Analyse d'un secteur économique particulier

Le gouffre que représente le secteur financier américain est-il justifié ? parJ. Bradford DeLong

Le gouffre que représente le secteur financier américain est-il justifié ? parJ. Bradford DeLong

« Pourquoi l’attachement de tant de compétences et d’un si grand nombre d’entreprises à l’égard du secteur de la finance et de l’assurance n’a-t-il pas conduit à un gain économique évident ? Il existe deux méthodes pour faire durablement de l’argent dans le secteur financier : trouver des gens prêts à courir des risques et les associer à ceux qui n’en prennent pas, ou alors trouver des gens prêts à prendre des risques et les associer à des gens qui ne connaissent rien en finance mais qui ont de l’argent. Est-on sûr que la croissance du secteur financier tient essentiellement à des professionnels de la finance qui appliquent la première méthode plutôt que la deuxième ? »

En 1950, d’après le ministère américain du commerce, le secteur de la finance et de l’assurance représentait 2,8% du PIB des USA. Par la suite ce secteur s’est développé pour atteindre 3,8% du PIB en 1960 et 6% du PIB en 1990. Aujourd’hui il en est à 8,4% et la tendance n’est pas sur le point de s’inverser. Selon Justin Lahart du Wall Street Journal, sa part a dépassé en 2010 le pic précédent de 2006. Il estime que la place prise par ce secteur « n’est sûrement pas une mauvaise chose… Le déploiement du capital là où il peut être utilisé au mieux favorise la croissance économique… ».

Mais si en prenant comme référence 1950, le supplément de dépense de 5,6% du PIB que les USA consacrent à ce secteur (750 milliards de dollars qui servaient auparavant à payer les gens qui produisent directement des biens ou services utiles) avait une quelconque utilité, cela apparaîtrait dans les statistiques. Avec un taux d’intérêt réel standard de 5% par an pour les flux de trésorerie à risque, détourner une aussi grande part des ressources des biens et services directement utiles n’a de sens que si cela se traduit par une augmentation du taux de croissance de 0,3% par an ou de 6% au bout de 25 ans.

Source Wall Street Journal

 MOINS DE SECTEUR FINANCIER EN SUIVANT :

L’économie américaine a subi plusieurs chocs au cours des 50 dernières années et de nombreux facteurs ont stimulé ou freiné la croissance. Mais rien n’indique que la productivité de l’économie américaine serait inférieure de 6% si le secteur de la finance et de l’assurance était resté ce qu’il était en 1950.

 Une économie peut bénéficier de cinq manières différentes du bon fonctionnement du secteur de la finance et de l’assurance

Il protége des conséquences financières d’un incendie, d’une inondation, d’un problème de santé, du chômage, d’une faillite d’entreprise, etc. Il traite de toute une gamme de risques et de ce fait en atténue certains et fait face à d’autres en associant ceux qui craignent le risque à ceux qui peuvent y faire face sans trop de difficulté. 

Mais à considérer l’expérience des investisseurs en Bourse et dans l’immobilier au cours des 20 dernières années, comment croire que le secteur finance-assurance américain répartit véritablement mieux les risques ? 

Un système financier efficace associe des placements importants et peu liquides aux sommes d’argent relativement faibles provenant d’intervenants providentiels qui privilégient les liquidités. Ce fut l’une des innovations importantes des 50 dernières années : les entreprises peuvent émettre des obligations à haut rendement. 

Mais étant donné le coût d’une faillite, pourquoi une entreprise émettrait-elle des obligations à haut rendement (si ce n’est pour des raisons fiscales) et pourquoi les investisseurs les achèteraient de préférence à des actions ? 

Des facilités de crédit permettent de dépenser davantage sur le moment lorsqu’on est pauvre ou d’économiser davantage ultérieurement si l’on est riche. Grâce aux prêts immobiliers, aux cartes de crédit et aux avances sur salaire, on emprunte plus facilement. 

Mais qu’achète-t-on réellement ? Beaucoup de gens n’achètent pas la possibilité de dépenser davantage s’ils sont pauvres ou d’économiser davantage s’ils sont riches, mais semblent acheter la possibilité de reporter la discussion au sein de leur famille sur la manière de serrer les cordons de la bourse. Or ce n’est pas quelque chose que l’on a envie d’acheter. 

Les transactions sont devenues bien plus faciles. 

Mais si les transactions électroniques avaient réellement facilité l’activité financière, cela se serait accompagné d’une baisse de la part du secteur financier dans le PIB, et non d’une hausse, de la même manière que l’arrivée des centraux téléphoniques automatiques s’est accompagnée d’une diminution du nombre d’opératrices téléphoniques. En fait, les opérations des segments du secteur financier qui ont le plus bénéficié du progrès technique ont nettement réduit leur envergure. C’est ce qui s’est passé avec les opérations de contrôle des banques régionales de la Réserve fédérale. 

Enfin, un secteur financier plus efficace devrait conduire à une meilleure gouvernance d’entreprise. La démocratie des actionnaires ne permettant pas le contrôle efficace d’une direction d’entreprise rigide, fuyant la discussion et satisfaite d’elle-même, le secteur financier a potentiellement un rôle important à jouer pour veiller à ce que les gestionnaires travaillent dans l’intérêt des actionnaires. Un changement important a eu lieu au cours des 50 dernières années : les PDG font bien davantage attention à répondre à l’attente de la Bourse, ce qui est probablement une bonne chose. 

Avant tout on ne voit pas quel est l’intérêt du point de vue micro ou macroéconomique de dépenser 5,6% du PIB de plus qu’en 1950 chaque année dans le secteur de la finance et des assurances. Lahart cite l’estimation de Thomas Philippon de l’Université de New-York selon laquelle la part du secteur financier américain dans le PIB devrait être réduite de 2 points de pourcentage. Ce  chiffre qui traduit l’hypertrophie du secteur financier est peut-être sous-évalué.

 Pourquoi l’attachement de tant de compétences et d’un si grand nombre d’entreprises à l’égard du secteur de la finance et de l’assurance n’a-t-il pas conduit à un gain économique évident ? Il existe deux méthodes pour faire durablement de l’argent dans le secteur financier : trouver des gens prêts à courir des risques et les associer à ceux qui n’en prennent pas, ou alors trouver des gens prêts à prendre des risques et les associer à des gens qui ne  connaissent rien en finance mais qui ont de l’argent. Est-on sûr que la croissance du secteur financier tient essentiellement à des professionnels de la finance qui appliquent la première méthode plutôt que la deuxième ?

 J. Bradford DeLong, ancien sous-secrétaire au Trésor américain, est professeur d’économie à l’université de Berkeley en Californie et chercheur associé auprès du Bureau national de recherche économique.

 source Project Syndicate, dec 2011.

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