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Le turnover appliqué aux banquiers centraux par Andréas Höfert

Le turnover appliqué aux banquiers centraux par Andréas Höfert

TD

Si Ben Bernanke se retrouvait à la tête de la BCE et Jean-Claude Trichet aux commandes de la Fed?

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Les banquiers centraux ont sans doute le métier le plus controversé au monde après les entraîneurs des sélections nationales de football. Quoiqu’ils fassent – qu’ils décident de faciliter ou restreindre la politique monétaire ou encore de patienter -, leurs actions seront toujours massivement critiquées. Et les rangs des mécontents grossissent à mesure que les événements offrent du recul. Même lorsqu’ils accèdent au statut de gourou, à l’instar d’Alan Greenspan, resté près de 20 ans à la tête de la Réserve fédérale américaine, il n’est pas exclu qu’une crise financière ne les fasse tomber de leur piédestal.

C’est pourquoi il n’est guère étonnant que Jean-Claude Trichet – le président de la Banque centrale européenne -, qui vient d’amorcer un relèvement des taux d’intérêt, soit caricaturé comme un «super faucon»: il serait hanté par le spectre d’une inflation inexistante et totalement insensible au sort des économies déprimées de la périphérie de l’Europe. Quant à Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale, il s’en tient à son programme d’assouplissement quantitatif et ne semble pas pressé d’amorcer un resserrement monétaire.

Résultat: il se retrouve dans le collimateur de ceux qui voient en lui une «douce colombe», fossoyant le dollar et précipitant les Etats-Unis sur le chemin de l’hyperinflation.

Mais que se passerait-il si ces deux messieurs échangeaient leurs emplois? Si Ben Bernanke se retrouvait à la tête de la BCE et Jean-Claude Trichet aux commandes de la Fed, rien ne dit qu’il leur faudrait d’abord faire ajuster leurs costumes. A mon avis, quelques petites retouches suffiraient car ce n’est pas la personne qui fait la fonction mais plutôt la fonction qui détermine la personne.

Alors que le mandat de la BCE se limite à maîtriser l’inflation, la Fed a une double mission qui consiste à contenir l’inflation et à soutenir l’activité économique et l’emploi. Par conséquent, il est normal que la BCE ait amorcé un relèvement de ses taux face à la hausse des perspectives d’inflation en Allemagne, la plus vaste et la plus solide des économies de la zone euro. De même, la Fed privilégie le soutien à l’économie dans un contexte de chômage de masse aux Etats-Unis. Tout est donc en ordre ? Non, car quelque chose de plus profond et de plus fondamental gêne ici et permet de critiquer le comportement des deux Banques centrales.

Tout en haut de la pyramide des devoirs d’une Banque centrale, en sa qualité de prêteur en dernier ressort, au-dessus même de ses objectifs macroéconomiques, se situe la stabilité financière. A cet égard, et la BCE et la Fed se livrent actuellement à un numéro de funambule.

En relevant ses taux d’intérêt, la BCE accentue la pression, dans les pays de la périphérie de l’Europe, sur de nombreux ménages qui ont contracté des prêts hypothécaires à taux variable basés sur l’Euribor. Nombre d’entre eux n’honoreront sans doute pas leurs dettes, avec un effet domino sur les banques qui leur ont accordé ces prêts et sur les gouvernements, qui seraient amenés à intervenir si ces banques se retrouvaient dans la tourmente.

Après la Grèce et l’Irlande, le Portugal vient de solliciter l’aide de l’UE. Tous les regards sont désormais braqués sur l’Espagne. Pour l’instant, la dette de l’Etat espagnol semble maîtrisée. Toutefois, la donne pourrait changer radicalement si les banques espagnoles venaient à chanceler. Si la BCE souhaite éviter la prochaine crise de l’euro, elle devra en tenir compte avant de relever trop brusquement ses taux d’intérêt.

La Fed n’a pas l’inconvénient d’être la Banque centrale d’un espace monétaire non optimal. Toutefois, aux Etats-Unis, la politique monétaire extrêmement accommodante a alimenté les bulles d’actifs et leur éclatement à deux reprises ces dix dernières années. La deuxième fois, le système financier mondial s’est retrouvé au bord de l’effondrement. Rien ne dit que les choses seront différentes cette fois.

La BCE et la Fed ont donc toutes les deux des politiques monétaires critiquables. L’une est trop restrictive et l’autre trop expansive. Toutefois, le débat ne doit pas porter sur les objectifs macroéconomiques, qui sont fixés par le cadre institutionnel, mais sur les conséquences ultimes de ces politiques sur la stabilité financière dans un environnement qui reste fragile.

Andreas Höfert Chef économiste UBS Wealth Management Research. avril11

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