédérale et les tribunaux permettent de répondre rapidement aux demandes des créanciers, ceci sans tenir compte des frontières entre les Etats. Quel que soit le résultat, une dette privée ne va être à la charge d’un Etat (si ce n’est exceptionnellement du gouvernement fédéral) et ne menace pas ses finances.

Un Etat n’a pas le droit d’abroger une dette à l’égard d’un créancier d’un autre Etat et rien ne l’incite à le faire (étant donné l’aide qu’il obtient du gouvernement fédéral). Aussi, même au pire d’une crise financière, si leur bilan est sain, les banques et les établissements non financiers peuvent continuer à emprunter, libres de tout risque souverain lié à l’Etat dans lequel ils sont.

Par ailleurs le gouvernement fédéral compense une grande partie des pertes de revenu des Etats par des transferts ou des réductions d’impôt.

Quant aux salariés mécontents malgré tout de la situation financière de l’Etat dans lequel ils sont, il leur est facile de s’installer dans un autre, sans avoir à appréhender une différence de langue ou un choc culturel.

Tout cela se passe très naturellement, sans négociations longues et conflictuelles entre les gouverneurs des différents Etats et le gouvernement fédéral, sans l’aide du FMI et sans que soit remise en question l’existence des USA en tant qu’entité politique et économique.

Aussi le véritable problème en Europe n’est pas le surendettement de l’Espagne ou de l’Irlande ou le poids de la dette espagnole ou irlandaise sur le bilan des banques d’autres pays européens. Qui se préoccupe du déficit des comptes courants de la Floride – ou plus simplement qui à la moindre idée de son montant ? Non, le véritable problème est l’absence d’institutions pan-européennes qui seraient nécessaires au bon fonctionnement d’un marché financier intégré.

Il y a défaut d’institutions politiques adéquates au centre. L’UE nous a appris une précieuse leçon au cours des dernières décennies : premièrement, l’intégration financière exige la stabilité entre  les devises nationales ; deuxièmement, éliminer le risque lié aux taux de change exige que l’abandon des devises nationales se fasse simultanément ; et maintenant la troisième leçon : sans union politique, l’union monétaire est irréalisable entre des démocraties.

On pouvait s’attendre à ce qu’il faille du temps pour parvenir à l’union politique. Il est facile de critiquer les dirigeants européens pour leur manque de leadership, mais ne sous-estimons pas la difficulté de la tâche à laquelle les Etats européens se sont attelés.

La meilleure analogie est l’expérience historique de l’Amérique dans sa construction d’une république fédérale. Ainsi que le montrent la longue lutte américaine pour le « droit des Etats » et la guerre de Sécession, la création d’une union politique à partir d’un ensemble d’entités indépendantes est un processus lent et chaotique.

Les Etats défendent naturellement leur souveraineté. Pire encore, l’union économique elle-même peut alimenter les nationalismes et menacer l’intégration politique. Elle exerce une pression sur les institutions de chaque pays (par exemple sur les systèmes de protection sociale des pays de l’Union), engendre l’hostilité à l’encontre des étrangers (voir les succès récents des partis opposés à l’immigration) et rend plus probables et plus coûteuses les crises financières d’origine extérieure, ainsi que la situation actuelle l’illustre on ne peut mieux.

Malheureusement il est peut-être déjà trop tard pour la zone euro. L’Irlande et les pays du sud de l’Union doivent réduire le fardeau de leur dette et doper simultanément leur compétitivité économique. Comment pourraient-ils y parvenir tout en restant dans la zone euro ?

Les plans de sauvetage de la Grèce et de l’Irlande ne sont que des palliatifs : ils ne diminuent pas l’endettement, ils n’ont pas arrêté la contagion et l’austérité budgétaire qu’ils imposent retarde la reprise économique. L’idée que des réformes structurelles et une réforme du marché du travail permettront un retour rapide de la croissance est illusoire. La restructuration de la dette est inévitable.

Même si les Allemands et les autres créanciers acceptent une restructuration – non pas à partir de 2013 comme l’a demandé la chancelière Angel Merkel, mais dès maintenant – il reste le problème de la restauration de la compétitivité des pays en déficit, notamment ceux du sud de l’Europe. L’appartenance à la même zone monétaire que l’Allemagne va condamner ces pays à des années de déflation, de chômage et d’instabilité politique sur le plan intérieur. La sortie de la zone euro pourrait être la seule solution réaliste pour y échapper.

L’éclatement de la zone euro ne la condamnerait pas définitivement. Des pays pourront s’unir, et le faire avec crédibilité, quand les conditions budgétaires, réglementaires et politiques seront réunies. Pour le moment la zone euro en est au point où un divorce à l’amiable est peut-être préférable à des années de déclin économique et de mésentente politique.

Dani Rodrik est professeur d’économie politique à la John F. Kennedy School of Government de l’université d’Harvard. Il a écrit un livre intitulé One Economics, Many Recipes: Globalization, Institutions, and Economic Growth.

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Les perspectives troubles de l’euro par Pierre Bessard

La crise de l’endettement des Etats périphériques pose la question de l’avenir d’un objet d’utilité politique délié de la réalité économique.

Les difficultés actuelles de l’euro et son affaiblissement face au franc ne surprennent pas les nombreux économistes qui avaient mis en évidence, avant même son introduction, la nature purement politique du projet.

Que l’euro était une mauvaise idée était évident pour des experts comme Milton Friedman ou Martin Feldstein, qui, s’appuyant sur les travaux pionniers du lauréat Nobel Robert Mundell, avaient déjà relevé l’absence de conditions optimales pour cette union monétaire: la rigidité des marchés nationaux du travail, les barrières culturelles et linguistiques, le coût politique élevé de transferts fiscaux des pays prospères vers les Etats déficitaires, les divergences économiques importantes entre les régions les rendant vulnérables aux chocs asymétriques.

L’expérience récente donne également raison aux économistes de la Banque Nationale Suisse, réservés envers l’euro, et aux spécialistes d’économie politique, dont Bruno Frey, professeur à l’Université de Zurich, qui avait identifié les deux principaux attraits de l’euro pour les politiciens: la diminution de leur responsabilité pour les erreurs politiques (avec la conviction, confirmée par les faits, que le «pacte de stabilité» ne tiendrait pas) et le transfert de compétences au niveau européen, où le contrôle des citoyens est moindre.

Bien que les autorités politiques de l’Union européenne (UE) aient entre-temps également violé l’article 125 du Traité de Lisbonne, qui interdit à l’UE et aux Etats de porter une assistance financière à un pays de la zone euro en difficulté financière, le déni de l’ampleur des problèmes de solvabilité de la périphérie semble entier. Cela pourrait mener à de «sérieuses erreurs politiques» susceptibles de coûter encore très cher à l’économie de la zone euro, observe l’économiste Desmond Lachman, qui vient de publier une analyse sur la question au Legatum Institute de Londres. C’est en particulier vrai pour la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie.

Il est probable que ces pays continueront de s’enfoncer dans de profondes récessions ces prochaines années (alors que leurs taux de chômage ont déjà augmenté à des niveaux préoccupants dans certains cas).

  Mais il est peu vraisemblable que les mesures d’austérité financière en cours suffisent. Les Etats concernés pourraient être finalement forcés à restructurer leurs dettes et à sortir de l’euro pour regagner une partie de leur compétitivité et mettre un terme à l’érosion de leur base fiscale. (A défaut, l’incitation de l’Allemagne à rester dans l’euro face à des obligations financières illimitées pourrait également diminuer.)

L’espoir d’une échappatoire non monétaire est faible: même si les Etats périphériques en difficultés pouvaient réduire sensiblement leurs dettes, cela ne modifierait guère leur situation, car les déficits sont structurels et non liés au paiement des intérêts: Desmond Lachman calcule que si la Grèce était en mesure de diminuer de moitié son endettement, elle se trouverait toujours avec un déficit budgétaire de l’ordre de 12% du PIB. Le résorber impliquerait un ajustement financier majeur. En quittant l’euro, les pays concernés pourraient au moins relancer les secteurs d’exportation et atténuer ainsi les effets adverses immédiats d’un retour à des finances publiques plus stables.

Si l’éclatement de la zone euro est l’éventualité souhaitable de la crise actuelle, il serait préférable qu’il soit réalisé le plus tôt possible et de façon ordonnée, par exemple avec l’assistance du Fonds monétaire international, recommande Desmond Lachman. Un délai dans la restructuration des dettes pourrait par ailleurs offrir quelque répit aux banques du nord de la zone euro, qui seront confrontées à des pertes considérables liées au non-remboursement. En revanche, la complaisance affichée jusqu’ici face à l’échec économique patent de la monnaie européenne pourrait aboutir à une crise bancaire européenne sans précédent avec des répercussions tangibles sur l’économie mondiale.

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L’alchimie financière de l’Europe par Luigi Zingales

Tout le monde reconnaît que la diffusion des CDO (collateralized debt obligation ou dettes obligataires), les infâmes structures dédiées qui ont transformé une dette mal notée en une dette bien notée a été un facteur clé à l’origine de la crise financière de 2007-2008.  

Initialement, ce que ces structures perdaient en popularité à Wall Street, elles le regagnaient de l’autre coté de l’Atlantique.

La finance structurée a touché la nature des produits financiers en introduisant de nouveaux produits de plus en plus complexes, comme ceux liés à la titrisation du risque de crédit par les banques tels les CDO (obligations adossées à des créances) et le PCAA (papier commercial adossé à des actifs).

Quelques années avant la crise financière, les banques américaines ont commencé à transférer leurs prêts hypothécaires peu solvables (prêts subprimes) aux marchés financiers. Durant cette période, on a transformé des actifs hypothécaires de basse qualité en actifs financiers ayant une cote de risque jugée acceptable pour les investisseurs. Ces découpages (tranching) des PCAA et des CDO représentaient cependant des tranches de risques de défaut effectifs beaucoup plus élevés que ceux soupçonnés et incomparables à ceux des obligations traditionnelles ayant la même cote de risque.

La crise financière en a été accélérée, puisque les banques de détail ont subi des pressions des marchés financiers pour accroître leur offre de prêts hypothécaires à haut risque et générer des actifs structurés à rendements élevés durant une période où les taux d’intérêt étaient faibles.

Lorsque les prêts hypothécaires subprimes ont commencé à faire défaut, ces produits financiers ont externalisé les dommages aux marchés financiers internationaux. La crise financière a aussi causé des dommages externes à l’économie réelle (chômage) et à l’économie monétaire. Elle a miné la confiance des consommateurs envers les institutions financières. Nous pouvons isoler quatre problèmes majeurs de gestion des risques liés au marché de la finance structurée durant cette période.

1- Absence de contrats de titrisation incitatifs

Les banques étaient peu incitées à surveiller les risques des emprunteurs parce qu’une large portion de leurs prêts était titrisée sans clause contractuelle optimale. Certaines banques pouvaient même transférer tous leurs risques de défaut de prêts aux marchés financiers.

2- Mauvaise évaluation des produits structurés par les agences de notation

En tant que partie prenante de la titrisation, les intermédiaires achetaient des actifs à long terme, comme des prêts hypothécaires, et les finançaient avec des titres adossés à des actifs tels le PCAA et les CDO. Les profits associés à cette activité de structuration sont plus élevés lorsque les produits financiers ont une cote de crédit élevée. Pour les agences de notation, il était cependant difficile d’évaluer ces actifs, car elles ne disposaient d’aucun modèle approprié ni des données nécessaires pour le faire.

3- Mauvaise tarification de produits structurés

Une autre cause de la crise réside dans le prix de ces instruments financiers structurés, souvent erronés et ne reflétant pas leur vraie exposition au risque. De plus, ces produits contenaient du risque systémique qui n’était pas pris en compte dans la tarification.

4- Mauvaise réglementation de la finance structurée

La réglementation de Bâle II doit elle-même être blâmée, parce qu’elle a réduit significativement le capital requis pour les actifs AAA. Il n’est pas évident que Bâle III sera suffisante pour empêcher d’autres crises, car elle ne touche que les banques qui ne représentent qu’un maillon de la finance structurée.

Le Fond européen de stabilité financière européenne (EFSF) créé par les pays de la zone euro en mai dernier constitue le plus grand CDO qui ait jamais existé. De même que les CDO, l’EFSF a été présenté comme un moyen de réduire les risques. Et le résultat pourrait être le même : l’ébranlement de tout le système financier.

Les CDO, c’est de l’alchimie financière : des structures dédiées qui achètent l’équivalent financier du plomb (des titres adossés sur des prêts hypothécaires mal notés) et se financent avec l’équivalent financier de l’or (des obligations notées AAA très recherchées). Cette transformation repose sur un principe sain et sur deux principes boiteux.

Le principe sain est le supplément de collatéral. Si un collatéral de 120 dollars garantit une obligation de 100 dollars, la sécurisation de cette dernière augmente. Mais de combien ? Cela dépend du rendement de l’ensemble d’obligations qui composent le CDO.

Le premier principe boiteux est le suivant : les rendements de toutes ces obligations sont fortement corrélés, elles peuvent toutes faire défaut au même moment et dans ce cas le supplément de collatéralisation ne sert à rien. Il est vrai que si leurs rendements ne sont pas corrélés, il est très improbable qu’elles fassent défaut simultanément, dans ce cas le supplément de collatéralisation améliore la garantie.

Malheureusement, aucun modèle mathématique précis ne peut déterminer la corrélation entre des titres, il s’agit toujours d’une prédiction d’apparence sophistiquée basée (parfois totalement) sur le passé. Aussi, la prédiction de l’explosion des CDO aux USA durant le boom immobilier reposait sur l’hypothèse contestable selon laquelle les prix de l’immobilier ne s’écrouleront pas au niveau national.

Second principe boiteux : pour valider ces instruments, les émetteurs de CDO se sont appuyés sur les agences de notation . Dans le passé, ces agences ont effectivement prévu les risques de défaut des entreprises. Mais leur crédibilité reposait sur un équilibre fragile. Chaque émetteur ne représentait alors qu’une faible partie de leurs revenus, aussi ne voulaient-elles pas risquer leur réputation pour faire plaisir à l’un d’entre eux. Néanmoins le marché des CDO était concentré : six ou sept émetteurs contrôlaient la plus grande partie du marché, un marché qui a fini par représenter plus de 50% de la totalité des revenus des agences de notation. Brusquement la situation s’est transformée, les émetteurs ont eu bien plus d’influence sur ces dernières. Alors, comme tout bon vendeur, elles devinrent disposées à faire un compromis pour ne pas perdre un gros client.

En conséquence le marché des CDO n’a pas tellement étendu le risque, il l’a transféré et l’a camouflé. Quand le marché de l’immobilier a commencé à se dégrader, les grands assureurs et établissements de crédits immobiliers (comme Countrywide) n’ont pas fait faillite immédiatement, car ils avaient vendu la grande majorité de leurs prêts sur le marché des CDO. Finalement, l’incertitude engendrée par les CDO a failli entraîner l’effondrement de tout le système bancaire américain.

L’Europe suit le même chemin. L’EFSF, créé pour aider les pays de la zone euro à faire face à un manque de liquidité, a été conçu exactement de la même manière qu’un CDO. Il achète les obligations de pays qui ont de la difficulté à se financer sur les marchés (l’Irlande par exemple) et  émet des obligations notées AAA. Comment cette alchimie est-elle possible ? Encore une fois, elle repose sur un supplément de collatéralisation, une hypothèse sur la distribution des différents rendements obligataires et sur l’approbation indispensable des trois grandes agences de notation.

Avec l’EFSF, le supplément de collatéralisation prend la forme de la garantie offerte par les autres pays de la zone euro. Parmi les pays importants, seules la France et l’Allemagne sont notées AAA. Comment une obligation irlandaise peut-elle être notée AAA, alors qu’elle est garantie essentiellement par des pays comme l’Italie et l’Espagne (des candidats probables pour une crise budgétaire) ? Selon Standard and Poor’s, « La notation de l’EFSF traduit notre point de vue que des garanties reposant sur des titres souverains notés AAA et des réserves en liquidités librement disponibles et investis en titres eux-mêmes notés AAA, pourront à elles toutes couvrir si nécessaire tout le passif de l’EFSF ».

La valeur des garanties dépend de la situation. Aussi longtemps qu’il ne s’agit que de venir au secours de l’Irlande, il n’y a pas de problème. Mais si l’EFSF doit garantir l’Espagne, l’Allemagne acceptera-t-elle d’intervenir et d’utiliser l’argent des contribuables pour couvrir les dettes des banques espagnoles ? Et jusqu’à quel niveau les banques françaises et allemandes seront-elles impliquées – et par conséquent quelles seront les conséquences budgétaires pour la France et l’Allemagne ?

Ici aussi les formules mathématiques ne servent à rien, car il faut tester la validité des hypothèses. C’est pourquoi l’avis des agences de notation est aussi précieux. Malheureusement, on peut se demander dans quelle mesure les pressions des pays de la zone euro influent sur leur notation.

Depuis la crise, les agences de notation subissent une avalanche de critiques, et l’on discute des deux cotés de l’Atlantique d’un changement majeur de la réglementation financière, ce qui aurait des répercussions importantes sur leur activité. Dans ce contexte, les agences de notation de crédit peuvent-elles noter en toute indépendance les institutions mêmes qui vont réformer la réglementation dont elles dépendent ? Il nous faudra attendre de connaître le prix des CDS (credit default swap, les contrats financiers permettant de s’assurer contre le risque de défaillance d’un crédit) qui vont être émis en janvier sur la dette de l’EFSF pour savoir si les marchés ont confiance en leur notation.

Indépendamment de ce test, l’Allemagne semble avoir résolu la quadrature du cercle : elle a aidé les pays en difficulté sans avoir (pour le moment) versé un seul euro. Pourtant comme avec les CDO, il pourrait s’agir d’une victoire à la Pyrrhus. L’EFSF fournit un répit à court terme, mais au risque de pertes importantes si la situation se dégrade. Une crise budgétaire en Espagne et tout l’édifice pourrait s’écrouler.

Après la crise des prêts immobiliers à risque, les politiciens ont prétendu que le marché était myope et irrationnel et ils se sont précipités pour proposer une nouvelle réglementation. Si certaines de leurs observations sont peut-être appropriées, d’où tiennent-ils l’autorité morale qui leur permette de critiquer ?

Car ainsi que l’EFSF le montre, leurs préoccupations peuvent être à plus court terme que celles des marchés et ils peuvent se montrer encore plus irrationnels, répétant les mêmes erreurs, car ils n’en tirent pas les leçons.

Le verdict des marchés va sans doute être sévère. Ainsi qu’Oscar Wilde l’a formulé, « Qui me  trompe une fois, honte à lui ; qui me trompe deux fois, honte à moi ».

Luigi Zingales est professeur d’économie d’entreprise et de finance à la Graduate School of Business (GSB) de l’université de Chicago. Il est également co-auteur avec Raghuram G. Rajan d’un livre intitulé Saving Capitalism from the Capitalists.

 Project Syndicate, dec 2010.Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

EN BANDE SON :

 

4 réponses »

  1. je suis en train de lire le casse du siècle et cet article de Luigi zingales parait tout à fait crédible. ça fait froid dans le dos….si tous d’une manière ou d’une autre nous n’ y laissons pas des plumes voir si nous ne périssons pas tout simplement serait plus que surprenant.Si cela ne se produit pas cela rendra croyant le mécréant que je suis

  2. A propos de l’Italie :

    – Emprunt à 6 mois :

    Le 26 octobre 2010, l’Italie avait lancé un emprunt à 6 mois. L’Italie avait dû payer un taux d’intérêt de 1,203 %.
    Un mois plus tard, le 25 novembre 2010, l’Italie a dû payer un taux d’intérêt de 1,483 %.
    Un mois plus tard, mercredi 29 décembre, l’Italie a dû payer un taux d’intérêt de … 1,698 % !

    – Emprunt à 2 ans :

    Le 26 octobre 2010, l’Italie avait lancé un emprunt à 2 ans. L’Italie avait dû payer un taux d’intérêt de 1,767 %.
    Un mois plus tard, le 25 novembre 2010, l’Italie a dû payer un taux d’intérêt de 2,307 %.
    Un mois plus tard, mercredi 29 décembre, l’Italie a dû payer un taux d’intérêt de … 2,937 % !

    http://www.boursorama.com/infos/actualites/detail_actu_marches.phtml?num=1d9b5b95a126a062e90a46ec827d77de

    Italie : taux d’intérêt des obligations à 10 ans : 4,855 %.

    En ce moment même, les taux à 10 ans sont en train d’exploser.

    http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=GBTPGR10:IND

    Conclusion : plus les jours passent, plus l’Italie emprunte à des taux d’intérêt de plus en plus élevés.

    Plus les jours passent, plus l’Italie se surendette.

    Plus les jours passent, plus l’Italie se rapproche du défaut de paiement.

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