Art de la guerre monétaire et économique

Les euro-obligations peuvent traiter les symptômes, pas la maladie ! par Hans-Werner Sinn

Les euro-obligations peuvent traiter les symptômes, pas la maladie ! par Hans-Werner Sinn

La chancelière allemande Angela Merkel a résisté aux pays du sud de l’Europe : il n’y aura pas d’euro-obligations. Pour les marchés c’est une déception, mais les pays en difficulté ne se reconstruiront qu’en ouvrant une phase de discipline financière aussi longue que voulue et en mettant fin au laxisme budgétaire.

 

Cette situation exaspère les investisseurs. La décision du 21 juillet des dirigeants de la zone euro d’autoriser le Fonds européen de stabilité financière (FESF) à racheter les dettes dans la limite de ses capacités constitue déjà une forme d’euro-obligations. Quant à la Banque centrale européenne (BCE), elle va continuer à accorder à la légère des prêts aux pays en difficulté et en achetant leurs bons du Trésor.

 Les pays du sud du continent voudraient un basculement complet en faveur des euro-obligations pour ne plus avoir à supporter les taux d’intérêt qu’exigent les marchés, des taux largement majorés par rapport à ceux de l’Allemagne. Leur attitude est compréhensible, étant donné que c’est avant tout l’espoir d’une convergence des taux d’intérêt qui les a incités à rejoindre la zone euro. D’ailleurs ce fut une réalité durant une dizaine d’année, entre 1997 et 2007.

La théorie était belle, mais la réalité est dure. Plusieurs erreurs fondamentales ont été commises lors de la création de la zone Euro en 1999, mais nous n’en retiendrons que quatre.

l La surévaluation de l’euro

La monnaie unique a été construite sur l’idée simple, mais naïve, que l’euro provoquerait, assez rapidement, un mouvement d’unification des dynamiques et des situations des pays membres. La réalité en a été tout autre. En effet, la surévaluation de l’euro, entre 2003 et 2009 (de 1,04 à 1,40 en passant par 1,60 par rapport au dollar) est venue aggraver les bases de la crise que nous connaissons actuellement. Cette appréciation aura coûté très cher en termes de croissance à la majeure partie des pays membres, aggravant fortement la compétitivité face au mastodonte économique que sont les Etats-Unis. Une évolution immédiate ne semble pas se dessiner, l’équilibre se situant depuis 5 mois entre 1.40 et 1.45.

l Le non respect des sanctions

Les états membres de la zone euro ont lourdement affaibli le pacte de stabilité et de croissance en ne respectant ni l’aspect préventif qui stipulait que tout membre ne devait pas dépasser un critère de déficit public fixé à 3% du PIB, ni l’aspect des sanctions, laissant donc les pays s’enfoncer dans les méandres des déficits et des mensonges.

l Maitrise des coûts de production

Lors de l’adhésion d’un pays à la zone euro, l’objectif initial était d’avoir une inflation en dessous de 2% en fixant l’évolution de ses coûts unitaires sur les objectifs de la banque centrale européenne. L’effet escompté était de pouvoir maitriser la compétitivité, mais malheureusement, le résultat fut tout autre. Tous les nouveaux entrants, ayant passé les stress tests pour rentrer dans la zone euro ont, de facto, laissé baisser leur monnaie et donc fragilisé la base de la zone euro. Une dévaluation masquée qui ne leur permet plus aujourd’hui d’avoir de grandes marges de manœuvres.

l Les lacunes fiscales

L’harmonisation fiscale de tous les pays membres, l’un des éléments les plus importants si ce n’est le plus important, et que les politiques n’ont volontairement pas voulu aborder car cela les aurait obligé d’être pratiques et cohérents, à volontairement été occulté. La crise actuelle est donc tant structurelle que conjoncturelle et marque l’incapacité des politiques de n’avoir pu mener à bien la tâche qui leur avait été confiée: c’est-à-dire unir l’Europe.

JOHN-F. PLASSARD* Louis Capital Markets Genève

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 La convergence des taux d’intérêt a contribué à une réduction à moyen terme du service de la dette de l’Italie à hauteur de 6% du PIB. Elle aurait pu ainsi rembourser la totalité de sa dette sur une quinzaine d’années, mais elle a gaspillé cet avantage. Le ratio de sa dette par rapport à son PIB atteint maintenant 120%, le même niveau que lorsqu’elle est entrée dans la zone euro au milieu des années 1990.

 Maintenant que le spread des taux d’intérêt est à nouveau à la hausse, les conséquences  sont tellement graves que de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer des euro-obligations en espérant que les taux d’intérêt vont baisser si ce sont les autres pays membres qui garantissent la dette de ceux qui sont en difficulté. 

Mais qui va apporter ces garanties ? Le ratio dette publique/PIB de la France et de l’Allemagne dépassent largement 80%, ce qui est à peine moins que l’Italie et bien plus que l’Espagne. Mutualiser les dettes ne les font pas disparaître. Il n’y a aucun moyen d’y échapper, chaque pays doit servir sa propre dette.

 L’agitation à laquelle on assiste autour des taux d’intérêt est quelque peu exagérée. Les taux appliqués aujourd’hui à l’Italie et à l’Espagne ne sont que la moitié de ce qu’ils étaient en 1995, avant la fixation des taux de change à l’intérieur de la zone euro. De la même manière, le spread de taux d’intérêt vis-à-vis de l’Allemagne ne représente que les deux tiers de ce qu’il était à cette époque. Rien ne permet d’affirmer que les marchés sont dysfonctionnels et exagèrent les différences de fiabilité en matière de crédit entre les différents pays.

 Les spreads de taux d’intérêt sont nécessaires pour tempérer les flux de capitaux. Avant l’introduction de l’euro, ils étaient limités par les incertitudes liées aux taux de change. C’est ce qui a évité à l’Europe de trop grands déséquilibres extérieurs. Maintenant, en l’absence de risque dus aux taux de change, les spreads de taux d’intérêt basés sur la notation des pays débiteurs en terme de crédit sont la seule protection restante contre des mouvements excessifs de capitaux et les déséquilibres externes qui en découlent. Si les investisseurs bénéficiaient d’une protection illimitée, autrement dit sans risque de perte, le capital continuerait à se déplacer d’un coin de la zone euro à l’autre sans le moindre obstacle, ce qui prolongerait ces déséquilibres.

 Depuis plusieurs années, l’Italie s’est affranchie du plafond d’endettement imposé par le traité de Maastricht et le Pacte de stabilité et de croissance. C’est seulement récemment lorsque les taux d’intérêt ont commencé à grimper que le gouvernement a fini par réagir, assez rapidement, en appliquant des mesures d’austérité avec l’accord de tous les partis politiques. Il a pris au sérieux les marchés, mais pas ses engagements. L’introduction des euro-obligations reviendrait donc à supprimer la fonction régulatrice des marchés. 

 On pourrait dire plus ou moins la même chose pour les plans de secours de l’Union européenne et les interventions de la BCE. Les mesures prises par l’UE et la BCE se justifiaient sans doute lors de la récession de 2008-2009, mais elles sont maintenant contre-productives, car elles sapent la fonction de régulation des marchés.

 Remplacer le crédit privé qui se désengage par du crédit public, perpétue les déséquilibres extérieurs au sein de la zone euro. Même aujourd’hui, après quatre ans de crise, rien ne montre que les pays du sud de l’Europe ait entamé un processus de dévaluation en termes réels en diminuant les salaires et les prix, d’un niveau trop élevé. C’est pourtant là une précondition pour réduire les déséquilibres externes et le besoin de faire appel à l’étranger pour obtenir un crédit.

 Les plans de secours prolongent la crise parce qu’ils maintiennent le prix des actifs à un niveau supérieur à celui de l’équilibre des marchés, ce qui engendre un risque de baisse unilatérale limité seulement par le montant des plans de secours. Cela rappelle les efforts inutiles des banques centrales pour stabiliser les taux au-dessus de la valeur d’équilibre des marchés à l’époque où le régime des taux de change fixes était la règle. Cela n’a fait qu’exacerber la volatilité des marchés.

 Il est temps que l’Europe se confronte à la réalité. Elle doit entamer le difficile processus d’ajustement au sein de l’économie réelle qui est nécessaire pour rééquilibrer la zone euro. Le recours à des euro-obligations ferait disparaître les symptômes, mais pas la maladie. Les pays en difficulté, et la zone euro dans son ensemble, se retrouveraient dans une situation encore plus dangereuse qu’aujourd’hui. 

Hans-Werner Sinn est professeur d’économie et de finance à l’université de Munich et président de l’Institut de recherche économique Ifo. Project Syndicate,  aout 2011.

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