Marchés et Géopolitique : Les effets d’une intervention armée
Les différentes places financières ne sont pas si prévisibles en cas de guerre Le point sur fond de tension accrue au Moyen-Orient.
La hausse du prix du baril à laquelle nous assistons actuellement a des effets pernicieux (notamment sur la croissance) qui risque de coûter très cher à l’économie si elle devait durer.
Malgré le fait que la dépendance de l’économie au pétrole a largement diminué depuis les années 1980, son implication était toujours forte. Cependant, si l’on se concentre exclusivement sur l’aspect géopolitique (et ses dérèglements), son influence sur le prix du baril d’une part et sur les indices boursiers d’autre part est étonnant. Il convient donc, à l’aube d’une probable escalade de la tension au moyen orient, de voir comment pourraient réagir les bourses mondiales.
PLUS DE GEOPOLITIQUE EN SUIVANT :
1/ Historique
Nous avons volontairement choisi de prendre l’aspect d’une intervention armée dans un pays pivot, sans nous focaliser sur les 3 fameuses crises pétrolières qui font appel à d’autres paramètres [la guerre du Kippour (1973), la révolution iranienne (1979) et le pic de production (2008)].
a/ Intervention au Koweït
(17-01-1991)
Prénommé «tempête du désert», l’intervention de la coalition du 17 janvier 1991 en Irak a des relents économiques plus qu’humanitaires. En effet, la perte de la manne pétrolière koweitienne aurait été très grave pour les Etats-Unis. La résistance de l’armée irakienne est écrasée et la guerre se termine le 28 février avec l’acceptation par l’Irak des conditions de cessez-le-feu formulées par l’ONU. Le Koweit sera libéré.
b/ Intervention en Afghanistan (07-10-2001)
L’intervention en Afghanistan fait suite à la chute des Twin Towers et débute le 7 octobre 2001. Aujourd’hui, le bilan est sombre et les talibans contrôlent la moitié du pays, les zones «hors la loi» à la frontière afghano-pakistanaise déstabilisent durablement la région, les conditions de vie de la population ne s’améliorent pas. Le retrait des forces armées américaines devrait signifier dés 2014 une escalade de la violence et une détérioration de l’économie locale.
c/ Intervention en Irak
(20-03-2003)
Le 20 mars marque le début de l’opération «Liberté pour l’Irak»; les premiers bombardements américano-britanniques sur Bagdad visent des bâtiments officiels. Plusieurs puits de pétrole sont incendiés dans le sud de l’Irak. Le parlement Turc vote l’ouverture de l’espace aérien du pays à l’aviation américaine. Le soir, les forces terrestres américano-britanniques passent à l’attaque en franchissant la frontière, à partir du Koweït.
Finalement, au niveau ethnique et religieux, l’opération aura exacerbé la confrontation entre chiites, sunnites et vu l’érosion de la communauté chrétienne. La traditionnelle frontière du Chatt el-Arab entre le monde Chiite et le monde Sunnite, entre le monde perse et le monde arabe a définitivement été effacée.
2/ Conséquences d’une intervention
Les interventions auxquelles nous avons assisté ces 20 dernières années ont eu des conséquences diverses et variées. Il convient donc ici de les parcourir.
a/ La monnaie
L’euro s’est apprécié face au dollar suite aux deux dernières interventions et le dollar s’est déprécié face à l’ensemble des monnaies. L’évolution du billet vert ne s’explique bien évidemment pas uniquement par ces évènements puisque la tendance baissière de la monnaie américaine s’est poursuivie et se poursuit encore aujourd’hui. La guerre, mais cette fois-ci des changes, serait plus à mettre en avant.
Dans le cas du Koweït, le dollar s’était largement apprécié comme en témoigne l’US Dollar Index qui avait progressé de 16% dans les 6 mois qui ont suivi grâce à son image de valeur refuge.
Théoriquement, la réaction à court terme sur le dollar, d’une intervention militaire, devrait être bull car il fait office de refuge dans un premier temps. Cependant, il peut aussi avoir un effet négatif sur la monnaie car en finalité, les budgets (de l’armée notamment) se détériorent, donc les déficits et par conséquent les dettes aussi.
b/ Le pétrole
Le baril, du moins sur le moyen terme, ne subit étrangement pas les affres des interventions. Le baril chute même quelques temps après les interventions.
En Iraq par exemple, l’attaque avait largement était anticipé et le pétrole s’était donc effondré avant même l’invasion du pays. La suspension de production de pétrole du pays avait largement été compensée par les autres pays de l’OPEP pour éviter une volatilité trop importante des cours du baril. Aussi, des stocks historiquement bas début 2003 associés à l’annonce de l’abaissement de l’objectif de production de pétrole de l’OPEP aux environs du mois de mai entrainant dés-lors une hausse des cours.
Les trois dernières interventions ne peuvent donc nous amener à conclure qu’une telle opération implique automatiquement une envolée ou une chute du pétrole puisque de nombreux éléments doivent être intégrés comme la stratégie de l’OPEP, la consommation (hiver rigoureux ou pas), le niveau des stocks ou encore les caractéristiques du pays attaqué.
c/ L’évolution des indices
Les indices actions européens (l’Eurostoxx 50 étant notre indice de référence) n’ont pas du tout évolué de la même manière selon l’intervention. Après la guerre du Koweït, l’Eurostoxx 50 effectuera un rallye jusqu’en 2000. En 2003, l’Eurostoxx 50 avait perdu environ 60% comparé à ses plus hauts de 2000, ce qui pourrait expliquer qu’il a rebondi alors qu’en 2001 (Afghanistan) nous étions toujours dans «l’après éclatement de la bulle».
Une incidence directe n’a donc pas été a déplorer lors des trois dernières opérations militaires au Moyen-Orient. Cependant, toute situation est différente et doit être analysée de manière bien spécifique.
Le cas Syrien, par exemple, pourrait s’avérer totalement différent, car sa situation géographique et politique reste névralgique.
3/ La Syrie comme dernier bastion
Au-delà du drame humain qui est en train de se dérouler en Syrie, il n’est pas faux de dire que la chute de Bachar Al-Assad va déstabiliser radicalement la zone Est-méditerranéenne et modifier les données géostratégiques. Si l’arrêt des massacres s’avère nécessaire, le départ du dirigeant va inexorablement précipiter une intervention ou un accroissement des sanctions vers l’Iran.
En effet, la Syrie demeure encore aujourd’hui, aux yeux de beaucoup de dirigeants occidentaux, le lien entre le Hezbollah, l’Iran et Israël. Si le régime tombe, on assistera à une redistribution des cartes dans la région. Il y a un effet domino syrien qui n’existait pas pour l’Egypte. Lorsque Moubarak est tombé, il s’agissait seulement d’un pays pivot. La Syrie est notamment soutenue par le régime libanais, et l’Iran, dernier bastion du groupe. Et puis, il y a le problème des minorités avec les Alaouites ou encore la communauté Kurde, une donnée qui concerne surtout la Turquie concentré au Kurdistan.
Militairement parlant, la Syrie pourrait aussi devenir une tête de pont dans la région pour une attaque sur l’Iran. Dés lors, on peut comprendre pourquoi, sans rentrer dans les détails, la Chine et surtout la Russie sont contre une intervention de l’OTAN en Syrie, leurs intérêts croisés en Iran étant important.
Finalement, en terme géopolitique, la Syrie, au même titre que l’Iran représentent les derniers bastions moyen-orientaux de la résistance anti-occidentale.
4/ A la recherche du facteur exogène
Un facteur exogène (Fukushima) est venu perturber l’évolution boursière de début 2011 où le doute était déjà de mise, accentuant ainsi la tendance baissière qui se dessinait déjà.
Cette fois ci, ce facteur pourrait être une intervention militaire de la part d’Israël sur l’Iran, ou, en tout cas, dans un premier temps, une période d’intimidation accrue.
Cette escalade de sanctions scellerait (au moins ponctuellement) le détroit d’Ormuz (un quart de la production mondiale y transite) et confirmerait donc la hausse du prix du pétrole à laquelle nous assistons depuis quelques semaines.
Le fragile équilibre que nous avons retrouvé récemment en Europe (à travers le règlement ponctuel du cas grec et le LTRO 1-2), aux Etats-Unis (amélioration des derniers chiffres macro-économiques) et en Chine (intervention massive de l’Etat) pourrait donc se voir remis en question. Les causes principales se trouvant dans le nouveau déséquilibre géopolitique associé à une flambée des cours du pétrole.
John-f. Plassard Directeur de Louis Capital Markets Genève FEV12